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Les familles de quarks et de leptons sont rangées dans un ordre rappelant la structure de la matrice CKM. Crédit : Fermilab
Au cœur des équations de la physique moderne se trouve la notion fondamentale de symétrie. Un système physique est symétrique s'il reste invariant sous l'action d'une opération de transformation quelconque. Ainsi, une sphère est-elle invariante par rotation, un réseau cristallinréseau cristallin parfait apparaîtra invariant selon certaines opérations de translation, etc. Il se trouve que les équations décrivant les phénomènes du monde, particulièrement celles respectant les lois de la mécanique quantique et de la théorie de la relativité sont presque uniquement fixées par des exigences d'invariances par des opérations de symétries.
Ainsi l'impossibité de déterminer, à l'aide d'expériences de mécanique et d'optique, si l'on est au repos ou en mouvementmouvement à une vitessevitesse rectiligne uniforme, tout comme l'invariance de la vitesse de la lumièrevitesse de la lumière dans des référentielsréférentiels en mouvements relatifs, imposent aux lois de la physique des restrictions qui se manifestent par la théorie de la relativité restreinterelativité restreinte d'EinsteinEinstein, avec l'équivalence de la massemasse et de l'énergieénergie, la dilatationdilatation du temps et bien d'autres conséquences.
Toutefois, si les équations doivent rester invariantes, certaines de leurs solutions peuvent ne pas être symétriques dans un sens donné : on parle alors de brisure spontanée de la symétrie. L'exemple le plus connu est celui d'un crayon en équilibre sur sa pointe. L'ensemble est invariant par rotation mais, si le crayon tombe, il déterminera une direction particulière de l'espace et la symétrie aura ainsi été brisée.
Rien ne distingue les directions autour de la pointe. Mais en tombant, le crayon en choisit une. Pourquoi ? Crédit : nobelprize.org
Dans les années 1930, cette notion a été utilisée par l'un des créateurs de la mécanique quantique, Werner HeisenbergWerner Heisenberg, pour expliquer le ferromagnétismeferromagnétisme, c'est-à-dire le fait que sous une certaine température critiquetempérature critique, des matériaux pouvaient s'aimanter spontanément. Si l'on compare des atomesatomes à des petits aimantsaimants, orientés dans n'importe quelle direction par l'agitation thermique à haute température, l'ensemble n'est pas orienté en moyenne dans une direction donnée. Il y a donc bien invariance par rotation. Mais à plus basse température, les aimants atomiques finissent par s'orienter spontanément dans une seule direction et un objet macroscopique devient aimanté : la symétrie par rotation a été brisée.
Yoichiro Nambu. Crédit : Chicago University
C'est ce genre de phénomène que Yoichiro NambuYoichiro Nambu, né au Japon en 1921 et aujourd'hui naturalisé Americain, a transposé dans le domaine de la théorie quantique des champs de particules, à partir d'un exemple utilisé pour décrire une autre propriété de la matièrematière condensée, la supraconductivitésupraconductivité. En 1960, il a ainsi proposé d'appliquer la notion de symétrie brisée d'Heisenberg à la théorie des interactions nucléaires entre nucléonsnucléons, prolongeant ainsi les travaux de son compatriote japonais, Hideki Yukawa, qui avait introduit le pion (un mésonméson).
Ce faisant, cela revenait à supposer que le pion était une particule composite, anticipant de quelques années la théorie des quarksquarks de Gell-Mann, Zweig et Ne'eman !
Nambu le prophète
Au cours des années qui suivirent, Nambu fit bien plus fort. Il fut le premier à proposer que les interactions nucléaires fortes devaient être décrites par une théorie des champs de type Yang-Mills avec le groupe de Lie SU(3). C'est exactement ce que Gell-Mann et d'autres reprendront des années plus tard dans le cadre de la chromodynamique quantiquechromodynamique quantique. Yoichiro Nambu est donc le père de la notion de couleurcouleur pour les quarks.
La théorie de la brisure de symétrie dans le domaine des particules élémentairesparticules élémentaires de Nambu ne s'applique cependant pas au cas des symétries locales au cœur de la formulation des interactions fondamentales, et c'est justement pour remédier à ce défaut que Peter Higgs, François Englert et Robert Brout introduiront simultanément et quelques années plus tard le fameux mécanisme de Higgs-Englert-Brout, que l'on suppose être à l'origine des masses du modèle standardmodèle standard.
A la fin des années 1960 et au tout début des années 1970, la célébrité de Nambu était telle que certains n'hésitaient pas à dire que si quelqu'un voulait savoir quelles seraient les prochaines révolutions en physique, il fallait suivre les articles de Yoichiro Nambu !
S'ils ont raison, alors la prochaine découverte fondamentale en physique devrait bien être celle de l'exactitude de la théorie des cordesthéorie des cordes... Car c'est lui qui démontra le premier, bien que simultanément avec Léonard Susskind, que la fameuse amplitude de Veneziano pour le modèle dual des hadronshadrons pouvait être interprétée comme une excitation d'une corde. C'est pourquoi l'équation fondamentale de la théorie des cordes bosoniques est aujourd'hui appelée l'Action de Nambu-Goto.
Le prix Nobel 2008 lui est donc justement attribué pour moitié alors que lui-même vit toujours aux Etats-Unis où il exerce en tant que Henry Pratt Judson Distinguished Service Professor Emeritus au Département de Physique de l'Institut Enrico FermiEnrico Fermi.
Le reste du prix Nobel est lui attribué conjointement à deux Japonais, Makoto Kobayashi, 64 ans, professeur honoraire du centre de recherches de Tsukuba, et Toshihide Maskawa, 68 ans, professeur honoraire à l'Institut de physique théorique Yukawa.
Makoto Kobayashi. Crédit : KEK
Toshihide Maskawa. Crédit : Skobeltsyn Institute of Nuclear Physics (SINP)
En 1972, ils s'intéressèrent à la découverte d'une autre symétrie brisée en physique, la violation CP, qui implique que certaines réactions entre particules élémentaires ne se produisent pas avec une même probabilité si l'on remplace chaque particule par son antiparticuleantiparticule et que l'on considère l'image dans un miroirmiroir du dispositif expérimental avec les antiparticules à la place des particules. Kobayashi et Maskawa cherchèrent si le modèle des interactions nucléaires forte et faible connu à l'époque était susceptible de contenir cette violation de la symétrie CPviolation de la symétrie CP.
Ils découvrirent que cela n'était possible que s'il existait non pas trois types de quarks comme on le pensait à l'époque mais six, rangés en trois familles. Aux quarks dit u, d et s connus alors devaient nécessairement être ajoutés les quarks qui seront nommés plus tard c, b, et t. Cette remarquable prédiction devait être vérifiée par la suite et impliquer l'existence de trois types de neutrinosneutrinos formant trois familles de leptonsleptons, étroitement associées pour la cohérences de la théorie des interactions électrofaible et à la chromodynamique quantique, la QCD, aux trois précédentes familles de quarks.
Généralisant les travaux de l'Italien Nicola Cabibbo, les deux chercheurs introduisirent une matrice qui deviendra fameuse sous la nom de matrice CKM, ou matrice de Cabibbo-Kobayashi-Maskawa.
La matrice CKM. Crédit : physorg.com
Comme on peut le voir ci-dessus elle se représente sous forme d'un tableau de nombres avec trois lignes et trois colonnes. Les indices pour les nombres dans cette matrices sont u, d, s, c, b et t. Ce n'est pas un hasard car ces nombres indiquent, élevés au carré, des probabilités de transformation des types de quarks les uns dans les autres en raison des interactions électrofaibles.
Les travaux de Kobayashi et Maskawa sont devenus importants pour comprendre la violation CP, notamment avec des mésons portant des quarks b et une expérience entière au LHCLHC sera consacrée à ce problème. Il s'agit bien sûr du détecteur LHCb.
Cette violation CP constitue aujourd'hui un ingrédient fondamental des fameuses conditions de Sakharov pour espérer comprendre pourquoi et comment notre UniversUnivers est devenu dominé par la matière alors que le Big BangBig Bang a dû produire autant d'antimatièreantimatière. Ces travaux des deux Japonais, en plus de la prédiction de trois nouvelles familles de quarks, donnent une bonne raison de leur attribuer pour partie, au moment où démarre le LHC, le prix Nobel de physique 2008.