La théorie de la relativité générale d'Einstein indique que la lumière attire la lumière et les ondes gravitationnelles les ondes gravitationnelles sous l'effet de la gravitation, comme le prédit la théorie de Newton pour des corps matériels. Dès lors, depuis presque un siècle on s'interroge sur la possibilité que la matière soit simplement elle aussi une concentration de rayonnement maintenue par sa propre gravitation. Mais cela veut-il dire qu'un trou noir peut se former en comprimant de la lumière, par exemple lors des grandes fluctuations de densité d'énergie pendant le Big Bang ? Un groupe de physiciens a cherché la réponse en utilisant notamment la mécanique quantique.


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    Dès qu’Einstein a mis un point final à sa théorie de la relativité générale à la fin de l’année 1915, il savait que sa théorie n'était que provisoire et qu'elle laissait bon nombre de problèmes irrésolus. Dans les grandes lignes, il y en avait au moins trois.

    D'une part, l'interprétation géométrique de la gravitation suggérait que la force électromagnétique devait provenir d'une généralisation d'une théorie géométrique de l'espace-temps, unifiant dans un cadre commun les deux forces. D'autre part, il fallait trouver une manière de déduire l'existence des particules de matière à partir de ces nouveaux fondements de la physique, et donc toujours dans le même paradigme, à partir de structures géométriques voire topologiques nouvelles de l'espace-temps.

    Dans le premier cas, il faut donc une théorie unifiée des forces et dans le second cas, une théorie non dualiste des sources corpusculaires des champs de force, c'est-à-dire à l'époque d'EinsteinEinstein les protons et les électrons - les neutronsneutrons et encore moins les neutrinosneutrinos ou les mésonsmésons pipi des forces nucléaires faiblesforces nucléaires faibles et fortes n'étaient pas encore connus.

    Nul doute qu'Einstein avait aussi présent à l'esprit le problème de l'existence des quanta de lumièrelumière et des niveaux d'énergieénergie discrets des atomesatomes et des moléculesmolécules. Quelques années plus tard, après la découverte des équationséquations fondamentales de la mécanique quantique par Heisenberg, Born, Schrödinger, Dirac et von Neuman, il entreprit même de dériver ces équations à partir d'une théorie unifiée et non dualiste généralisant donc sa théorie relativiste de la gravitation.

    Un programme d'Einstein repris par le directeur de thèse de Feynman

    Ce programme fut repris en partie par John Wheeler, des années 1950 aux années 1960, dans plusieurs articles que l'on peut trouver dans un livre portant le titre en anglais de geometrodynamics explorant le contenu physique, géométrique et topologique de la relativité généralerelativité générale en tentant d’aller au-delà, inspiré par des analogiesanalogies avec les théories de l'hydrodynamique (une théorie non linéaire, comme celle de la relativité générale) et de l'électrodynamique (qui prédit un rayonnement, comme la théorie d'Einstein avec les ondes gravitationnellesondes gravitationnelles).

    Ainsi, on sait par exemple que la force de gravitationforce de gravitation dans la théorie d'Einstein est reliée non seulement à une distribution ordinaire de massemasse mais aussi d'énergie et de quantité de mouvementsquantité de mouvements. On pouvait donc imaginer que les électrons et les protons étaient des concentrations de champ électromagnétiquechamp électromagnétique, des paquetspaquets de lumière même, si denses que la force de gravitation de la distribution d'énergie électromagnétique maintenait concentrée sous forme d'une particule.

    John Wheeler avec derrière lui une illustration du fait qu'on peut construire en relativité générale des particules chargées sans véritable charge électrique en considérant un trou de ver piégeant des lignes de champs électriques. Il s'agit bien sûr ici d'une analogie en 2D pour une situation en 3D avec une topologie de l'espace différente de celle d'un espace sans pont d'Einstein-Rosen. Wheeler décrivait l'idée en anglais dans sa théorie de la <em>geometrodynamics</em> par « <em>charge without charge »</em>, une charge sans charge. © Princeton University, Courtesy of AIP Emilio Segrè Visual Archives
    John Wheeler avec derrière lui une illustration du fait qu'on peut construire en relativité générale des particules chargées sans véritable charge électrique en considérant un trou de ver piégeant des lignes de champs électriques. Il s'agit bien sûr ici d'une analogie en 2D pour une situation en 3D avec une topologie de l'espace différente de celle d'un espace sans pont d'Einstein-Rosen. Wheeler décrivait l'idée en anglais dans sa théorie de la geometrodynamics par « charge without charge », une charge sans charge. © Princeton University, Courtesy of AIP Emilio Segrè Visual Archives

    Wheeler avait appelé ces particules de « masse sans masse » issues d'une géométrie généralisée des géons et, quelques années plus tard, il avait étudié avec Dieter Brill les cas où les géons seraient simplement des paquets d'ondes gravitationnelles si denses que là aussi leur propre gravitégravité en maintenait la cohésion sous la forme de particules de matière, ajoutant la possibilité d'une influence des neutrinos, considérés comme sans masse à son époque.

    Ces idées n'ont jamais vraiment abouti pour plusieurs raisons, par exemple le fait que ces concentrations dans les théories de Wheeler n'étaient pas vraiment stables et devaient donc se dissiper en rayonnant l'énergie temporairement agglutinée, ou encore devoir s'effondrer en donnant des trous noirstrous noirs, ce qui n'est clairement pas possible pour donner des protons, notamment dont le rayon est bien plus grand que s'ils étaient des trous noirs pour leur masse.

    L'idée générale de particules de matière classiques interprétées comme des paquets d'énergie avait aussi été initialement baptisée par Wheeler du nom de « kugelblitz » avant de devenir « géon ». Par la suite, les théoriciens ont utilisé le terme de kugelblitzfoudrefoudre en boule », en allemand) pour désigner des trous noirs qui seraient produits par l'effondrementeffondrement gravitationnel d'un paquet dense de lumière.

    On pouvait d'ailleurs imaginer que les particules de matière noirematière noire soient des kugelblitz en ce sens formées pendant le Big BangBig Bang, alors que le cosmoscosmos observable pouvait être considéré comme un gazgaz dense de photonsphotons ou une sorte de fluide de lumière avec des fluctuations de densité conduisant certaines d'entre elles à passer sous le fameux rayon de Schwarzschildrayon de Schwarzschild d'une concentration de matière donnée, donnant dès lors un horizon des événementshorizon des événements et donc un minitrou noir.

    L'effet Schwinger et la formation des « kugelblitz »

    Mais, si l'on en croit une publication à paraître dans Physical Review Letters et récemment déposée sur arXiv par une équipe de physiciensphysiciens en poste au Canada ou en Espagne aux universités de Waterloo et Complutense de Madrid, dont Eduardo Martín-Martínez, professeur de mathématiques appliquées et de physique mathématique affilié à l'Institut Périmètre de physique théorique, des kugelblitz ne peuvent pas se former.


    Julian Schwinger fut l’un des plus importants physiciens théoriciens du XXe siècle essentiellement connu du grand public cultivé par ses travaux sur la théorie quantique relativiste du champ électromagnétique pour lesquels il reçut en 1965 le prix Nobel de physique avec Feynman et Tomonaga. Mais les contributions de Schwinger allaient au-delà. On lui doit également des cours sur la mécanique quantique et la relativité comme le montre cette vidéo. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © DP

    En fait, Wheeler avait déjà prévenu que ses géons, pour être crédibles, devaient tenir compte d'effet quantique. C'est précisément ce qu'ils ont fait en considérant ce qui se passerait en comprimant par exemple de façon sphérique une distribution de lumière. Le champ électromagnétique dans la distribution en cours de compression devient alors de plus en plus intense au point que finit par s'enclencher un processus de création de paires d'électrons et de positronspositrons, leurs antiparticulesantiparticules, en raison des lois de l'électrodynamique quantiqueélectrodynamique quantique et avec ce que l'on appelle l'effet Schwinger (p. 96)), du nom du prix Nobel de physique qui l'a découvert.

    En gros, cet effet repose sur le fait que la mécanique quantiquemécanique quantique prédit que le vide est rempli de paires de particules virtuelles qui apparaissent et disparaissent en violant temporairement la loi de la conservation de l'énergie via une des inégalités de Heisenberginégalités de Heisenberg décrivant des fluctuations quantiques de l'énergie. Sous l'effet d'un champ électriquechamp électrique, ces particules évanescentes dites virtuelles peuvent alors être séparées dans le cas de paires chargées, comme justement des électrons et des positrons. Si le champ électrique est suffisamment intense, il fournit une énergie équivalente à celle des masses des paires de particules et il les sépare - de virtuelles, les particules deviennent réelles et ne violent pas, même temporairement, la loi de la conservation de l'énergie puisque celle-ci est fournie par le champ électrique.

    Les calculs montrent alors que plus on tente de comprimer le paquet de rayonnement, plus son énergie « fuit » sous la forme d'un flux d'électrons et de positrons créé par le champ électrique du rayonnement, empêchant in fine d'atteindre la densité d'énergie nécessaire pour obtenir un trou noir.