Les astronomes ont des raisons de penser que l'origine des particules chargées à hautes énergies des rayons cosmiques est la même que celle des neutrinos cosmiques à des énergies similaires. De nouvelles analyses d'observations de ces neutrinos corroborent fortement l'idée que ces particules sont bien produites aux abords des trous noirs supermassifs derrière les quasars et les blazars.


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    Une équipe menée par Sara Buson, professeure d'astrophysique à la Julius-Maximilians-Universität (JMU) de Würzburg, en Allemagne, vient peut-être de valider définitivement une thèse qui prenait de plus en plus de poids ces dernières années et qui porteporte sur l'origine des rayons cosmiques à hautes énergies.

    On détecte depuis des décennies des particules chargées dans les rayons cosmiques qui possèdent des énergies extraordinaires, bien plus élevées que ce que la noosphère pourrait atteindre même avec un accélérateur de 100 kilomètres de circonférence, voire de celle de la Terre. Mais comme pour toutes les particules chargées, elles ont été déviées chaotiquement dans les champs magnétiques turbulents de la Voie lactée de sorte qu'il n'était pas vraiment possible de leur attribuer une direction d'origine sur la voûte céleste et d'y chercher une source bien localisée en utilisant des observations dans le domaine des ondes électromagnétiquesondes électromagnétiques.

    Heureusement, les neutrinosneutrinos n'ont pas ce problème car ils ne sont pas chargés et en plus ils interagissent peu avec un milieu matériel diffusdiffus comme l'est le milieu interstellaire. On pouvait donc tenter de les relier aux noyaux actifs de galaxies.


    Olivier Drapier, chercheur au laboratoire Leprince-Ringuet de l’École polytechnique, CNRS, nous parle des neutrinos, ces particules de matière que l'on peut utiliser pour étudier les étoiles et l'Univers. © École polytechnique

    Des énergies disponibles avec des trous noirs supermassifs en rotation

    Pourquoi ces objets et pas d'autres ? Parce que l'on a guère de doute maintenant que derrière ces noyaux qui se présentent parfois comme des quasarsquasars, notamment ceux que l'on appelle des blazarsblazars (les blazars sont simplement des quasars, donc des trous noirs supermassifstrous noirs supermassifs, possédant un jet de particules dirigé presque dans la direction des observateurs), se trouvent des trous noirs supermassifs en rotation entourés d'un disque de plasma chaud avec des champs magnétiques, qui doivent se comporter comme des accélérateurs de particules cosmiques naturels, pouvant atteindre les énergies observées pour les rayons cosmiques.

    Futura s'est longuement étendue sur ces questions dans les précédents articles ci-dessous, en expliquant notamment que des chercheurs russes pensaient déjà avoir établi de manière convaincante que les neutrinos cosmiques étaient bien produits par des quasars.

    Sara Buson et son groupe composé de l'ex-postdoctorant Raniere de Menezes (JMU) et d'Andrea Tramacere, chercheur au Département d'astronomie de l'Université de Genève (Unige) viennent donc de soutenir bien plus fortement cette thèse avec un article publié dans la revue Astrophysical Journal Letters et que l'on peut consulter en accès libre sur arXiv.

    Comme l'explique le communiqué de l'Unige, les astrophysiciensastrophysiciens ont appliqué des techniques relevant de la théorie des statistiques appliquée à des données au moyen d'un algorithme de recherche permettant de déterminer si des corrélations entre des observations relèvent du hasard ou pas.


    Une vidéo de présentation de IceCube pour ses 10 ans. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © IceCube Neutrino Observatory

    Des usines à neutrinos détectées avec un cube de glace

    Elles ont été utilisées pour déchiffrer le contenu des mesures concernant le passage sur Terre à travers la glace des neutrinos de l'Observatoire IceCube, en AntarctiqueAntarctique. Le détecteur géant permet de remonter à l'origine sur la voûte céleste de ces neutrinos et il suffisait alors de chercher des associations dans BZCAT, l'un des catalogues de blazars les plus précis.

    Andrea Tramacere explique : « Avec ces données, nous devions prouver que les blazars dont les positions directionnelles coïncidaient avec celles des neutrinos n'étaient pas là par hasard. Après avoir lancé les dés plusieurs fois, nous avons découvert que l'association aléatoire ne peut dépasser celle des données réelles qu'une fois sur un million d'essais ! C'est la preuve solidesolide de la justesse de nos associations. »

    Et toujours dans le communiqué, il ajoute : « Ce que nous devons faire maintenant, c'est comprendre quelle est la principale différence entre les objets qui émettent des neutrinos et ceux qui n'en émettent pas. Cela nous aidera à comprendre dans quelle mesure l'environnement et l'accélérateur ''dialoguent''. Nous pourrons alors exclure certains modèles, améliorer le pouvoir de prédiction d'autres modèles et, enfin, ajouter de nouvelles pièces à l'éternel puzzle de l'accélération des rayons cosmiques ! Le processus d'accrétionaccrétion et la rotation du trou noir conduisent à la formation de jets relativistes, où les particules sont accélérées et émettent un rayonnement allant jusqu'à des énergies de mille milliards de fois celle de la lumièrelumière visible ! La découverte de la connexion entre ces objets et les rayons cosmiques pourrait être la ''pierre de RosetteRosette'' de l'astrophysique des hautes énergies ! »

     


     

    Une vue d'artiste de Ratan-600 observant un quasar. © Daria Sokol, <em>MIPT Press Office</em><br> 
    Une vue d'artiste de Ratan-600 observant un quasar. © Daria Sokol, MIPT Press Office
     

    Tous les neutrinos cosmiques à hautes énergies naîtraient des quasars

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 02/03/2021

    Des physiciensphysiciens et astrophysiciens russes, notamment du mythique Institut de PhysiquePhysique et de Technologie de Moscou (MIPT), ont poussé un cran plus loin les analyses des données concernant les directions d'arrivée sur Terre des neutrinos astrophysiques possédant des énergies élevées. Tous seraient bien nés à proximité des trous noirs supermassifs derrière les quasars. Auparavant, les observations ne permettaient d'avancer que seuls les neutrinos ayant les énergies les plus élevées en provenaient.

    La technologie humaine a des limites et même si nous pouvons construire un successeur au LHC de 100 km de circonférence -- et probablement 10 fois plus grand si un financement était disponible --, nous serions bien loin de sonder les énergies où de la nouvelle physique liée à l’écume de l’espace-temps se révélerait directement à nous.

    On avait des raisons de penser que l'on pourrait voir des effets de cette écumeécume via la création de mini trous noirs au LHC mais, hélas, l'UniversUnivers observable semble construit de manière à ce que cela ne soit finalement possible qu'avec un LHCLHC qui aurait le diamètre de la Voie lactée, environ 100.000 années-lumièreannées-lumière de diamètre.

    Heureusement, le cosmoscosmos lui-même n'a pas cette limite ; il a mené et mène encore en quelque sorte des expériences de physique des hautes énergies avec des accélérateurs de particules naturelles. Le premier et le plus colossal d'entre eux a été, bien sûr, le Big BangBig Bang mais on a aussi de bonnes raisons de penser que les trous noirs supermassifs de Kerr en rotation accrétant de la matièrematière -- par exemple à l'occasion d'un Tidal disruption event (ou TDE), ce qui peut se traduire par « évènement de rupture par effet de maréemarée » --, sont aussi de formidables accélérateurs de particules permettant de sonder une nouvelle physique.


    Une présentation du détecteur de neutrinos russe du lac Baïkal. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Joint Institute for Nuclear Research (JINR).

    Dans le précédent article ci-dessous, Futura avait expliqué en détail la découverte des scientifiques russes Alexander Plavin, Sergey Troitsky et des Kovalev (père et fils, tous deux Yuri) qui avaient annoncé avoir trouvé un début de preuve très convaincant d'un lien entre les événements observés dans des détecteurs de neutrinos géants, en particulier le fameux IceCube Neutrino Observatory, dans les glaces de l’Antarctique, et ceux détectés avec des radiotélescopesradiotélescopes sous forme d'éruptions radio au cœur des blazars surveillés, en particulier par le fameux Ratan-600.

    Des neutrinos cosmiques entre 1 TeV et 1 PeV

    Rappelons que les blazars sont simplement des quasars, donc des trous noirs supermassifs, possédant un jet de particules dirigé presque dans la direction des observateurs de la noosphère.

    Rappelons également que ce qui fait l'un des intérêts des neutrinos pour étudier des astresastres, et pas seulement une nouvelle physique, est qu'ils sont électriquement neutres, contrairement aux particules chargées tels les protonsprotons, les positronspositrons ou les noyaux d'héliumhélium qui sont chaotiquement déviés au point de se déplacer comme s'ils étaient ivres dans les champs magnétiques galactiques et intergalactiques. Les neutrinos vont donc voyager quasiment en ligne droite depuis leur lieux de production jusqu'à IceCube ou encore jusqu'au détecteur de neutrinos sous-marinsous-marin du lac Baïkal (Baikal-GVD – Gigaton Volume Detector), qui est en phase finale de constructionconstruction.

    Les quatre chercheurs en avaient déduit que les neutrinos à des énergies supérieures à 200 TeV prenaient bien leur source au niveau des cœurs des blazars et donc devaient être les conséquences de processus à hautes énergies directement associés aux trous noirs supermassifs.

    Aujourd'hui, dans un article publié dans The Astrophysical Journal mais en accès libre sur arXiv, ils avancent maintenant, après avoir poussé plus loin les analyses de sept années d'observations menées avec IceCub, que, même les neutrinos cosmiques à des énergies inférieures, de l'ordre de quelques dizaines de TeV, sont aussi produits majoritairement par des blazars et donc plus généralement des quasars. En fait, il en serait probablement de même pour tous ces neutrinos entre 1 TeV et 1 PeV( 1.000 TeV).

    Cela reste encore à confirmer plus solidement mais c'est un résultat remarquable et étonnant qui doit nous dire quelque chose concernant les quasars car les mécanismes d'accélération proposés jusqu'ici pour produire des neutrinos à hautes énergies ne prédisaient pas l'occurrence de ceux détectés avec seulement quelques dizaines de TeV.

    Toutefois, les quatre astrophysiciens proposent justement un nouveau mécanisme capable de rendre compte de toutes ces observations. Les neutrinos seraient produits dans le cadre d'interactions par effet Comptoneffet Compton entre des protons possédant des vitessesvitesses relativistes (au moins 10 % de celle de la lumière) et des photonsphotons X générés par les particules dans les jets des blazars à l'échelle de quelques années-lumière autour des trous noirs. L'astronomie neutrino continuant à se développer et la radioastronomie ne faiblissant pas, on devrait en savoir plus dans la décennie qui vient.


    Des neutrinos cosmiques naissent dans des éruptions de quasars

    Article de Laurent Sacco publié le 18/05/2020

    Les observations d'IceCube, complétées par le radiotélescope russe RATAN-600, suggèrent que des neutrinos à très hautes énergies dans les rayons cosmiques viennent de collisions de protons avec des photons produits par les disques d'accrétiondisques d'accrétion entourant des trous noirs supermassifs derrière des quasars.

    La Russie possède un long héritage en radioastronomie aussi bien pour l'étude des noyaux actifs de galaxiesnoyaux actifs de galaxies que dans le cadre du programme Seti, avec notamment le regretté Nikolaï Kardashev. Elle l'a prouvé à nouveau ces dernières années avec la mission RadioAstron dont le responsable scientifique était l'astrophysicien russe Yuri Kovalev, qui dirige actuellement le Laboratory of Fundamental and Applied Research of Relativistic Objects of the Universe, un département de recherche du mythique Moscow Institute of Physics and Technology (MIPT, Russian: Московский Физико-Технический институт), connu de manière informelle sous le nom de PhysTech (Физтех), et où enseignaient notamment les prix Nobel de Physique Lev Landau et Vitaly Ginzburg.

    Comme le rappelait dans une interview il y a quelques années Yuri Kovalev, l'une des techniques fondamentales de la radioastronomie moderne, qui a d'ailleurs permis le succès de la collaboration Event Horizon Telescope qui a réussi à imager pour la première fois un trou noir supermassif au cœur d'un noyau actif de galaxie, M87*M87*, a été proposée en 1962 par Leonid Matveenko, Nikolai Kardashev, et Gennady Sholomitskii, avec le soutien du radioastronome ukrainien et soviétique Iossif Chklovski du célèbre Institut Shternberg.

    Cette technique, c'est l'interférométrieinterférométrie à très longue base (ou VLBI pour Very Long Baseline Interferometry) qui permet de combiner les observations de plusieurs radiotélescopes répartis sur la planète, comme si on disposait d'un télescope géanttélescope géant. Cependant, en raison de problèmes de sécurité, la publication à ce sujet a été retardée jusqu'en 1965, de sorte que l'on explique généralement que les premiers à faire de la VLBI furent les Canadiens en 1967.


    Le radiotélescope RATAN-600. © Victor Endorphin

    Yuri Kovalev et ses collègues annoncent aujourd'hui dans un communiqué du MIPT qu'ils ont fait une découverte importante en utilisant et analysant des observations de type VLBIVLBI faites notamment avec le plus grand radiotélescope du monde qui, contrairement à ce que l'on entend souvent, n'est pas le Five-hundred-meter Aperture Spherical Radio Telescope (FAST) chinois. Il s'agit en effet depuis les années 1970 du radiotélescope RATAN-600 (en russe : РАТАН-600 - РАдиоТелескоп Академии Наук, ou Radio Télescope de l'Académie des Sciences), qui est constitué d'antennes radio rectangulaires disposées sur un cercle de 576 mètres de diamètre. Il est basé dans les montagnes du Caucase près de la ville de Zelentchoukskaïa.

    Des bouffées de neutrinos corrélées à des bouffées radio

    Dans un article paru dans The Astrophysical journal et que l'on peut consulter en accès libre sur arXiv, les chercheurs annoncent en effet qu'ils ont réussi une belle performance de l'astronomie multimessager en mettant en évidence une corrélation entre l'arrivée de neutrinos cosmiques très énergétiques sur Terre et l'arrivée d'ondes radio en provenance des quasars 3C 279, NRAO 530, PKS 1741-038 et OR 103.

    Ces noyaux actifs de galaxies étaient potentiellement intéressants car on savait déjà, grâce à des observations effectuées avec le détecteur IceCube en Antarctique, qu'ils étaient les sources d'environ 50 neutrinos à des énergies supérieures à 200 TeV (les collisions au LHC se font à un dizaine de TeV). Mais il reste encore des énigmes en ce qui concerne les mécanismes exacts produisant ces neutrinos.

    Avec cette découverte d'une corrélation entre des bouffées de neutrinos et des bouffées d'ondes radio en provenance des galaxies étudiées, les astrophysiciens russes ont fait significativement avancer la résolutionrésolution du mystère des origines des neutrinos cosmiques à hautes énergies. Les mesures indiquent en effet que les neutrinos sont produits lors d'éruptions associées aux trous noirs supermassifs et elles font pencher la balance en faveur d'un des modèles de production de neutrinos envisagés jusqu'ici.

    Tout commencerait avec des protons accélérés dans des faisceaux collimatés près du trou noir central d'un noyau de galaxies, protons qui entreraient ensuite en collision avec les photons du rayonnement produit par le disque d'accrétion du trou noir supermassif. Des mésonsmésons pipi instables prennent alors naissance et se désintègrent finalement en muonsmuons et neutrinos, ces derniers pouvant voyager sur des milliards d'années-lumière sans encombre avant d'arriver sur la Terre. De précédentes observations avec le blazar TXS 0506+056, comme l'expliquait Futura dans un précédent article ci-dessous, sont aussi favorables à l'idée que la source des neutrinos à hautes énergies est d'origine hadronique.


    L'énigme de l'origine d'un neutrino cosmique enfin percée ?

    Article de Laurent Sacco publié le 04/10/2019

    Les observations d'IceCube et Fermi, complétées par le radiotélescope VLBA, suggèrent que les neutrinos à très hautes énergies dans les rayons cosmiques viennent de collisions entre des jets de quasars.

    Il y a un an, on apprenait que pour la première fois, grâce aux observations conjointes au sol du détecteur de neutrinos IceCube et du télescope gamma en orbiteorbite Fermi, l'origine d'au moins un rayon cosmique de très haute énergie avait été précisée. Baptisée IceCube-170922A, le neutrino détecté en septembre 2017 semblait bel et bien venir d'un noyau actif de galaxie situé à environ 3,8 milliards d'années-lumière de la Voie lactée. Il s'agissait plus précisément d'un objet BL Lacertae, un trou noir supermassif se comportant comme une radiosource de faible puissance, mais dont les jets relativistes sont dirigés parallèlement à l'axe d'observation sur Terre. Techniquement, TXS 0506+056, c'est son nom, est donc un blazar.

    Cette découverte confirmait ce dont on se doutait depuis un moment, seuls les trous noirs supermassifs derrière les quasars sont susceptibles d'accélérer des particules aux énergies très élevées que l'on rencontre parfois dans les rayons cosmiques. Toutefois, se posait alors le problème de savoir pourquoi il est généralement difficile de déterminer la provenance des évènements associés à des neutrinos cosmiques.

    L’évènement neutrino IceCube 170922A semble provenir de la zone d’interaction des deux jets associés à TXS 0506+056. © Collaboration IceCube, Mojave, S. Britzen et M. Zajaček
    L’évènement neutrino IceCube 170922A semble provenir de la zone d’interaction des deux jets associés à TXS 0506+056. © Collaboration IceCube, Mojave, S. Britzen et M. Zajaček

    Des collisions entre jets relativistes de trous noirs supermassifs

    Une équipe internationale d'astrophysiciens vient de publier dans le célèbre journal Astronomy & Astrophysics un article dans lequel une réponse à cette énigme est proposée. Réponse qui précise le mécanisme d'émissionémission du neutrino IceCube-170922A. Pour cela, les chercheurs se basent sur des analyses nouvelles de données collectées de 2009 à 2018 par le radiotélescope VLBA, un réseau de radiotélescopes astronomiques pour faire de l'interférométrie à très longue base, et couvrant le territoire des États-Unis depuis Sainte-Croix dans les Iles Vierges, situées dans les Antilles et le Mauna Kea sur l'île d'Hawaï dans l'océan Pacifique.

    La résolution atteinte par le VLBA permet alors de voir la présence des jets de matière associés à TXS 0506+056. Et les données fournies par les radiotélescopes laissent penser que l'émission du neutrino n'a été possible qu'au moment où sont entrées en collision les particules produites par deux des jets du blazar. Il peut s'agir d'un jet passé qui aurait été rattrapé par l'émission d'un nouveau jet, par exemple du fait que le trou noir supermassif soit animé d'un mouvementmouvement de précessionprécession faisant tourner la direction d'émission de jets intermittents. Si tel est bien le cas, il faut probablement en conclure qu'un autre trou noir supermassif est présent, entraînant la précession du premier.

    Toujours est-il que ce scénario de collision pose une contrainte sur la nature des particules composant les jets émis par TXS 0506+056. Comme pour tous les jets émis par les trous noirs accrétant de la matière, on ne sait pas bien s'ils sont composés d'un mélange d'électronsélectrons et de positrons, où si une composante hadronique est aussi présente. Si les neutrinos sont bien produits par des collisions de ces jets, alors ils sont nécessairement le fait de collisions avec des hadronshadrons, qui sont donc au moins une partie des jets.

    icecube neutrinos Felipe Pedreros Ice Cube NSF
    icecube neutrinos Felipe Pedreros Ice Cube NSF

    Une vue des bâtiments de surface du détecteur géant de neutrinos IceCube, en Antarctique. La pureté de la glace à plus d'un kilomètre de profondeur permet à plus de 5.000 photomultiplicateurs d'enregistrer avec précision les flashsflashs bleutés très ténus générés par les muons issus de la collision des neutrinos avec les noyaux atomiques dans la glace. La construction de IceCube a commencé en 2005, mais le détecteur est une version plus grande d'Amanda, qui date du début des années 1990. © Felipe Pedreros, IceCube, NSF

     


    Un neutrino éclaire l'énigme de l'origine des rayons cosmiques

    Article de Laurent Sacco publié le 13/07/2018

    L'astronomie multimessager est en train de prendre son essor sous nos yeuxyeux. Elle vient en effet de livrer ce qui pourrait être la clé de l'énigme de l'origine des rayons cosmiques à très hautes énergies, en l'occurrence avec des neutrinos. Les observations d'IceCube et Fermi suggèrent que ces rayons viennent de quasars.

    Imaginons les ordinateursordinateurs en réseau et la toile mondiale comme une sorte de cerveaucerveau électronique planétaire dont l'humanité se doterait pour faire évoluer la « sphère de la pensée humaine » vers de plus hauts états de complexité (la noosphère de Vladimir Vernadsky et Pierre Teilhard de Chardin)... Alors, nous pouvons considérer que ce système nerveux planétaire est aussi en train de permettre la naissance d'un « cortexcortex visuel » et de différents « yeux » de plus en plus performants pour explorer et étudier le cosmos observable.

    Nous pouvons nous en convaincre avec l'annonce que vient de faire une équipe internationale de chercheurs groupés autour de la fameuse collaboration IceCube -- le gigantesque détecteur de neutrinos situé dans la glace de l'Antarctique, au pôle Sud, et auquel Futura a consacré plusieurs articles (voir notamment l'article ci-dessous) -- et d'équipes s'occupant d'astronomie gamma avec le satellite Fermi et le Magic (Major Atmospheric Gamma-ray Imaging Cherenkov Telescope, en anglais, soit « Grand télescope Tcherenkov d'imagerie des rayons gammarayons gamma atmosphériques », en français), situé à l'observatoire du Roque de los Muchachos, sur l'île de La Palma, aux Canaries.

    Ces yeux (il en existe bien d'autres en orbite ou répartis à la surface de la Planète) se sont coordonnés (grâce à la Toile du village global de Marshall McLuhan) le 22 septembre 2017 et les jours suivants, en réponse à l'observation par IceCube d'un unique neutrino très énergétique : un évènement baptisé IC170922A.

    Un neutrino 45 fois plus énergétique que les protons du LHC

    Ce neutrino avait traversé le détecteur en produisant la création d'un muon (un cousin lourd de l'électron) en entrant en collision avec un des quarksquarks à l'intérieur d'un des protons d'une moléculemolécule d'eau. Ce muon lui-même a provoqué une sorte d'onde de choc électromagnétique similaire à celle d'un avion franchissant le mur du sonmur du son et que les détecteurs d'IceCube ont enregistrée (voir la vidéo ci-dessus). Ce faisant, l'énergie du neutrino ainsi que sa direction de provenance sur la voûte céleste ont rapidement été déterminées. Cela a conduit à lancer une alerte mondiale.

    L'énergie de ce neutrino était en effet d'environ 290 TeV, c'est-à-dire presque 45 fois celle des protons circulant dans l'anneau du LHC ; de quoi en fabriquer 290.000 dans une seule collision de deux protons. Les scientifiques étaient donc en présence d'un rayon cosmique de très haute énergie, un messager du cosmos qui ne pouvait provenir que d'un évènement astrophysique particulièrement violent. Mais, justement, lequel ? Telle était la question posée par les spécialistes des astroparticulesastroparticules depuis des décennies avec les rayons cosmiques de très hautes énergies.

    C'est pourquoi, lentement mais sûrement, ceux-ci ont fait monter en puissance les instruments et la technologie permettant l'astronomie multimessager (c'est-à-dire une astronomie qui ne se limite pas à collecter des photons, mais aussi des signaux portés par autre chose que des ondes électromagnétiques).

    Le saviez-vous ?

    Dès le début des années 1960, les physiciens ont commencé à découvrir qu'il existait dans les rayons cosmiques des particules possédant des énergies vertigineuses, bien supérieures aux 6.500 GeV des protons du LHC. Ainsi, en 1962, la Volcano Ranch Experiment, au Nouveau-Mexique (États-Unis), a observé une particule cosmique d'une énergie supérieure à un milliard de GeV. Depuis, bien d'autres rayons cosmiques à ultra-hautes énergies ont été détectés. Mais ceux-ci restent tout de même rares, les énergies restant plutôt comprises entre 10 MeV et 10 GeV.

    L'origine des particules correspondant aux énergies des rayons cosmiques les plus fréquents, bien qu'incomplètement comprise, n'est pas vraiment mystérieuse. Elle peut être reliée aux explosions de supernovae et à des mécanismes d'accélération proposés par exemple par Enrico Fermi. Mais il n'en est pas de même pour le neutrino détecté par IceCube en 2017 et dont il est ici question…

    Le premier exemple d'une telle astronomie a été donné en 1987 avec la détection conjointe des neutrinos et des photons de la fameuse supernova SN 1987A. Pour un second exemple, il a fallu attendre 2017 avec la détection des ondes gravitationnellesondes gravitationnelles de GW170817 et des photons de la kilonova à l'origine de celles-ci, observée sous la forme d'un sursaut gamma court et produite par une collision d'étoiles à neutronsétoiles à neutrons. Nous sommes maintenant en présence d'un troisième exemple et il aurait sûrement été apprécié à sa juste valeur par Pierre Binétruy s'il était encore parmi nous.

    En l'occurrence, le neutrino observé par IceCube a rapidement permis au satellite Fermi de tourner son regard en direction d'une source gamma bien connue faisant partie d'un catalogue de près de 2.000 blazars surveillés par intermittence depuis presque une décennie.

    Bingo ! Situé à environ 3,7 milliards d'années-lumière dans la constellation d'Orionconstellation d'Orion, le blazar TXS 0506+056 était bien en train de produire un petit sursautsursaut gamma. Dans la foulée, toute une batterie d'instruments observant dans le domaine des ondes radio jusqu'aux rayons gamma, en passant par le visible et les rayons Xrayons X, ont été mobilisés. Ils ont confirmé que quelque chose de violent était bel et bien en train de se passer avec TXS 0506+056. LigoLigo et VirgoVirgo étant en maintenance pour être upgradés, on ne sait donc rien d'un possible signal gravitationnel.

    Représentation d'artiste d'un tore de gaz et de poussière entourant un trou noir supermassif en rotation émettant des jets de particules, en particulier des protons « p » accélérés. Entrant en collision, ces protons produisent des mésons ∏ chargés et neutres qui se désintègrent en muons μ et neutrinos ν. Il y a aussi des photons gamma Υ. Un blazar est un quasar dont l'un des jets est orienté en direction de la Terre par hasard. © Nasa, IceCube
    Représentation d'artiste d'un tore de gaz et de poussière entourant un trou noir supermassif en rotation émettant des jets de particules, en particulier des protons « p » accélérés. Entrant en collision, ces protons produisent des mésons ∏ chargés et neutres qui se désintègrent en muons μ et neutrinos ν. Il y a aussi des photons gamma Υ. Un blazar est un quasar dont l'un des jets est orienté en direction de la Terre par hasard. © Nasa, IceCube

    Les blazars, des accélérateurs de rayons cosmiques

    Mais, au fait, c'est quoi un blazar ? Une première réponse consiste à dire qu'il s'agit d'un quasar un peu particulier et que le premier détecté du genre, en 1968, était BL Lacertae. Nous savons maintenant que les quasars « ordinaires » et les blazars font partie de la même famille d'objets, les noyaux actifs de galaxies (NAG) et qu'il existe un modèle unifié de ces objets rendant compte des observations : un trou noir de Kerrtrou noir de Kerr supermassif en rotation accrétant de la matière.

    Nous sommes à chaque fois en présence des processus de magnétohydrodynamique (MHD) relativiste complexes accompagnant l'accrétion de matière et la rotation de ce type de trous noirs ; ces processus conduisent à la formation de jets de particules et à des émissions d'ondes électromagnétiques dans les domaines radio, X et gamma. Lorsqu'un des jets de particules pointe dans notre direction, on observe un blazar. Comme il existe des instabilités dans les phénomènes MHD et l'accrétion de matière, l'intensité des émissions est variable et on observe donc également de brusques éruptions sous forme de petits sursauts gamma, bien que l'énergie mise en jeu soit considérable.

    Accompagnant ces émissions gamma, il y a donc également des émissions de neutrinos. La théorie et les calculs indiquent que ceux-ci doivent être produits par des collisions de protons, accélérés à des énergies bien supérieures à celles du LHC. Ces collisions doivent en particulier générer des mésons pi, des pions, comme on les appelle souvent. Instables, ils se désintègrent en diverses particules, notamment en des neutrinos.


    Une présentation du détecteur de neutrinos IceCube. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais apparaissent alors. Cliquez ensuite sur la roue dentée à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © WebsEdgeEducation

    Une astronomie multimessager clé d'une nouvelle physique ?

    Les observations de IceCube, Fermi, Magic et, au final, celles de 20 observatoires sur Terre et dans l'espace (comme le détecteur de neutrinos Antares ou le télescope Integral), ayant nécessité le travail de plus de 1.000 chercheurs sur Terre, montrent bien que nous sommes entrés dans l'ère de l'astronomie multimessager. Toutes les fois qu'une nouvelle fenêtrefenêtre d'observation s'est ouverte en astronomie, celle-ci a fait un bond en avant. Nous pouvons donc nous attendre à de nouvelles grandes découvertes dans un futur proche, surtout en combinant la détection des ondes électromagnétiques, celle des ondes gravitationnelles et celle des neutrinos.

    Pour le moment, l'apport le plus important de cette nouvelle astronomie dans le cas de la découverte de IC170922A est qu'elle nous permet de penser que nous connaissons enfin l'origine des rayons cosmiques de très hautes énergies. C'est une vielle énigme, même si l'on se doutait de la nature et de l'origine des accélérateurs ayant produit ces rayons.

    Le problème est que les rayons cosmiques jusqu'ici majoritairement détectés sont des particules chargées, comme des protons, des noyaux ou des positrons. Celles-ci sont facilement déviées par les champs magnétiques turbulents dans la Voie lactée et entre les galaxies. Ainsi, la direction dont elles semblent venir ne peut pas correspondre vraiment à leur localisation d'origine sur la voûte céleste.

    Comme expliqué dans l'article ci-dessous, les neutrinos n'ont pas ce défaut, car ils ne sont pas chargés. Ils sont, de plus, très pénétrants. Donc, non seulement ils avaient le potentiel pour vérifier que les rayons cosmiques à très hautes énergies étaient produits par les noyaux actifs de galaxies, c'est-à-dire les abords des trous noirs supermassifs, mais, étant particulièrement pénétrants, ils étaient aussi des sondes très intéressantes pour étudier ce qui s'y passait.

    Les scientifiques devraient donc maintenant pouvoir connecter la physique de cette astronomie multimessager à celles des trous noirs supermassifs, qui constituent des accélérateurs et des laboratoires de physique des hautes énergies bien plus puissants que le LHC. Qui sait quelles découvertes portant sur une nouvelle physique (matière noire ou gravitation quantiquegravitation quantique) nous attend maintenant avec eux ? Pour approfondir le sujet, vous pouvez découvrir plusieurs articles (en anglais) détaillant la découverte ainsi qu'une animation (en anglais).


    IceCube voit peut-être des neutrinos venus de lointains quasars

    Article de Laurent Sacco publié le 26/11/2013

    Certains neutrinos très énergétiques ne sont produits ni par le SoleilSoleil ni par le choc des rayons cosmiques galactiques sur les noyaux de l'atmosphèreatmosphère de la Terre. On les chasse depuis un certain temps avec le télescope IceCube installé dans un cube de glace d'un kilomètre de côté en Antarctique. Les physiciens viennent enfin de détecter ces neutrinos qui pourraient avoir été produits aux abords des trous noirs supermassifs ou à l'occasion de sursauts gamma.

    Les véritables débuts de l'astronomie neutrino datent de presque 50 ans, lorsque Raymond Davis et John Norris Bahcall ont détecté les premiers neutrinos en provenance du Soleil en 1968. Un second événement marquant a été celui de la détection, en 1987, des neutrinos émis par l'explosion de l'étoile Sanduleak, plus connue sous le nom de supernova SN 1987A. Il est possible que l'annonce faite récemment par les membres de la collaboration IceCube, et qui concerne la détection de 28 neutrinos possédant des énergies comprises entre 30 et 1.200 TeV, soit vue par les historienshistoriens du futur comme le troisième élément marquant de l'histoire de l'astronomie des neutrinos.

    Pour comprendre pourquoi la détection de ces neutrinos est si importante, il faut faire mieux connaissance avec ces particules fantomatiques, qui sont plus abondantes dans le cosmos que les photons du rayonnement fossile, eux-mêmes presque un milliard de fois plus nombreux que les noyaux atomiques.

    De gauche à droite, Fermi, Heisenberg et Pauli. Dès 1936, bien que pour de mauvaises raisons, Heisenberg avait compris que l'on devrait pouvoir observer les effets des neutrinos de Fermi et Pauli dans les rayons cosmiques. © F. D. Rasetti,<em> AIP Emilio Segrè Visual Archives</em>
    De gauche à droite, Fermi, Heisenberg et Pauli. Dès 1936, bien que pour de mauvaises raisons, Heisenberg avait compris que l'on devrait pouvoir observer les effets des neutrinos de Fermi et Pauli dans les rayons cosmiques. © F. D. Rasetti, AIP Emilio Segrè Visual Archives

    Les neutrinos et la force nucléaire faible

    En 1930, alors que Wolfgang PauliWolfgang Pauli est encore secoué par son divorce (comme l'explique Étienne KleinÉtienne Klein dans un récent ouvrage, La physique des infinis), il postule l'existence d'une nouvelle particule. Il dira plus tard qu'elle a été « l'enfant fou de la pire période de sa vie ». Il s'agit pour lui du moyen de résoudre une énigme concernant le spectrespectre en énergie des électrons émis par la désintégration bêtabêta. Ce spectre est continu plutôt que discret, comme l'on découvert Lise MeitnerLise Meitner et Otto Hahn en 1911. Plutôt que de remettre en question le principe de conservation de l'énergie, comme n'hésitait pas à le faire Niels BohrNiels Bohr, Pauli rend compte de ce spectre en faisant porter l'énergie manquante par une particule inconnue jusque-là. Malheureusement, il faut supposer pour cela que la nouvelle particule de spinspin 1/2, comme l'électron, n'a pas de charge et pas de massemasse. Elle est donc à priori indétectable, ce qui semble bien peu satisfaisant du point de vue scientifique.

    À la suite de la découverte du neutron en 1932, Fermi construit une élégante théorie de la désintégration bêta, dans laquelle il postule l'existence d'une nouvelle force, l'interaction nucléaire faible. La théorie de Fermi incorpore naturellement la particule de Pauli, qu'il baptise du nom de neutrino, ce qui signifie « le petit neutre » en italien.

    On sait aujourd'hui qu'il existe en réalité trois types de neutrinos, et qu'ils peuvent interagir avec les quarks et les leptonsleptons du modèle standardmodèle standard via les bosonsbosons W et Z, dont les masses dérivent du mécanisme de Brout-Englert-Higgs. On sait aussi que ces neutrinos peuvent se transformer les uns dans les autres selon le mécanisme d'oscillation découvert par Bruno Pontecorvo, et qui attribue une masse à quelques-uns, voire tous les neutrinos. Ils ont aussi défrayé la chronique récemment parce que l'on pensait qu'ils pouvaient se déplacer plus vite que la lumière.

    Image du site Futura Sciences
    Les neutrinos sont très pénétrants, et peuvent traverser la Terre sans problème. Ce schéma montre les origines des neutrinos pouvant être détectés par l'effet Tcherenkov des muons dans de l'eau et de la glace (voir le texte ci-dessous pour plus de détails). Certains neutrinos muoniques, νμ, sont produits par des accélérateurs cosmiques naturels comme les noyaux actifs de galaxies. D'autres sont des neutrinos atmosphériques engendrés par les collisions de protons et de noyaux d'hélium, des particules α, sur les noyaux des couches de la haute atmosphère. Plus spéculative est l'idée que des particules de matière noire, comme les neutralinos χ0 de la supersymétrie, se sont peut-être accumulées au centre de la Terre. Elles pourraient se désintégrer en donnant des neutrinos très énergétiques. © IN2P3

    Le bruit de fond des neutrinos atmosphériques

    Les neutrinos interagissent très faiblement avec la matière, surtout lorsqu'ils portent des énergies basses. C'est le cas de ceux laissés par le Big Bang et ceux émis par le Soleil, de sorte que 100.000 milliards de ces particules traversent notre corps chaque seconde sans que nous y prenions garde. Il existe une autre source de neutrinos importante liée aux rayons cosmiques. Ces neutrinos sont dits atmosphériques.

    Ils sont produits par les protons et les noyaux accélérés quelque part dans la Voie lactée et entrent en collision avec les noyaux d'oxygèneoxygène et d'azoteazote de la haute atmosphère. Se créent alors des mésons instables qui se désintègrent en donnant des neutrinos muoniquesneutrinos muoniques et électroniques essentiellement. On sait quantifier le flux de neutrinos d'origine cosmologique et aussi ceux liés au Soleil et aux rayons cosmiques ordinaires tombant sur les hautes couches de l'atmosphère, de sorte que des neutrinos très énergétiques, ou avec un flux brutalement très important, émergentémergent clairement au-dessus du bruit de fond des neutrinos atmosphériques si l'on dispose d'un détecteur adéquat.

    Image du site Futura Sciences
    Schéma d’IceCube en Antarctique. En tout, 5.160 photomultiplicateurs capables de détecter la lumière Tcherenkov (cône bleu) produite par les rayons cosmiques sont installés en colonnes verticales de plusieurs kilomètres dans la glace. Ils sont orientés vers le sol, et non vers le ciel, car on se sert de la Terre comme d'un filtre pour augmenter les chances d'observer des neutrinos galactiques et extragalactiques malgré le bruit de fond des neutrinos atmosphériques et solaires. © Exploratorium, 2011

    Lorsque des neutrinos d'énergies suffisamment élevées interagissent avec certains quarks dans les nucléonsnucléons des molécules d'eau de l'océan ou de la glace, ils conduisent à la création d'un muon lui aussi d'assez haute énergie, qui commence sa trajectoire dans la même direction que le neutrino initial. Dans l'eau ou la glace, ce muon provoque alors une sorte d'onde de choc électromagnétique, un peu à la manière d'une lame d'étrave créée par un bateau : c'est l'effet Tcherenkoveffet Tcherenkov. Des photomultiplicateurs peuvent enregistrer les photons émis. On peut alors se servir du signal détecté pour remonter à la direction précise d'où provenait le neutrino, et déterminer quelle énergie il portait. C'est ce que les scientifiques tentent de faire depuis presque 40 ans, en particulier avec des détecteurs de grande échelle comme IceCube (la version géante d'Amanda, son prédécesseur) en Antarctique et Antarès dans la Méditerranée.

    Les neutrinos, une nouvelle fenêtre pour l'astronomie

    Il faut toutefois se souvenir que les protons du rayonnement cosmique galactique qui ont généré les neutrinos atmosphériques sont chargés. On pense qu'ils ont été produits par des supernovaesupernovae ou aux abords d'astres compacts comme les étoiles à neutrons ou les trous noirs stellairestrous noirs stellaires. Mais du fait des champs magnétiques dans la Voie lactée, ils sont déviés et effectuent une sorte de marche aléatoire à la façon d'un ivrogne. Il n'est donc possible d'assigner une source précise sur la voûte céleste ni à ces protons (qui forment l'essentiel des rayons cosmiques) ni aux neutrinos qu'ils génèrent. Cela laisse d'ailleurs planer quelques doutes sur l'origine exacte de la majorité des rayons cosmiques.

    Les courbes des flux de neutrinos de différentes énergies. Les neutrinos cosmologiques (<em>cosmological ν</em>) sont très abondants, comme on le voit à gauche, mais uniquement à très basses énergies. En pratique, ils sont inobservables. Entre 1 keV et 1 MeV, le flux est dominé par les neutrinos solaires, mais de 1 GeV à 1 TeV, on ne voit vraiment que des neutrinos atmosphériques peu intéressants pour l'astrophysique. © Aspera
    Les courbes des flux de neutrinos de différentes énergies. Les neutrinos cosmologiques (cosmological ν) sont très abondants, comme on le voit à gauche, mais uniquement à très basses énergies. En pratique, ils sont inobservables. Entre 1 keV et 1 MeV, le flux est dominé par les neutrinos solaires, mais de 1 GeV à 1 TeV, on ne voit vraiment que des neutrinos atmosphériques peu intéressants pour l'astrophysique. © Aspera

    Mais au-dessus de certaines énergies, le flux de neutrinos atmosphériques décroît d'une manière bien précise. Au-dessus de quelques dizaines de TeV, il devient de plus en plus difficile de rendre compte d'un flux de neutrinos autrement qu'en imaginant que ceux-ci soient directement produits aux abords d'objets compacts, comme les quasars, ou à l'occasion de certains sursauts gamma, même si le mécanisme de leur production peut être identique à celui des neutrinos atmosphériques. Les caractéristiques des flux de brusques bouffées de neutrinos accompagnant par exemple une supernova dans la Voie lactée sont elles aussi bien identifiables.

    Dans le cas des supernovae, il est intéressant de constater que les neutrinos émis proviennent directement du cœur de l'étoile qui explose. Ils nous renseignent sur ce qui est en train de s'y passer, ce qui n'est pas le cas des photons associés à ce phénomène. Il en est de même de ceux émis par la surface du Soleil, qui ne proviennent pas directement du cœur du Soleil, et c'est pourquoi on se sert des neutrinos solaires pour vérifier, par exemple, la théorie de la production du deutérium.

    Les neutrinos, des sondes pour les quasars et sursauts gamma

    De toutes ces considérations, il émerge que parce que les neutrinos ne sont pas sensibles aux champs magnétiques et qu'ils sont très pénétrants, ils peuvent servir à localiser clairement sur la voûte céleste les sources de rayons cosmiques à très hautes ou ultrahautes énergies quand ils ne sont pas d'origine atmosphérique, solaire ou cosmologique. Ils sont donc complémentaires des photons gamma de très hautes énergies, détectés notamment lors des sursauts gamma, dont on ne connaît toujours pas très bien l'origine. On prévoit en particulier que le flux de neutrinos à des énergies de l'ordre de 1.000 TeV (c'est-à-dire de l'ordre de 1 PeV) provient majoritairement des noyaux actifs de galaxies (AGN, voir le schéma ci-dessus), c'est-à-dire des quasars et des trous noirs supermassifs.

    Il est peu probable que les 28 neutrinos possédant des énergies comprises entre 30 et 1.200 TeV, dont la détection par IceCube est exposée en détail dans un article sur arxiv, soient des neutrinos atmosphériques. Il semble bel et bien que l'astrophysique des neutrinos soit en train d'entrer dans une ère nouvelle. Certains espèrent qu'elle nous livrera les clés d'une nouvelle physique, et ne nous révélera pas seulement des secrets concernant les supernovae, les étoiles à neutrons ou les quasars.