On sait les produire depuis 15 ans mais ils restaient jusque-là insaisissables : des atomes d’antihydrogène viennent d'être piégés pendant une éternité – un dixième de seconde – par des chercheurs du Cern. De quoi les étudier tranquillement et, peut-être, en apprendre plus sur l’énigme de l’antimatière cosmologique et sur l'existence de l’antigravité.

au sommaire


    Une vue d'artiste d'un atome d'antihydrogène piégé par des aimants. © Katie Bertsche

    Une vue d'artiste d'un atome d'antihydrogène piégé par des aimants. © Katie Bertsche

    Depuis la découverte théorique de l'antimatière par Paul DiracPaul Dirac en 1928, la découverte expérimentale de l'antiélectron en 1932 par Carl Anderson et la production d'antiprotons en 1955, il aura fallu du temps pour créer des antiatomes d'hydrogène. L'exploit fut réalisé au Cern en 1995 et ce n'est qu'en 2002, lors de l'expérience Athena, que des antiatomes ont pu être produits en grandes quantités.

    Entre-temps, l'antimatière est devenue une réalité grâce aux accélérateurs de particules. La médecine se sert même du positron, l'antiparticule de l'électronélectron, dans la tomographietomographie par émissionémission de positrons (TEPTEP). Cette méthode d'imagerie médicale mesure en trois dimensions l'activité métabolique d'un organe grâce aux émissions de positrons issus de la désintégration d'un produit radioactif injecté au préalable.

    Il ne s'agit là que de particules et non d'atomesatomes. Certes, on avait déjà créé et observé, en 1951, des états liés de particules d'antimatière, comme le positronium (un électron et un antiélectron), mais c'est une tout autre affaire de construire l'équivalent d'atomes dont on aurait inversé les signes des charges de chacune des particules et surtout de les piéger.

    C'est l'exploit qui vient d'être réussi au Cern, avec l'expérience Alpha (Antihydrogen LaserLaser Physics Apparatus), qui a produit des atomes composés d'un antiprotonantiproton et d'un antiélectron (ou positron) et qui permet d'en envisager l'étude.

    Les mystères de l'antimatière

    La grande question est de savoir si des antiatomes sont vraiment les équivalents des atomes de matièrematière. Ont-ils les mêmes spectres d'émissionsspectres d'émissions ? Autrement dit, la lumièrelumière d'une antigalaxie est-elle indiscernable de celle d'une galaxiegalaxie composée de matière « normale » ? Tombent-ils de la même façon dans le champ de gravitationgravitation de la Terre ou d'un trou noirtrou noir ? On a des raisons théoriques de répondre par l'affirmative à ces questions, mais comme toujours en science, c'est à l'expérience d'en décider...

    Il existe ainsi un puissant théorèmethéorème mathématique prouvé d'abord par le prix Nobel de physiquephysique Julian Schwinger en 1951, puis de façon plus rigoureuse et complète en 1954 par Gerhart Lüders et Wolfgang PauliWolfgang Pauli : le théorème CPTthéorème CPT. Ce théorème doit être valable pour toutes les théories quantiques de champs relativistes.

    Il stipule que ces théories, comme celles décrivant le modèle standardmodèle standard des particules élémentairesparticules élémentaires, doivent présenter une propriété appelée symétrie CPT. Celle-ci affirme que si toutes les particules de l'universunivers observable étaient changées en leur antiparticule, aucune expérience ne pourrait nous permettre de le savoir. Si ce n'était pas le cas, il faudrait probablement revoir les fondements de la théorie de la relativité restreinterelativité restreinte et l'on serait en présence d'une violation de l'invariance de Lorentz.

    On se demande aussi depuis longtemps si une particule d'antimatière ne se comporte pas comme une charge électrique du point de vue de la gravitation. Le cas échéant, on pourrait introduire la notion d'antigravité et donc imaginer des forces répulsives. Pour le moment, les expériences ne sont pas favorables à cette conclusion mais il s'agit peut-être d'une simple question de sensibilité des instruments.

    Une vue générale de l'expérience Alapha au Cern. © Cern-Maximilien Brice

    Une vue générale de l'expérience Alapha au Cern. © Cern-Maximilien Brice

    La parole est aux expériences

    Afin d'aborder ces problèmes de façon expérimentale, il est nécessaire de créer des atomes d'antihydrogène. Pour répondre à la première question (les antiatomes sont-ils vraiment les équivalents des atomes de matière ?), on peut étudier les transitions atomiques d'un tel atome afin de déterminer si elles sont identiques à celles d'un atome d'hydrogène. Pour cela, il faut disposer d'un gazgaz d'antiatomes d'hydrogène très froid et provoquer des transitions à l'aide d'un laser ou de microondes.

    Pour répondre à la seconde question (une particule d'antimatière ne se comporte-t-elle pas comme une charge électrique du point de vue de la gravitation ?), on peut étudier la répartition de la densité d'un gaz d'antiatomes d'hydrogène (refroidi à quelques millikelvins) selon l'altitude dans un piège atomique.

    Dans tous les cas, il faut disposer d'antiatomes d'hydrogène piégés. C'est ce qu'a réussi à faire le groupe de chercheurs du Cern travaillant sur l'expérience alpha. Dans un premier temps, une partie des protonsprotons initialement destinés au LHCLHC ont été accélérés pour entrer en collision avec une cible fixe en métalmétal. Des antiprotons ont alors été produits, décélérés, refroidis et stockés dans l'Antiproton Decelerator (AD) du Cern.

    Parallèlement, des positrons issus de la désintégration radioactive d'un isotopeisotope du sodiumsodium, 22Na, ont été collectés. Les paquetspaquets d'antiprotons et de positrons à basses énergiesénergies sont ensuite injectés dans un piège où ils se combinent pour former des antiatomes d'hydrogène neutres. On les maintient dans ce piège à l'aide d'un champ magnétiquechamp magnétique. Ces atomes possèdent en effet un moment magnétiquemoment magnétique et se comportent donc comme de petits aimantsaimants.

    Le Vatican peut dormir tranquille...

    Sur les milliers d'atomes d'antihydrogène produits lors de l'expérience Alpha, seuls 38 ont été piégés suffisamment longtemps pour être étudiés, mais ce nombre devrait rapidement augmenter. L'exercice est délicat car il est difficile d'empêcher de tels atomes d'entrer en contact avec des protons ou des électrons, lesquels s'annihilent avec leurs antiparticules correspondantes. On arrive tout de même à piéger les antiatomes pendant un dixième de seconde.

    Si une différence de comportement entre matière et antimatière était observée, cela permettrait peut-être d'expliquer pourquoi il n'existe quasiment pas d'antimatière dans notre univers observable. Nous en sommes presque sûrs mais l'expérience AMSAMS qui va bientôt prendre place à bord de l'ISSISS pourrait nous apporter des surprises.

    En attendant, les membres de l'expérience Alpha ont publié dans Nature les résultats de leurs travaux. Inutile de préciser que la quantité d'antihydrogène stockée est si faible qu'on n'est pas près de réaliser la bombe du roman Anges et Démons de Dan Brown, qui mettait le Vatican en péril...

    On peut aussi consulter une vidéo (en anglais) dans laquelle le porteporte-parole de la collaboration Alpha, Jeffery Hangst, répond aux questions suivantes : Qu'est-ce que l'antimatière ? Que faites-vous avec l'expérience Alpha ? Quoi de neuf à ce sujet ? Quel est le but de la recherche avec de l'antimatière ? Combien de personnes travaillent sur Alpha ? Quel est le budget ? Pouvez-vous décrire l'appareil au Cern ? Comment savez-vous que vous avez fait de l'antihydrogène ?