La première explosion nucléaire en 1945 a fait fondre le sol environnant et l'équipement local impliqué dans le fonctionnement de la bombe atomique à l'allumage des réactions de fission. Dans les conditions de pression et de température infernales de cette explosion est née une roche encore inconnue de l'humanité, la tritinite. Tout comme certaines météorites issues de collisions entre astéroïdes, cette trinitite contient des cristaux exotiques que l'on croyait impossibles avant leur découverte théorique par le prix Nobel de physique Roger Penrose.
au sommaire
Tout le monde le sait, la kryptonite se décline en plusieurs couleurs, bien qu'elle soit verte le plus souvent. Mais qui connaît l'existence de la trinitite verte et de la trinitite rouge ? Qui connaît d'ailleurs tout simplement ce qu'est la trinitite ? En général et de l'expérience de l'auteur de cet article, personne. Pourtant, la trinitite est bien réelle et elle n'existe pas dans le monde de Superman, c'est une roche qu'Homo sapiensHomo sapiens a créé sur Terre il y aura bientôt 80 ans en réussissant tel un moderne Prométhée à voler le feu du Soleil.
La trinitite est née en effet le 16 juillet 1945, dans l'État du Nouveau-Mexique aux États-Unis, lors de l'explosion de la toute première bombe nucléaire. Son nom dérive de celui donné par Oppenheimer à l'essai connu en anglais sous le nom de Trinity. Lorsque la réaction en chaîne des neutrons avec des noyaux de plutoniumplutonium a illuminé le site d'Alamogordo à une cinquantaine de kilomètres de la ville de Socorro, l'énergieénergie libérée a été estimée à environ 21 kilotonnes de TNT et elle a produit une bulle de plasma à plusieurs milliers de degrés, faisant fondre la tour métallique portant la bombe atomique, le cuivrecuivre des câbles présents et le sablesable du désertdésert sous la bombe.
Une partie de la matièrematière vaporisée s'est mélangée avant de se condenser en goutte chaude pleuvant sur le site et donnant en fin de refroidissement la roche nouvelle appelée trinitite. Si l'on ne peut plus récolter librement cette roche depuis des décennies sur le site d'Alamogordo, on peut toutefois encore acheter à bas prix des échantillons de trinitite, tentez par exemple votre chance sur le site de la Galerie Alain Carion.
La trinitite est le célèbre verre généralement de couleur verte formé par le test de la Trinité et que les touristes peuvent voir sur le site aujourd'hui. Val Fitch, vétéran du projet Manhattan, se souvient avoir collecté de la trinitite après le test, et Jim Eckles explique comment le matériau s'est formé. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © AtomicHeritage
La trinitite rouge et les quasi-cristaux
Alors que l'année 2023 se termine et quelques mois après le biopic sur Oppenheimer, dont le sujet n'était ni l'histoire du projet Manhattan ni celui de la physiquephysique et des armes nucléaires, on peut se souvenir également d'une découverte faite il y a quelques années dans un échantillon de trinitite rouge et qui avait fait l'objet d'une publication dans PNAS..
Une équipe menée par le géologuegéologue Luca Bindi de l'université de Florence, en compagnie du physicienphysicien Paul Steinhardt, tous les deux bien connus pour leurs fascinations des quasi-cristaux et leurs aventures à leur recherche, avait en effet mis en évidence ces cristaux considérés encore comme impossibles il y a 50 ans dans de la trinitite rouge.
Les chercheurs s'en doutaient car on sait maintenant que ces cristaux exotiquesexotiques se forment dans des environnements extrêmes qui existent rarement sur Terre, avec un choc, une température et une pressionpression extrêmes. De fait, Bindi et Steinhardt en avaient trouvé dans une météorite tombée en russie. De plus, on savait que les quasi-cristaux ont tendance à se trouver dans les matériaux les plus riches en métauxmétaux, ce qui dans le cas de la trinitite voulait dire riche en cuivre et paradoxalement de couleur rouge et pas verte.
De fait, à l'aide de techniques telles que la microscopie électronique à balayage et la diffractiondiffraction des rayons Xrayons X, l'un des six petits échantillons de trinitite rouge analysés a livré la présence d'un quasi-cristal de formule chimique Si61Cu30Ca7Fe2.
Piste noire
Le lecteur aura remarqué que nous n'avons pas vraiment expliqué ce que sont les quasi-cristaux. C'est l'occasion de le faire maintenant en reprenant le contenu d'un article précédent de Futura.
Tout le monde sait que les cristaux fascinent l'Homme depuis longtemps et il suffit de voir des quartzquartz en gerbe pour le comprendre. Le génial dessinateur Moebius a particulièrement fait écho de cet attrait. Derrière cette fascination, il y a la notion de symétrie mathématique et de réseaux cristallins à partir d'atomesatomes en physique.
La théorie des réseaux cristallins est ancienne puisqu'elle remonte au XIXe siècle, avec Bravais. Les mathématiciensmathématiciens ne tardèrent pas à s'y intéresser de plus près et à mobiliser la discipline alors toute récente de la théorie des groupes. C'est ainsi que Arthur Moritz Schönflies fut à l'origine d'un classement des cristaux et réseaux cristallins possibles constitués d'atomes à l'aide des groupes ponctuels de symétrie dans l'espace.
Un jeu mathématique devenu une réalité physique
Des travaux des mathématiciens, il résultait qu'un pavage périodique dans le plan avec des objets possédant une symétrie d'ordre 5, par exemple un pentagone, était une impossibilité. Par ordre de symétrie on entend en l'occurrence un nombre de rotations nécessaires pour amener un objet à l'identique. Ainsi, un objet avec une symétrie d'ordre 2 autour d'un axe est invariantinvariant à la suite de deux rotations de 180° autour de cet axe, alors qu'un objet avec une symétrie de rotation d'ordre 4 nécessitera quatre rotations de 90°. Jusqu'au milieu des années 1970, on pensait aussi que tout pavage du plan devait se réduire à un pavage périodique. Ce fut donc une surprise quand le mathématicien Roger Penrose, bien connu pour ses travaux en relativité générale, trouva un contre-exemple.
À l'origine, il ne s'agissait que de mathématiques récréatives, du genre de celles qu'affectionnait Martin Gardner, mais ce qui est aujourd'hui connu comme le pavage du plan par des tuilestuiles de Penrose permettait effectivement de réaliser un pavage non pas périodique mais quasi-périodique du plan avec des structures possédant une symétrie d'ordre 5.
La théorie de Penrose était pourtant en contact avec le monde réel et l'on a commencé à trouver des quasi-cristaux naturels dès les années 1980.