On le sait, en physique, lorsque l'on change d'échelle, de l'infiniment petit à l'infiniment grand, ou lorsque l'on va très vite, les lois physiques prennent des formes différentes. L'intrication quantique est bien observée à des énergies ordinaires avec des photons mais se produit-elle aussi à des énergies que seul le LHC, le Grand collisionneur de hadrons, peut sonder sur Terre et avec des particules exotiques comme les quarks ? Des chercheurs viennent de répondre à cette question sondant les fondements de la mécanique quantique en utilisant le détecteur géant Atlas.
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Vers la fin du XIXe siècle, personne ne doutait que si l'on disposait de suffisamment d'énergie, on pourrait faire dépasser à un corps matériel la vitesse de la lumière pour atteindre une vitesse arbitrairement grande. Les lois de la gravitation de Newton semblaient tellement bien vérifiées par les prévisions qu'elles permettaient en ce qui concerne les mouvements des planètes qu'il n'y avait pas vraiment de raison de les mettre en doute.
Pourtant, on sait que la théorie de la relativité n'allait pas tarder à contredire toutes ces croyances et des équationséquations non linéaires, celles de la relativité généralerelativité générale, allaient remplacer les équations de la gravitation linéaire de Laplace et PoissonPoisson.
De nos jours, il semblerait qu'une égale confiance se trouve dans les équations de la mécanique quantiquemécanique quantique mais il n’en est rien. Il existe des tentatives concernant des alternatives à ces équations faisant là aussi intervenir des équations non linéaires, en l'occurrence une version non linéaire de la fameuse équation de Schrödingeréquation de Schrödinger (attention, sous ce nom on regroupe deux équations différentes dont l'une n'est pas une modification des lois de la mécanique quantique).
De même que des simples vaguelettes à la surface de l'eau sont décrites par une équation d'onde linéaire qui est remplacée par une équation non linéaire pour décrire des collisions violentes entre des vagues scélérates, certains se demandent si à des énergies très élevées, comme celles que l'on peut atteindre dans des collisions de protonsprotons au LHC (Large Hadron ColliderLarge Hadron Collider, en anglais), des écarts par rapport aux prédictions de la mécanique quantique ne pourraient pas se produire, signes d'une théorie au-delà de celle découverte par Heisenberg, Born et Schrödinger.
L’intrication quantique est un phénomène qui lie intimement les propriétés de deux particules, quelle que soit la distance qui les sépare. Cela conduit à des effets si étranges qu’Albert Einstein lui-même en doutait ! Le débat fut tranché en 1982, lorsque Alain Aspect réalisa à l’Institut d’Optique une expérience démontrant la réalité physique de l’intrication quantique sur des particules de lumière – des photons. Cette expérience lui a valu le prix Nobel de physique en 2022. L'intrication est devenue aujourd'hui un outil essentiel pour mettre au point des dispositifs de cryptographie ultra-performants et concevoir des ordinateurs quantiques. Cette vidéo, réalisée à l’occasion des 80 ans du CNRS, retrace l’histoire de cet étrange phénomène, depuis le débat conceptuel des années 1930 jusqu’aux expériences contemporaines menées au sein des laboratoires. © Institut d'Optique
Comment se comporte l'intrication quantique aux énergies des trous noirs et du Big Bang ?
Ces dernières années, on parle beaucoup du phénomène d'intrication quantiqueintrication quantique et plus généralement du nouveau domaine de la physiquephysique qu'est l'information quantique. On pense pouvoir l'exploiter pour faire des ordinateurs quantiquesordinateurs quantiques performants. Mais on sait que la mécanique quantique, et en particulier ce phénomène d'intrication quantique, pose des problèmes conceptuels graves, surtout lorsque l'on tente de l'appliquer aux trous noirs et à la cosmologie quantique.
Et si des expériences en physique des particules à des énergies très élevées nous donnaient la clé de ces énigmes en montrant qu'il faut effectivement modifier les équations de la mécanique quantique ? La plupart des expériences sur l'intrication quantique se sont faites à des énergies très basses avec des photonsphotons et des électronsélectrons. Que donneraient-elles avec des hadrons, des particules faites de quarks donc ?
On a effectivement fait des expériences de ce genre avec des accélérateurs de particules et des mésonsmésons K neutres faits de paires de quarkquark-antiquark mais à des énergies bien plus basses tout de même que les 13 TeV que l'on peut atteindre avec des collisions de protons faits de trois quarks et antiquarks.
Toutefois, on apprend aujourd'hui que les physiciensphysiciens des particules ont été capables de vérifier à ces énergies le phénomène d'intrication quantique en étudiant les produits de collisions des protons contenant des paires de quark et d'antiquark top. Ces quarks sont particulièrement lourds et ils sont également très instables.
Des produits de désintégration d'une paire de quark et d'antiquark top
Cela n'a pas empêché les chercheurs, analysant avec le détecteur géant Atlas du LHC les produits secondaires de la désintégration des paires de top, de mettre en évidence le phénomène d’intrication avec les quarks et antiquarks top. Les produits secondaires se désintègrent dans des directions particulières de l'espace et en mesurant les flux de particules selon ces directions, on pouvait remonter à l'état quantique initial des paires de quarks. Les données utilisées dans les nouvelles mesures d'Atlas ont été obtenues à partir de collisions à 13 TeV collectées entre 2015 et 2018. Cela signifie que les chercheurs pouvaient explorer un territoire avec des échelles d'énergie de plus de 12 ordres de grandeurordres de grandeur, donc mille milliards de fois supérieures aux expériences de laboratoire classiques comme celles faites par le prix Nobel Alain Aspect et ses collègues au début des années 1980.
Le signal de l'intrication mesuré dépassait les 5 sigmas, ce qui est une autre façon de dire qu'il y a presque une chance sur un million que ce soit un signal fictif produit par des fluctuations statistiques dans le détecteur géant.
La question de savoir si la physique des particules peut sonder des effets de mécanique quantique subtils est relativement ancienne et des chercheurs, comme John Ellis (dans de nombreux articles), se sont intéressés à de possibles effets de décohérence quantique, comme ceux permettant de résoudre l'énigme du chat de Schrödingerchat de Schrödinger, causés par l'écume de l'espace-temps.
Le saviez-vous ?
En mécanique quantique, le paradoxe d’Einstein-Podolski-Rosen, ou paradoxe EPR, est célèbre. Il est si spectaculaire qu'il est désormais connu du grand public, et ses divers avatars se retrouvent souvent dans les médias. Tout commença en 1935, quand Albert Einstein et ses deux jeunes collègues publièrent un article tentant de prouver que la mécanique quantique ne pouvait pas être la description ultime des quanta de lumière ou de matière. Si tel était le cas, selon eux, elle conduirait à des phénomènes en contradiction avec l’esprit de la relativité restreinte.
Sous sa forme moderne, le paradoxe est souvent étudié et présenté au moyen de paires de photons, produits par la désintégration d’une autre particule, comme un méson pi, ou à l'aide d'un dispositif en optique non linéaire. On peut aussi utiliser des électrons et des noyaux. Pour décrire l’état particulier de ces paires de particules en mécanique quantique, on parle de paires de particules intriquées. Une théorie mathématique permet de définir ce que l’on entend par « intrication » pour des systèmes physiques et le degré de l'intrication.
Selon l’intrication quantique, deux photons apparaissent alors comme un tout indissociable. Ainsi, toute mesure de certaines caractéristiques de l’une de ces particules (produisant une modification de son état), entraîne instantanément (selon les équations connues mais tout ce que l'on sait vraiment c'est que si un signal est émis entre les particules intriquées il doit au minimum être bien plus rapide que la lumière) une modification de l’état de l’autre particule, quand bien même elles seraient séparées par une distance de plusieurs millions d’années-lumière. On comprend bien que cette conclusion semblait à Einstein bien peu compatible avec sa théorie de la relativité, qui implique qu’aucun signal ne peut se déplacer plus vite que la lumière dans l’Univers.
Une analyse soignée du phénomène montre, comme le fit le physicien Niels Bohr, qu’il est cependant possible de conserver à la fois la théorie d’Einstein et les lois de la mécanique quantique, si l’on admet qu’il existe une sorte de « non-localité ». Les objets dans l’Univers ne seraient pas fondamentalement dans l’espace et dans le temps. Par une sorte d’effet de perspective, nous fractionnerions une réalité constituée d’un seul bloc en une série de particules ou d’ondes dans un espace-temps que nous pouvons appréhender. Or, cette réalité serait en fait foncièrement au-delà de ce cadre spatiotemporel.