Peut-on tester certaines des prédictions de la théorie des supercordes ou des théories unifiant la force électrofaible et la force nucléaire forte sans passer par le LHC, l’observation des rayons cosmiques ou le satellite Planck ? Oui, d’après un groupe de chercheurs de l’université de Reno dans le Nevada.
De gauche à droite Chien-Shiung Wu, Tsung-Dao Lee, Cheng Ning Yang. Crédit : universe-review

De gauche à droite Chien-Shiung Wu, Tsung-Dao Lee, Cheng Ning Yang. Crédit : universe-review

Le coût du LHC est de plusieurs milliards d'euros. Tester de la physique au-delà du modèle standard nécessite en effet de construire des détecteurs géants et de faire collisionner des faisceaux de protons accélérés à une vitesse proche de celle de la lumière. C'est l'unique moyen d'obtenir des énergies très élevées, lors des collisions entre les quarks composant les protons. En plein régime de fonctionnement, 14 TeV seront ainsi disponibles pour espérer créer de nouvelles particules prédites par des modèles qui sont des extensions du modèle standard.

Parmi ces derniers, certaines classes de théories de cordes et de GUT, les théories de Grande Unification combinant force électrofaible et force nucléaire forte, prédisent l'existence d'une sorte de cinquième force portée par des généralisations des bosons vecteurs des interactions faibles du modèle standard. Ces interactions sont véhiculées par des bosons W chargés et un boson Z neutre.

Les généralisations du modèle standard introduisent des bosons supplémentaires qui participent aux interactions faibles entre quarks et leptons et c'est pourquoi ils sont nommés Z' et W'. Leurs masses ne sont pas connues mais des expériences en accélérateurs indiquent qu'elles doivent être plutôt lourdes pour avoir échappé jusqu'à présent à toute détection. Remarquablement, elles pourraient cependant être suffisamment légères pour être produites au LHC.

Andrei Derevianko, un professeur de l'université de Reno au Nevada, vient de battre le LHC sur le terrain de la chasse au boson Z' avec l'aide de ses collègues et de mesures sur les transitions atomiques de simples atomes de césium, ne nécessitant pas d'équipement de laboratoire coûteux et volumineux. La clé pour réussir ce tour de force : la violation de la parité des interactions faibles...

Violation de parité dans la désintégration du noyau de cobalt 60. L'électron est émis préférentiellement dans la direction opposée à celle du spin du noyau. En regardant l'image dans un miroir, le spin change de sens (c'est un <em>pseudovector</em>) et l'électron est émis préférentiellement dans la direction du spin du noyau. Crédit : Ilarion Pavel-3xplus

Violation de parité dans la désintégration du noyau de cobalt 60. L'électron est émis préférentiellement dans la direction opposée à celle du spin du noyau. En regardant l'image dans un miroir, le spin change de sens (c'est un pseudovector) et l'électron est émis préférentiellement dans la direction du spin du noyau. Crédit : Ilarion Pavel-3xplus

Le césium : un laboratoire à lui tout seul

Prédite en 1956 par Tsung-Dao Lee et Cheng Ning Yang, elle fut observée en 1957 par Chien-Shiung Wu, qui malheureusement fut oubliée lors de l'attribution du prix Nobel de physique.

La violation de la parité n'est pas difficile à comprendre. Lorsque que l'on considère une expérience avec son image dans un miroir, cette dernière devrait aussi exister de façon inchangée dans l'Univers. On parle de symétrie P. Dans le cas contraire on parle de violation de la parité.

Dans l'expérience de Wu, un atome de cobalt radioactif (60Co) ne se désintégrait pas de la même façon en émettant des électrons selon que son moment cinétique est dans un sens ou dans un autre, correspondant à son image dans un miroir. La désintégration étant de type bêta, elle fait intervenir les interactions faibles.

Au niveau des atomes, plus précisément de celui des niveaux d'énergies très fins des électrons orbitant autour des noyaux, certaines transitions accompagnées de l'émission de photons peuvent elles aussi présenter des phénomènes de violations de la parité. Il s'agit cette fois-ci de l'influence des quarks des nucléons du noyau sur les électrons de la couche électronique.

Les quarks échangent en effet des bosons Z avec ces électrons et depuis les années 1980, on sait faire des expériences portant sur la violation de la parité en physique atomique induites par les forces nucléaires faibles. L'atome de césium est particulièrement approprié pour ce genre d'expérience.

Derevianko et ses collègues sont parvenus à  exploiter les résultats d'expériences plus précises avec les 55 électrons de l'atome de césium. Ils ont aussi et surtout mis à profit de nouvelles techniques de calculs et la puissance grandissante des ordinateurs pour prédire des effets de violations de parité encore plus fins causés par l'hypothétique boson Z' introduit par certaines classes de GUT et de théories des supercordes.

Remarquablement précis, les nouveaux résultats ne révèlent pas de violations des prédictions du modèle standard. Ce résultat peut sembler décevant mais il ne l'est pas complètement car les chercheurs savent désormais que le boson Z', s'il existe, doit avoir une masse supérieure à une nouvelle borne, ce qui les aiguille dans certaines directions théoriques.