On peut dire que le concept d'ordinateur quantique est né au cours des années 1980, notamment grâce aux réflexions du génial prix Nobel de physique Richard Feynman. Longtemps considéré comme une utopie, il fait l'objet depuis quelques années d'une course mondiale d'ampleur grandissante entre des laboratoires et des entreprises concurrentes qui prévoient avec lui une prochaine révolution technologique. Google vient de communiquer sur ses derniers résultats, annonçant une percée avec ce que l'on appelle les codes correcteurs d'erreurs.


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    « Les ordinateurs quantiques ont le potentiel d'apporter des bénéfices tangibles dans la vie de millions de personnes. Nous pensons que les ordinateurs quantiques seront utilisés pour créer de nouveaux médicaments, réduire l'énergie nécessaire à la production d'engrais, concevoir des technologies durables plus efficaces, des batteries aux réacteurs à fusion nucléaire, et contribuer à des recherches en physique qui conduiront à des avancées que nous ne pouvons pas encore imaginer ». C'est la déclaration de Sundar PichaiSundar Pichai, le CEO de GoogleGoogle et Alphabet, que l'on peut lire sur la version française du blogblog de Google et qui accompagne une publication des chercheurs de l'entreprise dans le journal Nature.

    Elle illustre bien les espérances de plusieurs laboratoires et entreprises de la noosphère mondiale lancée dans la course aux ordinateurs quantiques. On peut s'en convaincre en lisant également les perspectives envisagées par le lancement l'année dernière de SiQuance, une start-up française issue de travaux conjoints de chercheurs du CEA et du CNRS.

    Les membres de Google font savoir qu'ils ont réussi à produire et à utiliser ce qu'ils appellent des qubits logiques, formés de plusieurs qubits physiques, et que cela ouvre pour la première fois concrètement la voie de l'utilisation des qubits logiques pour appliquer ce qu'ils appellent également des codes correcteurs quantiques afin de résoudre le problème de la décohérence quantique. Pour ceux qui ne sont pas encore versés dans des rudiments de théorie quantique et de calculs quantiques, le CEA a fait deux vidéos qui permettent d'atterrir en douceur dans ces territoires de la science et de la technologie dont on attend du second une révolution comparable à celle du premier au XXe siècle.


    Des commentaires sur les derniers progrès de Google avec les ordinateurs quantiques. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Google Quantum AI

    Des calculs exploitant la physique quantique

    Concrètement, pour faire mieux que des superordinateurssuperordinateurs classiques dans la résolutionrésolution de certains problèmes qui nécessiterait par exemple des milliers d'années en utilisant ces machines, il faut déjà qu'existe un algorithme utilisant la physique quantiquephysique quantique et pouvant battre un algorithme classique. On connait certains algorithmes capables de le faire en théorie, comme celui de Peter Shor qui permettrait de casser en quelques minutes le secret des codes bancaires, mais rien ne prouve qu'il en existe toujours pour chaque problème que l'on peut espérer résoudre avec un ordinateur.

    Surtout, les ordinateurs quantiques, qui seraient vraiment en mesure de faire des miracles, nécessiteraient des milliers, voire des millions de qubits, les analogues quantiques des bits classiques d'information sous forme de 0 et de 1 mais que les ordinateurs quantiques peuvent traiter avec des portesportes logiques, cousines des portes logiques classiques mais en parallèle.


    Une introduction à la physique quantique, sa première et sa seconde révolution. © CEA Recherche

    Malheureusement, les effets quantiques impliqués sont très fragiles et la moindre perturbation des circuits quantiques utilisés rend d'autant plus rapidement impossibles les calculs qu'un grand nombre de qubits quantiques est utilisé. Cet effet dit de décohérence est tellement sérieux qu'il y a encore à peine une décennie, beaucoup de chercheurs pensaient que les ordinateurs quantiques vraiment révolutionnaires étaient destinés à rester des utopies.

    On peut lutter contre la décohérence en isolant autant que possible les circuits, par exemple du bruit thermique en les faisant travailler sous vide et en les refroidissant avec de l'héliumhélium liquideliquide. Toutefois, il est aussi possible d'utiliser des codes correcteurs d'erreurscodes correcteurs d'erreurs pour corriger les erreurs de calcul quantique qui s'accumulent. Mais il fallait prouver d'une part que cela était bien possible et surtout, d'autre part, que la technologie employée pouvait être transposée à des quantités de qubits de plus en plus importantes.

    C'est l'essentiel de ce qu'annonce avoir accompli Google même si le chemin est encore long vers la création de mythiques ordinateurs quantiques comme on peut le voir avec des explications en anglais toujours données sur le blog de Google.


    Des explications plus détaillées sur la notion de Qubits, d'algorithmes et d'ordinateurs quantiques. © CEA Recherche

    Des cousins quantiques des codes correcteurs d'erreurs classiques

    Terminons en précisant un peu ce que sont dans le domaine de l'information quantique les codes correcteurs d'erreurs, cousins proches de ceux bien connus dans le cadre de la théorie de l'information classique.

    Dans le cas bien étudié du traitement de l'information classique, par exemple, avec les mythiques travaux du père de la théorie de l’information Claude Shannon, les codes correcteurs d'erreurs sont le plus souvent appliqués à la transmission de données en binairebinaire pour éliminer les effets du bruit. Il s'agit de techniques de codagecodage basées sur la redondance permettant de détecter et de corriger des erreurs dans un message transmis, du son ou des images par exemple. Elles trouvent aussi des applicationsapplications avec les disques dursdisques durs et les RAMRAM des ordinateurs avec là aussi des transferts d'information.

    Un exemple de code célèbre est celui de Hamming, que cite Richard Feynman dans ses leçons sur l'informatique. L'idée d'un code correcteur peut être rapidement saisie avec l'exemple des signaux en binaire que l'on transmet avec des « 0 » et des « 1 » espacés d'un intervalle de temps. En triplant les données, par exemple, en envoyant systématiquement « 000 » et « 111 » pour chaque « 0 » et chaque « 1 », on peut vérifier qu'une erreur de transmission n'a pas été commise en comptant le nombre de répétitions d'un bit donné. Ainsi, « 001 » ou « 011 » seront des indicateurs d'une telle erreur. Une correction sera effectuée en tenant compte de la majorité de « 0 » ou de « 1 ».

    Le problème avec les qubits, c'est que l'on ne peut pas faire des copies d'un état quantique. On peut démontrer un théorèmethéorème de non-clonageclonage. On ne peut donc vérifier l'information quantique portée par un état en la comparant à celle contenue dans plusieurs copies de cet état. Heureusement, il est possible d'intriquer chaque qubit avec plusieurs autres, de sorte qu'il soit possible de détecter des erreurs lors d'un traitement de l'information et d'y remédier. L'état intriqué à plusieurs qubits physiques, qui est donc à ce moment le qubit logique, porte en effet la mémoire du qubit utilisé pour les calculs quantiques avec des portes logiques comme pour tous les ordinateurs.

    Tout le problème est de pouvoir mettre en œuvre un code de correction quantique de cette façon qui devient de plus en plus efficace avec un grand nombre de qubits grandissant, et pour une longue duréedurée de calcul.

    Ce qui ne va pas de soi mais c'est justement ce que Google annonce être parvenu à faire même si, pour le moment, on n'en est qu'à un seul qubit logique.