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Un peu comme on démonte soigneusement, pièce par pièce, un mécanisme dont on veut comprendre le fonctionnement, une équipe du CNRS (laboratoire de Spectrométrie ionique et moléculaire, université de Lyon) s'est spécialisée dans le démontage des molécules. Ces scientifiques ont mis au point un instrument de découpe original utilisant un accélérateur de particules.
La substance à analyser est vaporisée dans une enceinte sous vide et s'en échappe par un orifice. Les molécules rencontrent alors un faisceau d'ions (protons, fluor, chlorechlore...) lancés par un accélérateur de particules. Sous le choc, ces molécules sont cassées en morceaux. Il est alors possible de mesurer précisément les énergiesénergies en jeu, cédées ou dissipées lors du choc.
On peut ainsi remonter à la structure interne de la molécule. L'équipe s'est d'abord intéressée à la molécule de fullerènefullerène (qui comporte 60 atomesatomes de carbonecarbone) pour étudier précisément l'émissionémission de la molécule constituée de deux atomes de carbone. Elle s'est ensuite attaquée à l'adénineadénine, une base azotéebase azotée qui, entre autres fonctions, est l'un des quatre constituants servant au codagecodage de l'information dans l'ADNADN, avec la guanineguanine, la cytosinecytosine et la thyminethymine.
Comprendre la synthèse en étudiant le démontage...
Pour cette molécule clé de la vie, l'idée n'était pas d'en étudier la structure mais de comprendre de quelle manière elle peut être synthétisée naturellement et en particulier... dans l'espace. En effet, l'adénine a été retrouvée dans certaines météorites et on pense qu'elle peut être formée dans les nuagesnuages de poussières présents dans l'espace interstellaire, où sont naturellement synthétisées de nombreuses molécules organiques.
En découvrant une nouvelle de voie de synthèse, les scientifiques lyonnais ouvrent la porteporte à de nouvelles hypothèses sur la manière dont l'adénine peut être synthétisée dans l'espace. De plus, leur technique d'analyse, d'une grande finesse, a démontré tout son intérêt. Ces résultats viennent d'être publiés dans les Physical Review Letters.
Comment peut-on utiliser une machine à casser les molécules pour comprendre des synthèses de molécules, a fortiori celles qui sont à l'œuvre ailleurs dans la GalaxieGalaxie ? Serge Martin, chercheur au laboratoire de Spectrométrie ionique et moléculaire, nous explique...
« Nous, nous dosons l’énergie »
Futura-Sciences : En quoi votre méthode diffère-t-elle de techniques d'analyse existantes ?
Serge Martin : Par rapport aux méthodes classiques d'analyse par dissociation de molécules, celle que nous avons mise au point permet un contrôle très fin de l'énergie, ce qui nous permet d'étudier davantage de détails. Habituellement, on casse la molécule en faisant varier l'énergie d'excitation et, après un certain temps, on analyse les fragments. Le spectrespectre en massemasse est un spectre à une dimension. On n'a aucun lien entre les fragments. Beaucoup d'informations n'ont pas été analysées (les corrélations entre les fragments, par exemple). Nous, nous essayons de ne pas perdre d'informations. Notre méthode, avec ses deux faisceaux que nous contrôlons précisément, permet de doser l'énergie, d'arrêter le processus de dissociation et de mesurer la différence d'énergie avant et après le choc. On corrèle les fragments entre eux et on peut ainsi suivre le phénomène étape par étape. On comprend alors dans quel ordre les constituants de la molécule se dissocie.
FS : Et cela permet de remonter à sa formation ?
Serge Martin : Oui. On peut essayer d'en déduire des voies de synthèse possibles. En étudiant de près la manière dont la molécule se décompose en ses différents constituants, c'est un peu comme si on regardait à l'envers le film de la synthèse.
FS : Qu'avez-vous découvert sur l'adénine ?
Serge Martin : Nous avons observé une étape où s'échappe la molécule H2C2N2. Jusqu'ici, on ne voyait apparaître que des molécules de HCN (l'acide cyanhydriqueacide cyanhydrique). D'ailleurs, c'est une voie classique de synthèse de l'adénine que de partir de HCN (l'adénine est de formule globale H5C5N5). Mais personne n'avait jamais vu ni imaginé que le H2C2N2 puisse jouer un rôle.
FS : Quel rapport avec la synthèse possible en milieu spatial ?
Serge Martin : La synthèse d'adénine à partir de HCN est chimiquement possible dans des conditions chaudes. Mais pas dans l'espace car l'énergie nécessaire est trop élevée. Il est possible que la barrière soit moins haute en passant par H2C2N2 et donc que l'on ait là une voie de synthèse pouvant se dérouler dans les nuages interstellairesnuages interstellaires. Il reste à étudier cette possibilité....