À quelques jours de la sortie d'un blockbuster centré sur la vie du physicien Robert Oppenheimer, Futura vous propose de revenir sur la vie d'un scientifique ayant marqué durablement le XXe siècle. De ses recherches sur les trous noirs à la création de la bombe nucléaire, Oppenheimer est devenu la figure de l'homme de science brillant mais dévoré par l'hubris.
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« Je suis devenu la Mort, le destructeur de Mondes. » En 1965, Julius Robert Oppenheimer marquait l'histoire de la télévision américaine en citant d'un air mélancolique quelques vers du poème hindou Bhagavad-Gita. Ces quelques phrases deviennent l'illustration de la démesure scientifique, Oppenheimer la figure du savant dépassé par sa propre création. Un homme au destin fascinant, père de la bombe atomique, faisant l'objet d'un biopic réalisé par Christopher Nolan. Oppenheimer, dont les travaux ont permis de marquer définitivement la fin de la Seconde Guerre mondiale en 1945, reste à ce jour un passionnant sujet d'études pour les historienshistoriens et philosophes des sciences. Il est l'un des principaux représentants du dilemme moral et éthique du scientifique, et illustre l'ouverture d'une nouvelle ère dans le monde de la science contemporaine.
À l’origine du projet Manhattan
Issu d'une famille aisée, Robert Oppenheimer naît en 1904 à New York. Enfant, il s'intéresse déjà aux matières scientifiques tout en apprenant à maîtriser plusieurs langues. Admis à Harvard en 1922, il y étudie d'abord la chimie, puis la physique. Le jeune homme, loué pour ses capacités intellectuelles, semble promis à un avenir brillant. Dès son entrée en doctorat, il échange avec des personnalités de renom, telles que Niels BohrNiels Bohr, ayant édifié un modèle de structure des atomes dans les années 1910. En voyageant en Europe durant ses années universitaires, Oppenheimer renforce ses connaissances des modèles et théories de la physique alors enseignées sur le Vieux Continent. L'entre-deux-guerres est une époque de fourmillement intellectuel dans de nombreux pays : l'empirisme logique fait autorité chez les scientifiques européens, alors que la pratique de la science continue d'évoluer considérablement. Les chimistes et les physiciensphysiciens s'intéressent à l'infiniment petit et une théorie captive les universitaires, celle de la relativité générale et restreinte d’Einstein ayant émergé quelques années auparavant. Dans la continuité de la Première Guerre mondiale, l'Europe s'avère politiquement instable, fait que constate Oppenheimer. À partir de 1922 et durant les années suivantes, le fascisme et le national-socialisme s'enracinent en Italie et en Allemagne.
De retour aux États-Unis et enseignant à l'université de Berkeley, sur la côte Ouest, Oppenheimer s'inquiète des événements se déroulant en Europe. De nombreux scientifiques traversent alors l'Atlantique pour rallier les États-Unis. Parmi eux, le physicien Enrico FermiEnrico Fermi. Ce dernier, notamment célèbre pour son fameux paradoxe, affirme qu'il existe des éléments radioactifs plus lourds que l'uraniumuranium. Ses travaux aboutissent à la découverte de la fission nucléairefission nucléaire en 1938. Oppenheimer émet l'hypothèse selon laquelle la fission du noyau d'un atome puisse éjecter des neutronsneutrons, allant eux-mêmes briser d'autres noyaux, provoquant une réaction en chaîneréaction en chaîne.
Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate en 1939, des officiels du gouvernement américain s'inquiètent des avancées de l'Allemagne concernant la recherche nucléaire. L'armée américaine établit la fausse ville de Los Alamos au Nouveau-Mexique en 1943. Une équipe composée de physiciens et chercheurs américains s'affaire alors à créer une réaction en chaîne contrôlée de la fission nucléaire. L'objectif du projet Manhattan : mettre sur pied une bombe d'une puissance inégalée. Oppenheimer chapeaute le projet, sous la houlette du président Franklin D. Roosevelt, puis Harry Truman à partir de mai 1945. Le premier test d'une bombe atomique se déroule le 16 juillet 1945, sous le nom de code Trinity, et s'avère être un succès total. Car si l'Allemagne a capitulé le 8 mai, les États-Unis sont toujours en guerre contre le Japon. Le 6 août, une première bombe est larguée sur la ville d'Hiroshima, tuant près de 130 000 civils. Trois jours plus tard, le 9 août, Nagasaki est frappée. Environ 70 000 habitants perdent la vie. La puissance de la bombe « créée » par Robert Oppenheimer est démontrée. Devant la capacité de dévastation de l'arme, le scientifique se remémore les vers du Bhagavad-Gita, en guise de funeste constatation.
Un changement dans le paradigme scientifique
Quelques années plus tard, en 1962, le philosophe et scientifique Thomas Kuhn publie la Structure des révolutions scientifiques, traitant des progrès de la science au fil des siècles. L'auteur détaille dans son œuvre l'hypothèse selon laquelle la science est soumise à des paradigmes, des périodes durant lesquelles les progrès de la recherche sont conditionnés par des théories et des modèles précédemment avérés et supposément indémontables. La découverte de la fission nucléaire et la conception d'une arme surpuissante par Robert Oppenheimer et ses contemporains ouvrent un nouveau paradigme, se basant sur les thèses d'EinsteinEinstein et Fermi. À partir de la seconde moitié du XXe siècle, c'est l'ère de la big science qui s'ouvre, désignant une nouvelle conception de la recherche scientifique après la Seconde Guerre mondiale. La science occasionne désormais de plus grands investissements financiers, la création d'infrastructures importantes ou encore la supervision et le contrôle des États. Cet exemple s'illustre avec les programmes initiés par la NasaNasa dans les années 1960, la prolifération d'armes nucléaires à l'aubeaube de la guerre froide ou plus récemment la course aux vaccinsvaccins lors de la pandémie de Covid-19.
Par sa dualité et l'importance de ses travaux, Oppenheimer personnifie ces changements dans la science. L'ethos du chercheur, encadrant les caractères et les normes morales du scientifique, évolue. Il n'est plus un philosophe, un grand penseur. Pour Oppenheimer, le scientifique doit s'astreindre à réaliser la tâche lui étant attribuée et ne pas se positionner comme un « philosophe-roi ». Pourtant, cela n'empêchera pas le physicien de commenter l'aspect moral et éthique de la conception et l'utilisation d'armes aussi destructrices que la bombe nucléaire. Fortement impacté par les dégâts provoqués par les deux attaques sur le Japon, Oppenheimer militera auprès du président Truman pour une régulation stricte des bombes atomiques. Ce à quoi Truman dira du scientifique qu'il n'est qu'un « pleurnichard ». Dès 1947, l'URSS acquiert les plans grâce à un réseau d'espions infiltrés au cœur du projet Manhattan. Commence une course à l'armement nucléaire, culminant les décennies d'après en une crainte internationale de l'utilisation des bombes dans un conflit à grande échelle.
Robert Oppenheimer tombe temporairement en disgrâce dans les années 1950, alors que la paranoïa autour de la « menace rouge » croît aux États-Unis, sous l'impulsion du sénateur anti-communiste Joseph McCarthy. Le père de la bombe atomique est alors soupçonné de collusion avec des agents communistes. Réussissant tant bien que mal à laver sa réputation, Oppenheimer reçoit plusieurs décorationsdécorations dans les années 1960 pour ses travaux, tant sur le nucléaire que l'astrophysiqueastrophysique, ayant été l'un des premiers chercheurs à théoriser sur l’existence des trous noirs. Cinquante ans après sa mort en 1967, Robert Oppenheimer continue d'éveiller les passions et de susciter les débats. Une figure scientifique capitale et contrastée, dépeinte dans le nouveau métrage du cinéaste Christopher Nolan, en salles à partir du 19 juillet 2023.