au sommaire
Les physiciensphysiciens membres de la collaboration Alice (A Large Ion Collider Experiment) n'ont pas chômé. Une dizaine de jours à peine après les premières collisions d’ions de plomb dans ce détecteur géant, l'une des quatre principales expériences au LHC, les résultats des premières mesures sont publiés sur arxivarxiv dans deux articles. Le premier article porteporte sur ce qu'on appelle la multiplicité des collisions, le second article aborde le paramètre d'ellipticité des collisions transverses d'ions lourds.
La multiplicité des collisions correspond en gros au nombre de particules que l'on doit obtenir en moyenne lors d'une collision à une énergie donnée.
Depuis qu'EinsteinEinstein nous avait appris que la masse était équivalente à de l'énergie, il semblait possible de produire de nouvelles particules à partir de l'énergie cinétiqueénergie cinétique d'autres particules accélérées et entrant en collision. La théorie quantique des champs relativistes du début des années 1930, œuvre essentiellement de Werner HeisenbergWerner Heisenberg, Wolfgang PauliWolfgang Pauli, Paul DiracPaul Dirac et dans une moindre mesure Enrico FermiEnrico Fermi et Hideki Yukawa, donnait une description précise de ce processus qui fut effectivement observé en accélérateur. C'est ainsi, par exemple, qu'on découvrit l'antiproton en 1955. Il n'est pas difficile d'en déduire qu'en montant en énergie, il devient possible de créer de plus en plus de particules et c'est bien ce qu'on observait jusqu'à présent.
De gauche à droite : Fermi, Heisenberg, Pauli. © F. D. Rasetti, AIP Emilio Segrè Visual Achives
Le paradoxal monde des quarks et des gluons
Toutefois, les équationséquations de la chromodynamique quantiquechromodynamique quantique (la QCD) suggéraient une prédiction bien différente (rappelons que la QCD est la théorie des interactions nucléaires fortes entre les quarksquarks et les gluonsgluons composant les protonsprotons et neutronsneutrons des noyaux). Ces équations sont difficiles à résoudre et il est parfois nécessaire d'avoir recourt à des ordinateursordinateurs (comme pour la détermination de la masse du proton) et souvent à des approximations, pour en tirer une information comparable à l'expérience.
Les quarks et les gluons sont totalement différents des particules plus conventionnelles de l'électrodynamique quantiqueélectrodynamique quantique.
Alors que de la lumièrelumière n'attire pas de la lumière, les gluons (les photonsphotons des forces nucléaires fortes), eux, se couplent entre eux ! La force électrique entre deux particules chargées décroît avec la distance les séparant, à l'inverse de ce qui se produit avec les forces nucléaires fortes entre les quarks. Des modèles simples étaient utilisés pour décrire ce qui devait se passer dans les collisions d'ions de plomb au LHC, collisions avec des énergies 13 fois plus élevées que celles atteintes au RHIC de Brookhaven (avec des noyaux d'or). Du fait du comportement des gluons, beaucoup de ces modèles simples prédisaient une multiplicité... plus faible ! Or, ce n'est pas ce qui a été observé dans les collisions avec Alice : dans ces collisions, les noyaux de plomb portaient une énergie individuelle d'environ 287 TeV ! Ce qui en fait revient à 3,5 TeV par proton ou neutron.
Le ménage a donc été fait parmi les modèles concurrents des collisions d'ions lourds.
Le second article de la collaboration Alice, sur le paramètre d'ellipticité des collisions transverses d'ions lourds, est plus intéressant encore.
Une chronologie en temps, température et énergie par particule de l'univers. © The Particle Data Group
Un univers liquide quelques microsecondes après le Big Bang
On fait intervenir ce paramètre d'ellipticité lorsque les noyaux n'entrent pas frontalement en collision et que l'on cherche, en gros, à décrire la forme et le comportement de ce qu'on appelle la « boule de feufeu ». Celle-ci est composée des particules produites par les collisions. Elle entre en expansion sous l'effet de sa propre pressionpression interne, avant de se refroidir.
On s'attendait à ce que la boule de feu entre en expansion de façon sphérique, comme un gazgaz. Ce gaz, plus de mille milliards de fois plus chaud que le cœur du SoleilSoleil, devait être un plasma de quarks et de gluons libres très denses. Ces conditions de température et de densité sont en effet nécessaires pour que ces particules ne forment plus des protons et des neutrons et soient libres de se déplacer pendant un bref instant avant de se lier à nouveau en hadronshadrons. Or, les observations et la mesure de l'ellipticité à RHIC en 2005, montraient que l'on était en présence... d'un liquideliquide !
La question était donc de savoir si ce comportement devait persister à des énergies plus élevées. D'autant plus que certains calculs, y compris ceux menés avec la théorie des cordesthéorie des cordes dans la cadre de la correspondance AdS-CFT, l'impliquaient.
C'est effectivement ce que l'on a observé ! À nouveau, certains modèles ont été éliminés et surtout, la théorie des cordes est toujours en lice ! Par contre, il va falloir attendre un peu pour savoir ce que les observations signifient en terme de viscositéviscosité pour le liquide. Dans le cas de RHIC, à plus basses énergies, le liquide de quarks-gluons était très faiblement visqueux.
Ce résultat est d'une grande importance. On pense que si l'on remonte dans la passé, lorsque l'universunivers observable était âgé de moins de 10-6 s, et bien après l'hypothétique phase d'inflation (voir le schéma ci-dessus), ce liquide de quarks-gluons devait être l'état de la matièreétat de la matière dans l'univers.