Le flux de neutrinos semble plus intense la nuit que le jour dans le détecteur géant Super-Kamiokande au Japon. À priori, rien de surprenant, mais le début de ce qui semble bien être une confirmation directe de l'existence de l'effet Mikheyev-Smirnov-Wolfenstein (MSW) avec les neutrinos. Les oscillations qui convertissent les trois espèces de neutrinos connues les unes dans les autres doivent en effet dépendre de la densité du milieu qu'ils traversent.

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    Masatoshi Koshiba, que l'on voit ici à Stockholm pour son prix Nobel de physique en 2002, a mené la collaboration Super-Kamiokande. Avec ce détecteur géant contenant 50.000 tonnes d'eau ultrapure et plus de 11.000 photomultiplicateurs, les physiciens ont pu démontrer et étudier la réalité du phénomène d'oscillation des neutrinos. © Nobel Media AB 2002, Hans Mehlin

    Masatoshi Koshiba, que l'on voit ici à Stockholm pour son prix Nobel de physique en 2002, a mené la collaboration Super-Kamiokande. Avec ce détecteur géant contenant 50.000 tonnes d'eau ultrapure et plus de 11.000 photomultiplicateurs, les physiciens ont pu démontrer et étudier la réalité du phénomène d'oscillation des neutrinos. © Nobel Media AB 2002, Hans Mehlin

    Depuis la découverte du boson de Brout-Englert-Higgs, il semblerait que ce soit celles concernant les neutrinosneutrinos qui occupent le devant de la scène de la physique des hautes énergies. Voilà quelques mois, il y a eu l'annonce de la détection par IceCube de neutrinos très énergétiques peut-être d'origine extragalactique. Tout récemment, ce sont les neutrinos stériles qui ont fait reparler d'eux avec XMM Newton et ChandraChandra. De nouvelles indications de leur existence dans les amas de galaxiesamas de galaxies sont en effet apparues.

    Voilà maintenant que Super-KamiokandeSuper-Kamiokande (Super-K) entre dans la danse, comme le prouve une publication sur arxiv. Ce n'est pas la première fois que ce détecteur géant contenant 50.000 tonnes d'eau et enfoui sous une montagne à 300 km à l'ouest de Tokyo se distingue dans la chasse aux neutrinos. À l'origine, une version plus petite était partie à la chasse à la désintégration du protonproton prédite par certaines théories de grande unificationthéories de grande unification, des Gut. À la place, les chercheurs ont détecté des neutrinos produits par l'explosion de l'étoileétoile Sanduleak, la fameuse supernovasupernova du Grand Nuage de MagellanGrand Nuage de Magellan, SN 1987A. En 1998, les membres de la collaboration Super-Kamiokande menée par Masatoshi Koshiba (né en 1926) ont finalement annoncé qu'ils avaient mis en évidence le phénomène d'oscillation des neutrinos, ce qui permettait d'expliquer le mystérieux déficit des neutrinos solaires.

    Une vue de l'intérieur du détecteur Super-Kamiokande lors d'une vidange complète. En fonctionnement, les plus de 11.000 photomultiplicateurs qu'il contient sont noyés dans 50.000 tonnes d'eau. © <em>Kamioka Observatory</em>, ICRR, université de Tokyo

    Une vue de l'intérieur du détecteur Super-Kamiokande lors d'une vidange complète. En fonctionnement, les plus de 11.000 photomultiplicateurs qu'il contient sont noyés dans 50.000 tonnes d'eau. © Kamioka Observatory, ICRR, université de Tokyo

    Les neutrinos et l'astrophysique

    Depuis lors, d'autres expériences comme T2K ont vérifié la réalité de ce phénomène qui permet aux neutrinos de se convertir spontanément les uns dans les autres. C'est pour cette raison que les premières tentatives d'observation du flux de neutrinos électroniquesneutrinos électroniques produit par les réactions thermonucléaires au cœur du SoleilSoleil semblaient montrer un déficit en neutrinos par rapport aux prédictions réalisées dans le cadre du modèle standardmodèle standard de la physique des particules et de la structure stellaire. Une partie des neutrinos électroniques s'étaient convertis en d'autres neutrinos dits muoniques et tauoniques lors de leur voyage entre le cœur du Soleil et les détecteurs sur Terre.

    La physique des oscillations des neutrinos est depuis l'objet de multiples travaux théoriques et expérimentaux, car elle constitue une fenêtrefenêtre sur une physique au-delà du modèle standard à des énergies que nous ne pouvons pas sonder directement avec les accélérateurs sur Terre. Elle pourrait contenir des indications précieuses sur l'énigme de l'antimatière cosmologique et même celle de la matière noire.

    La Terre, un filtre à neutrinos avec l'effet MSW

    Mais qu'ont donc découvert tout dernièrement les physiciensphysiciens avec Super-K ? Il s'agit d'une indication assez convaincante, mais pas encore d'une démonstration, de l'existence de l'effet Mikheyev-Smirnov-Wolfenstein (MSW). En 1986, les physiciens soviétiques Stanislav Smirnov et Alexei Mikheyev, sur la base de travaux de l'États-Unien Lincoln Wolfenstein de 1978, ont proposé une correction au phénomène d'oscillation des neutrinos qui tient compte du fait que ceux-ci se trouvent dans le vide ou traversent un milieu dense en électronsélectrons, comme le Soleil et la Terre. L'effet MSW est donc supposé se produire déjà dans le plasma solaire, et il explique pourquoi seulement 30 % environ des neutrinos électroniques produits au cœur du Soleil sont détectés, alors que cette fraction devrait être de 50 % en tenant compte uniquement du mécanisme d'oscillation dans le vide.

    Le physicien Stanislav Mikheyev (1940-2011) est l'un des codécouvreurs du mécanisme de l’effet Mikheyev-Smirnov-Wolfenstein (MSW). Il intervient lorsqu'un flux de neutrinos traverse un milieu dense riche en électrons. © INR

    Le physicien Stanislav Mikheyev (1940-2011) est l'un des codécouvreurs du mécanisme de l’effet Mikheyev-Smirnov-Wolfenstein (MSW). Il intervient lorsqu'un flux de neutrinos traverse un milieu dense riche en électrons. © INR

    Pour mettre en évidence l'effet MSW plus directement, les physiciens ont eu l'idée de fouiller dans les archives des mesures prises depuis 18 ans avec Super-Kamiokande. Ils ont cherché d'éventuelles différences du flux de neutrinos entre le jour et la nuit. En effet, en s'interposant entre le Soleil et le détecteur, la Terre joue en quelque sorte le rôle de filtre à neutrinos, en provoquant cette fois-ci une reconversion d'une partie des neutrinos muoniques et tauoniques en neutrinos électroniques.

    Des indications à confirmer avec un Hyper-Kamiokande

    La statistique accumulée, comme disent les physiciens, montre au bout de 18 ans que le flux de neutrinos électroniques semble un peu plus élevé d'une valeur de 3,2 % la nuit. C'est en bon accord avec la prédiction découlant de l'effet MSW, mais la mesure ne montre qu'un signal à 2,7 sigma, qui atteint 2,9 sigma en tenant compte des résultats d'une autre expérience, Sudbury Neutrino Observatory (SNO), au Canada. Rappelons qu'en physique, on parle vraiment de découverte d'un phénomène lorsque le signal est à 5 sigma au-dessus du bruit de fond causé par diverses perturbations aléatoires.

    L'effet MSW pointe donc tout juste le bout de son neznez, mais les physiciens considèrent tout de même ce résultat comme très encourageant. Pour aller plus loin, et surtout plus rapidement, il faudrait augmenter la statistique avec un détecteur plus gros. Un Hyper-Kamiokande est justement en projet. Il sera 25 fois plus volumineux que le Super-K.