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Après le développement spectaculaire de l'astrophysique nucléaire des années 1950 à 1970, on a assisté depuis les années 1980 à celui d'une nouvelle branche de l'astrophysique, celle des astroparticules. Elle permet cette fois-ci de tester des phénomènes prédits par la physique des particules élémentaires, qu'elle relève du modèle standard ou d'une nouvelle physique, en utilisant étoiles et galaxiesgalaxies comme des laboratoires disposant de moyens extrêmes. Elle permet également de mieux comprendre les astresastres et même l'universunivers observable en utilisant la physique des particules. On peut citer à cet égard les mesures du flux de neutrinosneutrinos du SoleilSoleil et de la supernova de 1987, ainsi que les travaux sur la matière noire ou les monopôles magnétiques.
On vient probablement d'avoir un nouvel exemple de l'intérêt du mariage des recherches sur l'infiniment petit et l'infiniment grand qui est au cœur de l'astrophysique des particules avec une découverte faite par une équipe de l'ESOESO. Groupés autour de Roberto Mignani de l'Inaf MilanMilan (Italie) et de l'université de Zielona Gora (Pologne), des chercheurs ont en effet étudié à l'aide du VLTVLT une étoile à neutronsétoile à neutrons bien connue des astrophysiciensastrophysiciens parce qu'elle fait partie des astres les plus proches de ce type autour du Soleil.
Une plongée dans la Voie lactée en direction d'une étoile à neutrons : RX J1856.5-3754. © ESO, N. Risinger (skysurvey.org), Digitized Sky Survey 2
Une polarisation linéaire de la lumière anormalement élevée
Dans les catalogues, elle porteporte le nom de RX J1856.5-3754 et elle est située à environ 400 années-lumièreannées-lumière du Soleil. Comme toutes les étoiles à neutrons, c'est le cadavre d'une étoile, initialement au moins 8 à 10 fois plus massive que le Soleil, et qui a explosé en supernovasupernova SNSN II. Il ne reste plus alors qu'un corps un peu plus massif que notre étoile mais de quelques dizaines de kilomètres de diamètre. Formé par effondrementeffondrement gravitationnel de l'étoile, cet astre a vu en réponse son champ magnétiquechamp magnétique prodigieusement augmenter de sorte qu'il a atteint une intensité des milliards de fois supérieures à celle du Soleil.
Comme l'expliquent les chercheurs dans un article déposé sur arXiv, la faible lumière qu'émet encore RX J1856.5-3754, alors qu'elle a épuisé son carburant nucléaire, s'est révélée très particulière. Elle apparait en effet polarisée linéairement à environ 16 %. On entend par là que le champ électriquechamp électrique de la lumière produite, que l'on peut représenter en un point de l'espace par une flèche, oscille pour partie verticalement selon la même direction, alors que l'on pouvait s'attendre à une dispersion des directions des oscillations. Après avoir éliminé plusieurs hypothèses capables d'expliquer naturellement cette observation, comme l'influence des poussières dans le milieu interstellaire interposées entre l'étoile à neutrons et le VLT, les astrophysiciens de l'ESO sont arrivés à émettre une hypothèse surprenante : ils auraient observé la mythique biréfringencebiréfringence magnétique du vide quantique.
Un schéma montrant les directions des champs magnétiques (flèches rouges) et électriques (flèches bleues) des rayons lumineux émis par une étoile à neutrons. Après son passage dans le champ magnétique extérieur à l'étoile, ces champs sont orientés dans une même direction, on parle de polarisation linéaire dans ce cas précis car ils restent sur des droites parallèles. © ESO, L. Calçada
Qu'est-ce qui se cache sous ce nom ésotérique ? Il s'agit de l'équivalent d'un phénomène découvert avec de la lumière se propageant dans un milieu matériel plongé dans un champ magnétique, l'effet Cottom-Moutton. Elle possède alors deux vitessesvitesses de propagation possibles et donc deux indices de réfractionindices de réfraction de sorte qu'un dédoublement de la propagation de la lumière analogue à celui observé dans le célèbre cristal d'Islande, le spathspath, se produit. On parle de biréfringence.
Une électrodynamique non linéaire issue du vide quantique
Mais comme on observe cette biréfringence dans le vide et qu'il s'agit d'une manifestation de la théorie quantique des champs, plus précisément de la théorie de l'électrodynamique quantiqueélectrodynamique quantique dont les bases ont été posées dans les années 1930 par Heisenberg, Pauli, Dirac et Fermi, on parle donc de biréfringence magnétique du vide quantique.
Il s'agit d'une conséquence de ce que l'on appelle l'électrodynamique non linéaire. Normalement, des ondes lumineuses se traversent les unes les autres sans s'affecter dans le vide. Mais si les champs électriques et magnétiques de ces ondes sont suffisamment intenses, on peut montrer, et c'est ce qu'ont fait en particulier Werner HeisenbergWerner Heisenberg et son collègue Hans Heinrich Euler en 1936, que ces champs créent des paires de particules et d'antiparticulesantiparticules, en l'occurrence des électronsélectrons et des positronspositrons, à partir du vide quantique. Les calculs montrent alors que les équations de Maxwelléquations de Maxwell décrivant le champ électromagnétiquechamp électromagnétique dans le vide cessent d'être linéaires et que l'ont peut, entre autres et en quelque sorte, faire entrer en collision des rayons lumineux qui vont se dévier les uns les autres comme le feraient des collisions de particules. La biréfringence dans le vide est un autre aspect de l'électrodynamique non linéaire.
On a cherché à la mettre en évidence en laboratoire depuis des décennies : sans succès. Une équipe de chercheurs à l'université de Toulouse s'est d'ailleurs attelée à ce problème depuis quelques années dans le cadre du projet BMV (Biréfringence Magnétique du Vide). Peut-être ont-ils été coiffés au poteau par leurs collègues de l'ESO.