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Albert Einstein, que l'on ne présente plus, est à l'origine de la découverte théorique des phonons. © DP
C'est au XIXe siècle que les fondements de la thermodynamique macroscopique ont été développés, ainsi que leurs bases microscopiques, la théorie cinétique des gaz de Maxwell et Boltzmann. EinsteinEinstein et Gibbs bâtiront sur ces fondations pour découvrir indépendamment la thermodynamique statistique, ce qui permettra à Einstein de comprendre les quanta de PlanckPlanck, que celui-ci avait introduits dans ses travaux sur le corps noir, bien mieux que Planck lui-même. Comprenant aussi avant tout le monde le caractère général de la quantificationquantification de l'énergie, Einstein ne tarda pas, après avoir démontré la nécessité d'introduire des grains de lumière, à se servir de la théorie des quanta pour expliquer le comportement anormal, dans le cadre de la thermodynamique statistique classique, de la capacité thermique des solides cristallins.
Le phénomène fait intervenir le fait que, tout comme les excitations du champ électromagnétiquechamp électromagnétique sous forme d'ondes doivent donner lieu à l'apparition de quanta d'énergie (les photonsphotons), les vibrationsvibrations des réseaux cristallins produisent des ondes élastiquesondes élastiques auxquelles les règles de la mécanique quantiquemécanique quantique imposent une structure là aussi corpusculaire au niveau de l'énergie. On obtient donc l'analogue des quanta de lumière mais, comme il s'agit ici d'ondes sonoresondes sonores se propageant dans le réseau cristallinréseau cristallin, on parle de phononsphonons.
Toutefois, la théorie d'Einstein, qui avait été complétée par les travaux de Peter Debye, ne semblait pas s'appliquer facilement au calcul de la capacité thermique des liquidesliquides. La raison en est à première vue simple. Les atomes ou les moléculesmolécules d'un liquide ne sont pas contraints d'osciller autour de positions d'équilibres fixes correspondant, par exemple, aux nœudsnœuds d'un réseau cristallin cubique simple. Ces atomesatomes et molécules sont libres de se déplacer dans toute la massemasse du liquide. On peut, en théorie, appliquer les équationséquations de la mécanique statistique quantique à la détermination par le calcul de la capacité thermique des liquides. Mais ces calculs vont dépendre d'une façon compliquée des détails de la forme des interactions microscopiques entre les atomes et les molécules du liquide considéré.
Pourtant, dès les années 1940, l'un des plus grands physiciensphysiciens russes de la première moitié du XXe siècle, Yakov Frenkel, pensait autrement. Il n'avait pas été écouté...
Le grand physicien russe Yakov Frenkel (1894-1952). © Wikipédia
Yakov Frenkel fait partie de cette génération de physiciens et de mathématiciensmathématiciens russes et ukrainiens du début du XXe siècle prodigieusement douée (on peut citer Gamow, Zel'dovich et Gelfand).
En occident, du fait de la guerre froide en particulier, beaucoup de leurs découvertes sont restées longtemps ignorées alors qu'ils avaient devancé bien des chercheurs. Frenkel est tout de même connu comme l'un des grands maîtres de la physiquephysique des solides, notamment en raison de ses travaux de pionniers sur les excitons, mais ses compétences s'étendaient à presque tous les domaines scientifiques, à l'image de l'un de ses élèves, le génial Lev Landau.
Il a ainsi été un des premiers à proposer le modèle de la dynamo pour expliquer le champ magnétiquechamp magnétique de la Terre, devancé Bohr et Wheeler pour la formulation du modèle de la goutte liquide pour le noyau et la fissionfission et même arpenté le territoire des gaz quantiques dégénérés à l'intérieur des étoilesétoiles avant Chandrasekhar.
Un modèle simple pour tous les liquides
Toujours est-il qu'au début des années 1940, Frenkel avait eu une nouvelle idée pour attaquer le problème de la capacité thermique des liquides. On savait bien sûr depuis longtemps que le son se propageait dans les liquides. Or, si l'on considère des fréquencesfréquences de propagation suffisamment courtes, on est confronté à des temps qui sont inférieurs à des temps de mouvementsmouvements associés aux mouvements moyens, en quelque sorte, des atomes et molécules d'un liquide. De la même façon qu'un glacierglacier s'écoule ou que le manteaumanteau de la Terre convecte comme un liquide sur des échelles de temps longues, un liquide peut être considéré comme un solide sur une échelle de temps courte. On pouvait donc penser introduire une description simple et générale en terme de phonons par ce biais, largement indépendante de toutes les complications des interactions entre les atomes ou molécules du liquide.
Frenkel n'avait pas beaucoup développé cette idée et personne ne l'avait suivi... jusqu'à aujourd'hui. Trois physiciens russes viennent en effet de publier un article que l'on peut trouver sur arxiv, dans lequel non seulement ils donnent des développements mathématiques aux idées de Frenkel mais aussi les résultats d'expériences testant ces idées.
La théorie prédisait entre autres une chute de la capacité thermique des liquides avec l'élévation de la température. C'est bien ce qui a été observé avec 21 liquides dans des conditions de température et de pressionpression variées. Les chercheurs ont ainsi constaté un très bon accord entre théorie et expérience pour des métauxmétaux liquides comme le mercure et le potassiumpotassium, des gaz rares liquéfiés comme l'argonargon et le kryptonkrypton ou encore des liquides moléculaires comme l'azoteazote liquide et le monoxyde de carbonemonoxyde de carbone.