L'une des voies explorées pour décarboner les transports et l'industrie suppose de pouvoir stocker efficacement et sans danger de l'hydrogène. On envisage pour cela des matériaux solides et c'est la course dans les laboratoires mondiaux pour trouver celui qui sera le meilleur, le moins cher et le plus facile à produire. Une équipe internationale, menée notamment par le célèbre physicien et cristallographe russe Artem Oganov, vient d'accomplir quelques progrès en ce sens.
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Futura suit depuis plus d'une décennie les travaux du physicien, chimiste et cristallographe russe Artem Oganov, dont le nom revient assez souvent sur le devant de la scène de la physico-chimie des matériaux à haute pression. Rappelons que ses travaux l'ont conduit dans plusieurs centres de recherche mondiaux de grande réputation, de l'université d'État de Moscou jusqu'à l'université Stony Brook en passant par l'University College London et l'ETH à Zurich.
De retour en Russie et après avoir été membre un temps du mythique Institut de physique et de technologie de Moscou (MIPT pour Moscow Institute of Physics and Technology, Московский Физико-Технический институт, en russe), il poursuit son exploration de la physique du solide dans le cadre du Skolkovo Institute of Science and Technology (Skoltech) que l'on peut considérer comme l'équivalent russe du Massachusetts Institute of Technology (MIT) aux États-Unis.
Il a contribué également à la mise en place du prix « ВЫЗОВ », une sorte de version moderne du prix Nobel et dont une partie est accessible à tous les chercheurs et ingénieurs de la noosphère sur la base de contributions de valeur en science et ingénierie uniquement.
Justement, Artem Oganov vient de publier avec ses collègues de Skoltech, de l'Institut de cristallographiecristallographie Shubnikov de la Russian Academy of Sciences (RAS) et de centres de recherche en Chine, au Japon et en Italie, un nouvel article dans Advanced Energy Materials.
Il est notamment expliqué que cette équipe internationale a vérifié des prédictions théoriques basées sur l'algorithme nommé Uspex (Universal Structure Predictor : Evolutionary Xtallography, en russe uspekh signifie « succès »). Développé initialement par Artem Oganov, Uspex est utilisé par plus de 7 000 chercheurs dans le monde car il permet de prédire et d'explorer victorieusement la structure cristalline que vont adopter les atomes formant un matériau d'une composition chimique initiale donnée dans des conditions de pression et de température arbitraires, en particulier des conditions physiques difficiles à réaliser en laboratoire, comme celles des hautes pressions à l'intérieur des planètes géantesplanètes géantes de glace du Système solaireSystème solaire telles Uranus et Neptune.
La saga de la découverte de l'hydrogène et ses applications. © CEA Recherche
Le stockage de l'hydrogène, une clé de la décarbonation des transports et de l'industrie
Mais cette fois-ci, il s'agit d'une avancée de la connaissance et de la technologie bien terrestre puisque les chercheurs annoncent qu'ils ont découvert un matériau de stockage chimique de l'hydrogènehydrogène capable d'« absorber » quatre fois plus de ce gazgaz difficile à contenir que les meilleurs prétendants actuels.
Rappelons qu'aucune étude sérieuse ne permet de penser que nous pourrons nous passer de l’énergie nucléaire dans les décennies à venir, bien au contraire. Mais il est tout aussi certain que les énergies renouvelablesénergies renouvelables vont également monter en puissance et qu'en appoint de l'atome, il faudra trouver des moyens aussi efficaces et peu onéreux que possible pour stocker l'énergie électrique produite par intermittence par les éolienneséoliennes et les panneaux solaires.
L'hydrogène apparaît comme un moyen intéressant de stocker de l'énergie électrique mais, bien évidemment, ce n'est pas aussi simple que l'on pourrait le croire. On sait produire de l'hydrogène par électrolyseélectrolyse, mais cela veut dire qu'il y a un rendement pour cette conversion. La question se reposera avec la reconversion de l'hydrogène en électricité, par exemple avec une pile à combustiblepile à combustible.
On comprend facilement qu'il faudrait donc, autant que possible, pouvoir utiliser directement de l'électricité car, en fait, un facteur de rendement devra être appliqué deux fois. Imaginons que ce facteur soit de 0,5 alors in fine, seul un quart de l'énergie initialement produite par du solaire ou de l'éolien sera utilisable si on la stocke.
La question est encore plus problématique si on veut faire du stockage à haute densité car il faut alors, par exemple, compresser voire liquéfier l'hydrogène, ce qui est aussi très énergivore.
L'hydrogène est une des clés de la transition énergétique du XXIe siècle. © CEA Recherche
Des hydrures métalliques pour stocker l'hydrogène
L'idée de stocker l'hydrogène directement sous forme solide dans un matériau qui l'absorbe est donc à considérer. C'est d'autant plus vrai qu'il faut trouver un moyen de stockage qui soit aussi peu dangereux que possible - sous forme de gaz, l'hydrogène peut facilement donner des explosions. Dans l'idéal, il faut un matériau aussi absorbant que possible, peu cher, facile à fabriquer et qui puisse libérer facilement et rapidement l'hydrogène qu'il contient principalement dans le cas des véhicules, que ce soit des voituresvoitures, des avions ou des transports en commun. L’hydrogène devrait donc jouer un rôle majeur dans la future économie à faibles émissionsémissions de carbonecarbone.
Parmi les voies de recherche à ce sujet, il y a donc aujourd'hui celle qu'explique dans le communiqué de Skoltech accompagnant la publication scientifique un autre des principaux auteurs de l'étude, Dmitrii Semenok.
« Certains matériaux, par exemple les alliagesalliages magnésiummagnésium-nickelnickel et zirconiumzirconium-vanadiumvanadium, peuvent stocker de l'hydrogène dans les vides entre les atomes métalliques qui composent la structure cristalline. De tels accumulateurs assurent un stockage relativement dense et sûr et libèrent de l'hydrogène assez rapidement à la demande s'ils sont chauffés. Mais s'il est possible de modifier les alliages métalliques en fonction des conditions requises pour la capture et la libération de l'hydrogène et du nombre de cycles de charge-décharge qu'ils supportent, il existe une limite relativement stricte à la quantité d'hydrogène qu'il est possible d'introduire dans ces matériaux : environ deux atomes d'hydrogène pour un atome de métalmétal. »
Les composés que nous avons synthétisés - l'heptahydrure de césiumcésium CsH7 et le nonahydrure de rubidiumrubidium RbH9 - contiennent respectivement jusqu'à sept et neuf atomes d'hydrogène par atome de métal. Et nous nous attendons à ce qu'ils soient les premiers matériaux riches en hydrogène stables à la pression atmosphériquepression atmosphérique, bien que ce dernier nécessite une confirmation. Quoi qu'il en soit, la proportion d'atomes d'hydrogène dans ces composés est la plus élevée parmi tous les hydrures connus, deux fois plus élevée que dans le méthane CH4 »
Pour recréer les conditions régnant dans les profondeurs des planètes, des échantillons de matière peuvent être placés entre les pointes de deux diamants. Les diamants sont alors pressés l’un contre l’autre afin de produire des pressions très élevées. Un faisceau laser infrarouge peut alors chauffer l’échantillon jusqu’à 1 000 °C et plus. Traduction en français en cliquant sur le rectangle blanc en bas à droite, puis sur l'écrou, ensuite sur « Sous-titres » et « Traduire automatiquement ». © Carnegie Science
Des expériences relevant de la physique des hautes pressions
Artem Oganov précise également dans le communiqué comment lui et ses collègues ont obtenu ces matériaux prometteurs. « Nous faisons réagir de la poudre d'ammoniacammoniac-borane riche en hydrogène avec du césium ou du rubidium. Cela produit des sels appelés amiboranes de césium ou de rubidium. La chaleurchaleur décompose ces sels en monohydrures de césium ou de rubidium et en beaucoup d'hydrogène. Comme l'expérience se déroule dans une cellule entre deux diamantsdiamants exerçant 100 000 fois la pression atmosphérique, l'hydrogène supplémentaire est forcé dans les vides du réseau cristallinréseau cristallin, formant de l'heptahydrure de césium et du nonahydrure de rubidium - ce dernier, dans deux variétés distinctes de réseau cristallin. »
Le communiqué de Skoltech se conclut en expliquant que « l'équipe compte désormais répéter l'expérience en utilisant des presses hydrauliques à grande échelle à une pression plus faible - environ 10 000 atmosphèresatmosphères - pour obtenir de plus grandes quantités de polyhydrures de césium et de rubidium et vérifier qu'une fois synthétisés, ces composés restent stables même à pression atmosphérique, contrairement aux autres polyhydrures connus à ce jour ».
Le saviez-vous ?
Le prix Nobel de physique Percy Williams Bridgman a été l’un des pionniers de la physique des hautes pressions que l’on trouve à grande profondeur, dans le manteau ou au cœur de la Terre, voire au centre de planètes géantes comme Jupiter. Pour cela, il a inventé et développé la technique permettant de soumettre des échantillons de matière à des pressions dépassant 100 000 atmosphères au moyen des cellules à enclumes de diamant. Avec cet outil, son élève Francis Birch a démontré en 1952 que le manteau de la Terre est principalement composé de silicates, et que notre Planète dispose aussi d'un noyau externe liquide et d'un noyau interne solide, tous deux constitués de fer.