Des physiciens américains ont découvert une nouvelle propriété du rubrène, un hydrocarbure aromatique semi-conducteur prometteur pour l’électronique de demain. Cette découverte laisse entrevoir de futures cellules photovoltaïques organiques efficaces et peu onéreuses.

Depuis plusieurs années, les physiciens du solide étudient le rubrène, un semi-conducteur organique permettant de réaliser des diodes électroluminescentes organiques ainsi que des dispositifs d'affichage lumineux. Cet hydrocarbure aromatique polycyclique est connu pour la grande mobilité de ses porteurs de charges, la plus élevée des semi-conducteurs organiques.

Des transistors organiques monocristallins peuvent être fabriqués avec du rubrène cristallin et il y a quelques années l'équipe de Denis Fichou du laboratoire Nanostructures et semi-conducteurs organiques de Gif-sur-Yvette avait jugé extrêmement étonnantes certaines des propriétés du rubrène. Le physicien s'était d'ailleurs exclamé : « le comportement du rubrène laisse notamment entrevoir une nouvelle génération de composants pour la micro ou la nanoélectronique ».

Grâce à sa pureté et à ses propriétés chimiques de surface, le rubrène supplantera peut-être un jour le silicium dans l'électronique. Ici on voit un cristal de rubrène et une représentation de la molécule le composant. © Univ. Paris VI, CNRS, CEA / Univ. Illinois, Urbana / Univ. Rutgers, Piscataway

Grâce à sa pureté et à ses propriétés chimiques de surface, le rubrène supplantera peut-être un jour le silicium dans l'électronique. Ici on voit un cristal de rubrène et une représentation de la molécule le composant. © Univ. Paris VI, CNRS, CEA / Univ. Illinois, Urbana / Univ. Rutgers, Piscataway

Aujourd'hui, c'est un physicien de l'université Rutgers, Vitaly Podzorov, qui vient de publier avec ses collègues, dans Nature Materials, les résultats de travaux qui montrent que le rubrène pourrait être tout aussi révolutionnaire pour des cellules photovoltaïques. À terme, dans tous ces domaines, il pourrait concurrencer le silicium.

Produire des cellules solaires plus efficaces, ou en tout cas moins onéreuses, pourrait apporter des changements considérables à la société humaine. Dans son livre, Le soleil, le génome et Internet, le grand physicien théoricien Freeman Dyson (celui des fameuses sphères de Dyson), a spéculé sur l'impact d'un accès aisé à l'éducation, grâce à Internet, pour toutes les populations de la planète, si l'on découvre un moyen de capter aisément et à bas prix l'énergie solaire.

La formule chimique brute du rubrène, un hydrocarbure aromatique polycyclique, est C<sub>42</sub>H<sub>28</sub>. On l'appelle le 5,6,11,12-tétraphénylnaphthacène. © Domaine public

La formule chimique brute du rubrène, un hydrocarbure aromatique polycyclique, est C42H28. On l'appelle le 5,6,11,12-tétraphénylnaphthacène. © Domaine public

Les chercheurs de l'université Rutgers ont en effet découvert que des excitons pouvaient voyager mille fois plus loin à l'intérieur du rubrène que ce que l'on imaginait.

Des quasi-particules quantiques

Les excitons sont connus dans le domaine de l'optronique. Il s'agit de quasi-particules, propres à la physique de la matière condensée, théorisées une première fois en 1931 par le physicien russe Yakov Il'ich Frenkel. Ce sont des conséquences directes des lois de la mécanique quantique dans un matériau semi-conducteur ou isolant. Sous l'action d'un photon, une paire électron-trou (le trou est une charge positive laissée par l'éjection de l'électron de sa bande d'énergie initiale) peut se former dans ces matériaux et migrer en restant liée par la force de Coulomb (qui exprime la force électrique s'exerçant entre deux particules chargées) en formant l'analogue d'un atome d'hydrogène.

Sir Nevill Francis Mott, un grand maître de la physique du solide. © 2010 <em>Department of Physics</em>, <em>University of Cambridge</em>

Sir Nevill Francis Mott, un grand maître de la physique du solide. © 2010 Department of Physics, University of Cambridge

Lorsque que la taille de l'exciton est plus grande que celle du paramètre de maille du matériau cristallin dans lequel il se produit, on parle d'exciton de Mott-Wannier, des noms du prix Nobel de physique Nevill Francis Mott et du physicien suisse Gregory Hugh Wannier. Lorsqu'elle est plus petite on parle d'exciton de Frenkel.

Dans le cas du rubrène, ce sont plutôt des excitons de Mott-Wanier (MW) qui ont été observés. Alors que dans tous les autres semi-conducteurs organiques, leur longueur de migration ne dépasse pas 20 nanomètres, elle est ici de quelques microns. C'est d'un ordre de grandeur comparable à ce que l'on observe dans le silicium et l'arséniure de gallium des cellules photovoltaïques habituelles !

Or, dans les semi-conducteurs organiques, ce sont ces excitons qui peuvent servir à la conversion de la lumière en courant électrique et ils doivent pour cela pouvoir se diffuser sur des distances assez grandes dans les matériaux pour permettre le transfert de charge.

Un regard nouveau sur les semi-conducteurs organiques

Le rubrène très pur que les chercheurs ont utilisé pour leur découverte est pour le moment une curiosité de laboratoire, mais cela pourrait changer dans l'avenir. Surtout, cela montre que contrairement à ce que l'on pensait, des semi-conducteurs organiques peuvent être le lieu de la formation d'excitons de MW et pas de Frenkel, qui diffusent beaucoup moins loin.

Si ce n'est le rubrène, on peut penser qu'un autre semi-conducteur organique pourrait permettre de faire une percée dans le futur, ouvrant la voie à la concrétisation des rêves de Dyson.