Une température inférieure à un milliardième de kelvin, des pressions de 50 millions de fois celle de l'atmosphère terrestre ne sont que quelques exemples des records que les physiciens sont conduits à établir dans les laboratoires sur Terre en tentant de repousser nos connaissances sur les lois de la physique. Julien Bobroff, célèbre physicien et vulgarisateur scientifique français spécialisé dans la supraconductivité, le magnétisme, la physique quantique et la physique de la matière condensée, a récemment sorti un nouvel ouvrage aux éditions Albin Michel dont le sujet est justement celui des expériences faisant intervenir de la physique de l'extrême. Voici une petite balade dans ce monde fascinant avec notamment plusieurs vidéos du physicien.


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    Le 14 septembre 2015 une onde gravitationnelle, c’est-à-dire une vibration du tissu élastique de l’espace-temps décrit par la théorie de la relativité générale est arrivée sur Terre après un voyage de 1,3 milliard d’années. Elle emportait une partie de l’énergie équivalente à trois fois la masse du Soleil convertie en rayonnement gravitationnel par une collision de deux trous noirs.

    Mais étant donné la distance, ce rayonnement était malgré tout si faible qu’une fois arrivé sur Terre ses vibrations n’ont fait varier les distances spatiales que d’un millième de la taille d’un proton environ. Pour mesurer ce phénomène aussi extrême, il n’y avait qu’une solution : faire intervenir des faisceaux laser et construire des détecteurs géants de plusieurs kilomètres avec des miroirs sous un vide poussé et qu’il faut isoler le plus possible de vibrations parasites, par exemple celle des ondes sismiques.

    Remarquablement, c’est la même année, en 1917, où il publie un développement conséquent de sa théorie des ondes gravitationnelles qu’Einstein découvre également l’effet laser qui va permettre de vérifier sa prédiction. Cette détection est le point d’orgue du livre de Julien Bobroff sur la physique de l’extrême publié aux éditions Albin Michel dont il explique rapidement le contenu dans la vidéo ci-dessous.

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    Mon livre : La physique de l'extrême, chez Albin Michel. © Julien Bobroff

    Quelle matière et quelle chimie au cœur des planètes dans l'Univers ?

    Comme l'explique cette vidéo, la physique de l'extrême se rencontre lorsque les physiciens se posent certaines questions. Par exemple que devient la matière au cœur de la Terre là où les pressions peuvent atteindre des millions d’atmosphères ? Les lois de la physique et de la chimie changent-elles ? Pour le savoir, le prix Nobel de physique Percy Williams Bridgman a posé les bases de la technologie qui allait aboutir à la création des cellules à enclumes de diamants utilisées aujourd'hui de façon routinière pour des expériences à de hautes pressions.

    Avec elles, il a été par exemple possible de vérifier une prédiction étonnante de la mécanique quantique, à savoir qu’à de très hautes pressions, comme à l’intérieur des planètes géantes du Système solaire, l’hydrogène devient métallique.

    Il pourrait même devenir supraconducteur et une fois ramené à la pression ambiante, cet hydrogène métallique ou un composé simple à base d’hydrogène, pourrait le rester, conduisant peut-être à une révolution technologique.


    Le record de pression. © Julien Bobroff

    Dans cette exploration du territoire de la physique des hautes pressions qui peut aussi nous révéler les secrets des superterres, les physiciens repoussent les limites et récemment, comme l’explique Julien Bobroff dans son dernier ouvrage, une expérience qu’il décrit a permis d’atteindre des pressions équivalentes à celle de plusieurs Tour Eiffel reposant l’une sur l’autre et sur la surface de la pointe d’un doigt, soit des dizaines de millions de fois la pression atmosphérique.


    Interview de Monsieur Louis de Broglie, prix Nobel de physique 1929 pour sa découverte de l'aspect ondulatoire des électrons qui introduit le champ de la mécanique ondulatoire. Louis de Broglie parle de la genèse de sa découverte et explique comment il a introduit la mécanique ondulatoire ; cette découverte révolutionnaire n'a pas été tout de suite acceptée, mais Einstein a été l'un des premiers à en reconnaître l'importance. © INA

    Des microscopes sans lumière pour la biologie

    Autre exemple.

    En 1923, inspiré par la théorie d’Einstein qui explique que l’énergie des ondes lumineuses est sous forme de grains, les photons, le Français Louis de Broglie propose que, symétriquement, les grains de matière comme les électrons peuvent aussi être représentés jusqu’à un certain point par des ondes. Peut-on alors faire des microscopes électroniques avec des ondes de matière révélant des détails les plus fins du monde de l’infiniment petit qu’il n’est possible de le faire avec des microscopes utilisant la lumière visible ?

    En 1931, les ingénieurs allemands Ernst Ruska et Max Knoll répondent par l’affirmative. La microscopie électronique est née et récemment elle a permis d’atteindre une résolution record, inférieure au milliardième de mètre, en montrant des images d’atomes dans une expérience toujours décrite par Julien Bobroff dans son dernier opus.


    Le microscope le plus puissant. © Julien Bobroff

    Le premier prototype de microscope électronique a été construit en 1931 Ruska et Knoll. Le premier recevra d'ailleurs le prix Nobel de physique en 1986 pour cette réalisation. Bien qu'à ses débuts cet appareil ne rivalisait pas avec un microscope optique, il ne fallut que deux années pour que la résolution d'un microscope électronique surpasse celle de son classique homologue optique. Aujourd'hui, on parvient même à observer avec un microscope électronique des atomes d'hydrogène. Toutefois, le brevet de ce microscope a été déposé par Reinhold Rudenberg, le directeur scientifique de Siemens, cherchant à rendre visible le virus de la poliomyélite. Après la Seconde Guerre mondiale, l'utilisation de microscopes électroniques à haute résolution devient de plus en plus importante pour l'étude des systèmes biologiques.


    Le record du froid. © Julien Bobroff

    La physique proche du zéro absolu

    La quête et l'exploration de la physique des basses températures sont aussi fructueuses. Ainsi il y a presque un siècle, le Hollandais Heike Kamerlingh Onnes produisait de l’hélium liquide pour la première fois en refroidissant un gaz. L’expérience acquise pour réaliser cette découverte lui sera profitable car quelques années plus tard il se lança dans l'investigation des propriétés électriques de métaux à très basses températures, comme le mercure, l’étain et plomb.

    Or, la théorie cinétique des gaz de Boltzmann, et celle des électrons de Hendrik Lorentz basée sur elle, aboutissent à une prédiction curieuse via le fameux théorème d'équipartition de l'énergie en mécanique statistique. En effet, le célèbre Lord Kelvin en déduisit qu'au sein d'un conducteur, les électrons devraient être à l'arrêt complet au zéro absolu. Si tel était le cas, cela signifierait que la résistivité électrique devrait tendre vers l’infini au fur et à mesure que l’on s’approche de la température de 0 kelvin.

    Heike Kamerlingh Onnes et d’autres physiciens n’y croyaient pas et pensaient même plutôt le contraire. La résistivité devait décroître progressivement jusqu'à zéro. Augustus Matthiessen avait en effet montré dans les années 1860 que la résistivité augmente généralement avec la température dans les métaux.

    Kamerlingh Onnes va trancher la question. Le 8 avril 1911, il mesure avec son assistant Gilles Holst la résistance électrique du mercure refroidi par de l’hélium liquide. Ce jour-là, ils découvrent la supraconductivité en observant qu'à 4,2 kelvins la résistivité du mercure est nulle. Le phénomène va passionner des générations entières de chercheurs et des théoriciens de premier calibre s’attaqueront à sa compréhension comme Lev Landau et Pierre Gilles de Gennes en utilisant la mécanique quantique.

    L'exploration de la physique des basses températures va se poursuivre et comme l'explique Julien Bobroff dans la vidéo ci-dessus, Homo sapiens est parvenu à produire des températures si basses qu'elles ne semblent pas exister à l'état naturel dans l'Univers, en tout cas pas hors les laboratoires de la noosphère. On parvient à ce résultat surprenant en utilisant la technique de refroidissement par désaimantation adiabatique nucléaire. On peut en apprendre un peu plus à ce sujet à nouveau dans l'un des cours de Richard Feynmann.

    Incidemment, l'Univers observable est naturellement chauffé à la température du fond diffus cosmologique (2,728 K). Mais, dans le cas de la nébuleuse du Boomerang, située à 5 000 années-lumière de la Terre dans la constellation du Centaure, la température y est de 1 kelvin (soit −272 °C), ce qui fait d'elle l'objet naturel connu le plus froid.


    L'objet le plus calme au monde. © Julien Bobroff

    Un cinquième état de la matière pour chasser une nouvelle physique

    La mission Microscope avait pour but de tester le Principe d'équivalence d'Einstein dans l'espace, un des fondements de la théorie de la relativité générale. L'enjeu était énorme : si ce dernier avait été violé, cela ouvrirait une fenêtre sur une nouvelle physique et nous permettrait peut-être, entre autres, de percer les secrets de la matière noire et de l’énergie noire, voire de la gravitation quantique.

    Comme l'explique Julien Bobroff dans la vidéo ci-dessus, on peut tenter de tester également ce principe sur Terre mais en utilisant un (CBE), un état de la matière qui se produit lorsque l'on refroidit suffisamment certains atomes qui se comportent alors comme des . Les d'ondes de de Louis de Broglie associés à chacun de ces atomes dans un s'étalent dans l'espace pour finir par se chevaucher. 

    Comme le montre la vidéo ci-dessous, il n'existe alors plus, en quelque sorte, qu'une seule onde de matière pour des dizaines de milliers d'atomes. Cela permet de réaliser, par exemple, des expériences d'interférométrie plus précises qu'avec des .

    Des expériences réalisées avec des CBE en chute libre, comme lors des vols paraboliques en avion, ou de manière équivalente en dans l'espace, sont aussi particulièrement adaptées pour tester la Relativité générale et le Principe d'équivalence.


    Une animation expliquant le principe d'un CBE. © Julien Bobroff, La Physique Autrement

    Ces chercheurs ont notamment fait chuter à plusieurs reprises un dispositif contenant une expérience utilisant des CBE du haut des 120 mètres de la tour du Center of Applied Space Technology and Microgravity (Zarm) installée à Brême, en Allemagne. L'appareil utilisé il y a quelques années est une capsule cylindrique de 2,15 mètres de long et d'un diamètre de 65 centimètres. À l'intérieur se trouvait un piège magnéto-optique contenant initialement 10 millions d'atomes froids de 87. Une fois en chute libre, la à l'intérieur de la capsule (telle que pourrait la mesurer un observateur qui y serait enfermé) n'est plus que de 10-5 g et l'action conjointe d'une mélasse optique avec laser et de la technique de refroidissement par évaporation refroidit environ 10 000 atomes pour former un CBE à la température de 10 nanokelvins (on a fait plus froid encore récemment comme l'explique la vidéo ci-dessus).

    Le CBE était ensuite libéré de son piège et on mesurait toujours avec un laser s'il accélérait par rapport au dispositif, ce qui constituerait une violation du Principe d'équivalence. Pour faire des mesures plus précises il faut aller dans l'espace, à bord de l'ISS.

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    Prix Nobel de physique 1946, Percy Williams Bridgman (1882-1961) a ouvert la voie à l'étude de la matière à haute pression à l'intérieur des planètes. Il a eu comme étudiants <a title="Les trous noirs découverts par un mystique hindou ?  Oppenheimer : partie II" href="//www.futura-sciences.com/sciences/actualites/physique-trous-noirs-decouverts-mystique-hindou-oppenheimer-partie-ii-106765/">Robert Oppenheimer</a>, le grand géophysicien Francis Birch et le futur prix Nobel de physique John Hasbrouck van Vleck. Il est considéré comme l'un des théoriciens les plus influents de <a href="https://archive.org/details/natureofphysical00brid/mode/2up" target="_blank">l'opérationnalisme en épistémologie</a>. © Fondation Nobel
    Prix Nobel de physique 1946, Percy Williams Bridgman (1882-1961) a ouvert la voie à l'étude de la matière à haute pression à l'intérieur des planètes. Il a eu comme étudiants Robert Oppenheimer, le grand géophysicien Francis Birch et le futur prix Nobel de physique John Hasbrouck van Vleck. Il est considéré comme l'un des théoriciens les plus influents de l'opérationnalisme en épistémologie. © Fondation Nobel

    Le saviez-vous ?

    Le prix Nobel de physique Percy Williams Bridgman a été l’un des pionniers de la physique des hautes pressions que l’on trouve à grande profondeur, dans le manteau ou au cœur de la Terre, voire au centre de planètes géantes comme Jupiter. Pour cela, il a inventé et développé les bases de la technique permettant de soumettre des échantillons de matière à des pressions dépassant 100 000 atmosphères au moyen des cellules à enclumes de diamant. Les cellules à enclumes de Bridgman étaient initialement composées de de . Avec cet outil, son élève Francis Birch a démontré en 1952 que le manteau de la Terre est principalement composé de silicates, et que notre Planète dispose aussi d'un noyau externe liquide et d'un noyau interne solide, tous deux constitués de fer. Bridgman a fait plusieurs découvertes qui lui ont valu le prix Nobel de physique de 1946. On peut citer, par exemple, celle de l'existence de multiples phases de la glace.


    Pour recréer les conditions régnant dans les profondeurs des planètes, des échantillons de matière peuvent être placés entre les pointes de deux diamants. Les diamants sont alors pressés l’un contre l’autre afin de produire des pressions très élevées. Un faisceau laser infrarouge peut alors chauffer l’échantillon jusqu’à 1 000 °C et plus. Traduction en français en cliquant sur le rectangle blanc en bas à droite, puis sur l'écrou, ensuite sur « Sous-titres » et « Traduire automatiquement ». © Carnegie Science