Une équipe de chercheurs français et américains a réussi à déterminer plus précisément la structure du noyau le plus riche en neutrons que l’on connaisse sur Terre : l’hélium 8. Créé en laboratoire et très instable, son étude nous renseignera sur la théorie des forces nucléaires et la structure des étoiles à neutrons.
Ibrahim Sulai et Peter Mueller devant un piège laser. Crédit : Argonne Laboratory

Ibrahim Sulai et Peter Mueller devant un piège laser. Crédit : Argonne Laboratory

L'8He, ou hélium 8, est un noyau radioactif, de demi-vie de 118 millisecondes, qui décroît par radioactivité bêta moins (émission d'un électron). Pour cette raison, il n'existe pas à l'état naturel sur Terre et il faut le synthétiser dans des accélérateurs de particules. C'est ce que savent faire les chercheurs français du Grand Accélérateur National d'Ions Lourds (Ganil), installé à Caen. Peter Mueller et son étudiant thésard Ibrahim Sulai (qui travaillent au laboratoire d'Argonne aux Etats-Unis) ont réussi à piéger suffisamment de noyaux d'hélium 8 d'un faisceau produit au Ganil pour déterminer plus précisément la structure en couches de ce noyau hors norme.

Parmi les noyaux liés connus actuellement, celui de l'hélium 8 possède le plus grand rapport du nombre de neutrons sur celui de protons (N/Z = 3). Déterminer précisément sa structure permettrait de départager différents modèles nucléaires dont les prédictions divergent à mesure que l'on considère des noyaux de plus en plus riches en neutrons. Ce noyau est dit exotique car il développe une structure inhabituelle, un cœur d'4He (c'est la particule alpha) entouré de quatre neutrons. 

Différents isotopes d'hélium tous caractérisés par un noyau d'hélium 4 avec deux neutrons (bleus) et deux protons (rouges). Crédit : <em>Argonne Laboratory</em>

Différents isotopes d'hélium tous caractérisés par un noyau d'hélium 4 avec deux neutrons (bleus) et deux protons (rouges). Crédit : Argonne Laboratory

En 2004, les chercheurs d'Argonne avaient déjà réussi à étudier un autre noyau exotique. Il s'agissait de l'hélium 6 et ils avaient découvert que les deux neutrons supplémentaires s'organisaient pour former une sorte d'halo autour d'un cœur d'hélium 4 mais avec toutefois une nette tendance à créer le plus souvent une structure asymétrique (voir la figure). Dans le cas de l'hélium 8, un phénomène semblable, quoique plus symétrique, vient d'être observé et là aussi on peut se faire une idée de la structure de l'hélium 8 avec le même schéma.

Ces noyaux d'hélium 8 si instables sont fabriqués en faible quantité dans des réactions nucléaires produites par des faisceaux de particules. Au Ganil, on peut par exemple les obtenir en bombardant une cible de carbone avec un faisceau d'ions stables de carbone 13, accélérés à 975 millions d'électrons-volts. Les chercheurs ont d'abord filtrer le faisceau d'ions obtenus en piégeant uniquement des noyaux d'hélium 8 avec une série de six lasers formant un piège magnéto-optique.

De la spectroscopie atomique pour étudier le noyau

Une fois récupérés suffisamment de noyaux, on peut déterminer plus précisément leur structure en les illuminant avec une paire de faisceaux laser dont la fréquence est réglable. Il devient alors possible de faire de la spectroscopie d'une façon similaire à celle que l'on sait faire avec les niveaux d'énergie électroniques des atomes. On détermine la fréquence de résonance correspondant à une transition quantique atomique mais comme celle-ci dépend de la répartition des charges dans le noyau on peut remonter à cette dernière.

Les mesures sont ensuite comparées avec les prédictions théoriques faites par Gordon Drake et ses collaborateurs de l'Université de Windsor dans l'Ontario au Canada. C'est ainsi que la structure nucléaire peut être déterminée et mise en relation avec les modèles de forces nucléaires entre les nucléons dans des noyaux exotiques.

Les chercheurs d'Argonne envisagent actuellement la construction du Facility for Rare Isotope Beams (FRIB), une source de noyaux exotiques qui permettrait par exemple de produire mille fois plus de noyaux d'hélium 8 qu'au Ganil. Cela permettrait aux chercheurs du monde entier de continuer à explorer le domaine encore mal connu des noyaux exotiques.