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Ian Moss a passé sa thèse pendant les années 1980 avec Stephen Hawking. Elle concernait la cosmologie quantique et la théorie de l'inflation. Avec ses collègues, Ruth Gregory et Philipp Burda, il a déposé sur arxiv deux articles depuis le début de cette année dans lesquels les chercheurs développent une vieille idée du célèbre physicienphysicien Sydney Coleman. La mise en évidence du boson de Brout-Englert-Higgs leur permet de revisiter le problème de l'instabilité du vide quantique. Celui-ci peut faire craindre que le redémarrage du LHC, et surtout la création de minitrous noirs dans les collisions de faisceaux de protons à 13 TeV qu'il accélère, n'entraînent rien de moins que la destruction de l'univers observable tel que nous le connaissons...
La nouvelle fait écho à cet épisode de crainte irrationnelle, instrumentalisée par certains lors du début du premier « run » du LHC. Il existait alors de bonnes raisons de penser que l'accélérateur allait fabriquer des minitrous noirs. L'inquiétude était cependant sans fondement : ces objets devaient nécessairement s'évaporer très vite via le rayonnement Hawking et ils ne pouvaient donc pas croître en avalant la matièrematière environnante et encore moins la Terre elle-même. Cette conclusion était bien sûr basée sur des calculs théoriques qu'il est toujours possible de mettre en doute. Mais comme l'avait expliqué à Futura-Sciences Aurélien Barrau, certains des rayons cosmiquesrayons cosmiques qui frappent la Terre et les autres astresastres de la Voie lactéeVoie lactée sont bien plus énergétiques que les faisceaux de protons du LHC. Si des minitrous noirs dangereux étaient créés lors de ces collisions, la Terre, les planètes du Système solaireSystème solaire et même des étoiles à neutronsétoiles à neutrons auraient dû disparaître depuis longtemps.
Des minitrous noirs vers 10 TeV ou 1016 TeV ?
Il semble maintenant beaucoup moins crédible que le LHC produise des minitrous noirs. Il faudrait probablement, comme on le pensait encore jusqu'à la fin des années 1990, monter à des énergiesénergies à tout jamais inaccessibles à l'humanité, à savoir l'énergie de PlanckPlanck de 1016 TeV, car bien au-delà de la technologie qu'autorisent les lois de la physiquephysique. Mais personne ne peut en être sûr.
Avant d'aborder les travaux de Moss, Gregory et Burda, il est important de réaliser qu'ils reposent sur l'hypothèse que le modèle électrofaible, et plus généralement le modèle standardmodèle standard, restent valables jusqu'à l'énergie de Planck environ. C'est logiquement possible au vu des caractéristiques du boson de Brout-Englert-Higgs observé dans les détecteurs du LHC mais plusieurs raisons laissent penser qu'une nouvelle physique doit intervenir bien avant ce seuil d'énergie. De fait, la création de minitrous noirs au LHC suppose justement des manifestations de cette nouvelle physique vers 10 TeV environ.
Un champ scalaire Φ, comme celui décrivant le boson de Brout-Englert-Higgs, peut donner lieu à une densité d'énergie dans le vide variable V(Φ). Dans le cadre de la théorie de l'inflation, avec un équivalent du champ de Higgs, V(Φ) avait au début de l'histoire de l'univers une valeur non nulle très importante entraînant une expansion très rapide de l'espace. L'univers était alors dans un état de faux vide (False Vacuum). Le champ Φ pouvait être nul à ce moment-là, puis avoir évolué rapidement de sorte que V(Φ) se soit annulé. L'univers serait passé à la fin de l'inflation dans un état de vrai vide (True Vacuum). Des variantes existent avec une fonction V(Φ) présentant plusieurs vallées séparées par des collines. L'univers pourrait n'avoir fait que transiter entre deux vallées représentants des faux vides, par exemple par effet tunnel quantique (Quantum Tunneling). Notre propre univers observable pourrait bien ne pas être encore dans un état d'énergie minimale. Il pourrait alors être instable et son régime d'expansion pourrait varier radicalement. Ceci n'est qu'un exemple des théories pouvant rendre compte de l'énergie noire avec un champ scalaire. Si l'énergie noire peut varier dans le temps, l'univers pourrait finir dans un Big Crunch ou un Big Rip. © Gary Scott Watson
Rappelons que le vide quantique est par définition l'état d'énergie minimale des champs quantiques dans le cosmoscosmos observable. Il n'y a aucune raison qu'il soit de valeur nulle et de fait, l'existence de l'énergie noireénergie noire est selon toute probabilité une manifestation de cette énergie du vide. L'une des composantes de cette énergie doit provenir du champ de Brout-Englert-Higgs ou plus exactement d'un terme dans les équationséquations qui le décrivent. Comme le montre le schéma ci-dessus, ce terme peut se représenter comme un relief montagneux avec des bosses et des creux dont certains ne sont pas associés à une altitude nulle, c'est-à-dire une densité d'énergie nulle dans l'univers actuel. Il se pourrait que l'état du champ de Higgs ne soit pas associé à un creux d'altitude zéro.
Pas plus qu'un bille dans une cuvette ne peut traverser une montagne, fût-ce pour se retrouver à une altitude plus faible, le champ de Higgs (ou tout autre champs scalaire possédant un terme similaire à celui donnant la densité d'énergie du champ de Higgs au repos) ne peut transiter vers un état d'énergie plus basse, et donc plus stable, dans le cadre de la physique classique.
L'instanton de Coleman De Lucia
Mais en réalité, il en est tout autrement à cause du caractère fondamentalement quantique du champ. Sydney Coleman et son collègue Frank De Lucia ont ainsi montré en 1987 qu'un effet tunnel reposant sur l'existence d'un instanton, c'est-à-dire en gros une solution d'une théorie quantique d'un champ en temps imaginaire, permettait une telle transition. Le vide quantique de notre univers, que ce soit avec le champ de Higgs du modèle standard ou avec d'autre champs scalaires dont certains seraient des cousins du Higgs dans des théories de GUT, pourrait donc être métastablemétastable. Il ne serait donc stable que sur une grande période de temps à la fin de laquelle il se changerait en un autre vide.
Les cours de théorie quantique des champs de Sydney Coleman à l'université de Harvard sont devenus une légende. On doit au chercheur d'importants travaux sur le rôle des symétries et de la théorie de la renormalisation dans le cadre du modèle standard. Il s'est aussi intéressé à la cosmologie et aux trous de vers. © Harvard University
Quelles seraient les conséquences de cette transition ? Il est difficile de le dire avec précision mais les massesmasses de plusieurs particules du modèle standard en serait affectées, celle des électronsélectrons par exemple et donc aussi la taille des atomesatomes et leurs propriétés physiques et chimiques. Il est certain que cela se produirait avec la masse des bosons W et Z, lesquels sont responsables de la radioactivitéradioactivité bêtabêta qui intervient dans les réactions thermonucléaires faisant briller le SoleilSoleil.
Dans le cadre des calculs de Coleman, une éventualité bien pire semble possible. La transition dans le vide quantique pourrait s'amorcer quelque part dans une petite région du cosmos et une sorte de bulle de nouveau vide se formerait en gonflant, comme une bulle de gazgaz dans un liquideliquide mais à la vitesse de la lumièrevitesse de la lumière. La géométrie de l'espace-tempsespace-temps dans cette bulle changerait radicalement et elle deviendrait très instable de sorte que l'espace-temps ne tarderait pas à s'effondrer. Ce serait donc la fin de l'univers.
Le LHC va-t-il mettre fin à la « surfusion » du vide quantique ?
Quel rapport avec le LHC ? Le temps de vie du faux vide quantique minimal dans le cadre du modèle standard est particulièrement long mais il devient beaucoup, beaucoup plus court en présence de minitrous noirs aussi petits que ceux que l'on pourrait en théorie fabriquer au LHC d'après les calculs de Moss, Gregory et Burda. Cette fois, ce n'est pas seulement la Terre mais l'univers entier qui serait menacé de destruction.
Ces minitrous noirs agiraient comme l'équivalent des germesgermes de nucléationnucléation qui provoquent la formation de gouttes d'eau à partir de la vapeur ou encore lorsqu'un choc provoque la transformation en glace de l'eau liquide dans un état de surfusion.
Il n'y a pas de raison de s'inquiéter pour autant. Si les calculs des chercheurs sont justes, pour les mêmes raisons qu'invoquées précédemment, la création de minitrous noirs par les rayons cosmiques aurait dû provoquer un changement de phase du vide quantique ayant conduit à la destruction du cosmos depuis fort longtemps. Une nouvelle physique, peut-être celle-là même qui autoriserait la création de ces minitrous noirs, doit donc protéger le vide quantique d'une déstabilisation rapide et catastrophique.