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Une micrographie électronique d'un nanofil d'antimoniure d'indium (barre horizontale, au centre) similaire à celui utilisé pour rechercher des fermions de Majorana. © Delft University of Technology
- À lire, notre dossier sur l'ordinateur quantique
Le physicienphysicien italien Ettore Majorana partage avec Évariste Galois bien des points communs. Génie précoce né en 1906 et en avance sur son temps de plusieurs décennies, il disparaît mystérieusement en 1938 sans que l'on sache vraiment s'il s'est suicidé ou s'il avait décidé de se retirer du monde comme un Alexandre Grothendieck.
En 1937, Majorana avait publié un article prolongeant la théorie relativiste des électrons de Dirac. Celui-ci avait découvert une équation mariant la théorie de la relativité restreinte et la mécanique quantique, une nécessité pour décrire de façon cohérente des particules comme les protons, les neutrons et les électrons, connus à cette époque.
Magiquement, cette équation prédisait le spinspin 1/2 de l'électron ainsi que l'existence de son antiparticuleantiparticule, le positronpositron. Elle permettait d'expliquer aussi pourquoi les gazgaz d'électrons étaient décrits par une statistique découverte par Fermi, différente de celle des photonsphotons d'EinsteinEinstein, de spin 1. Depuis cette époque, les particules de spin demi-entier sont appelées fermionsfermions et les particules de spin entier sont nommées bosons. Majorana avait découvert un moyen de décrire des particules de spin demi-entier arbitraires, par exemple 3/2.
Neutrino, matière noire et fermions de Majorana
Dans la droite ligne de ses recherches, il découvrit, probablement même avant 1937, une théorie faisant intervenir ce qu'on appelle aujourd'hui des fermions de Majorana. Le photon est sans charge et il constitue sa propre antiparticule mais celle de l'antiparticule d'un électron est de charge opposée, c'est le positron. Les neutrinosneutrinos sont neutres mais on sait qu'ils ont leur antiparticule, laquelle peut aussi être décrite par l'équation de Dirac. Toutefois, on a des raisons de penser que les neutrinos seraient mieux décrits par la théorie des fermions de Majorana, selon laquelle, tout comme pour les photons, les neutrinos seraient leur propre antiparticule.
Si les neutrinos sont leur propre antiparticule, un mode de désintégration double bêta sans neutrino est théoriquement possible. En plus de donner une confirmation de la nature de fermion de Majorana des neutrinos, l'observation de ce phénomène peut aider à la détermination de la valeur absolue de la massemasse des neutrinos.
Des fermions de Majorana apparaissent naturellement dans le cadre de théories supersymétriques. S'il existe, le fameux neutralinoneutralino de ces théories, peut-être le meilleur candidat au titre de particule de matière noire, est un fermion de Majorana.
Toujours est-il que dans le domaine de la physiquephysique des particules, il n'y a pour le moment aucune preuve de l'existence des fermions de Majorana.
Ettore Majorana (Catane, Sicile, 5 août 1906 - présumé disparu en mer tyrrhénienne le 27 mars 1938) avait selon les dires de son mentor, Enrico Fermi, une intelligence supérieure à la sienne. © DP-Wikipédia
Dans le cadre de la physique du solidesolide, les choses sont moins claires si l'on en croit un article récent sur le site du journal Nature. Un groupe de chercheurs en nanoscience de la Delft University of Technology en Hollande, mené par Leo Kouwenhoven, aurait réussi à produire des fermions de Majorana dans un dispositif constitué d'un nanofil en antimoniure d'indiumindium, connecté à un supraconducteursupraconducteur. Aucune preuve définitive ne semble avoir été apportée mais les mesures obtenues paraissent très convaincantes.
Les fermions de Majorana de la physique du solide ne sont pas de vraies particules fondamentales mais des sortes d'excitations quantiques dans un solide. Si la découverte était confirmée, cela pourrait sembler, à priori, moins spectaculaire que si elle était faite dans le domaine de la physique des hautes énergiesénergies. Mais ce serait une erreur que de le penser...
Des qubits quantiques protégés de la décohérence par la topologie
En effet, des fermions de Majorana permettraient en théorie de faire ce qu'on appelle des ordinateurs quantiques topologiques.
Avec un ordinateurordinateur classique, le temps nécessaire pour trouver une clé de cryptage croît exponentiellement avec sa taille, c'est-à-dire le nombre de chiffres que comporte la clé. Avec un ordinateur quantique, ce temps augmente seulement comme une puissance de la taille. Un décryptage est donc possible bien plus rapidement. Dans le cas de décomposition de grands nombres en produits de facteurs premiers, de la recherche d'informations dans une base de donnéesbase de données ou pour simuler des systèmes quantiques, les ordinateurs quantiquesordinateurs quantiques sont en théorie supérieurs aux classiques. Malheureusement, les ordinateurs quantiques de puissance suffisante pour les battre doivent éviter le problème de la décohérence, qui intervient pour résoudre le paradoxe du chat de Schrödinger.
Des fermions de Majorana dans des structures en 2D à l'intérieur des solides se comporteraient comme des anyons, qui ne sont ni vraiment des fermions, ni vraiment des bosonsbosons. Des lois topologiques rendraient des qubitsqubits formés de ces anyons bien plus résistants à la décohérence. De telles lois topologiques stabilisant des configurations sont déjà connues pour les solitonssolitons classiques mais aussi quantiques (par exemple les skyrmions).
Si des fermions de Majorana ont bel et bien été découverts dans le nanofil des chercheurs hollandais et s'il est possible de les manipuler, les rêves fondés sur les ordinateurs quantiques deviennent un peu plus proches de la réalité.