Le cosmos observable est en expansion accélérée et comprendre l'origine de ce phénomène nous donnera la clé de son destin ultime. De nouvelles analyses de la plus vieille lumière de l'Univers laissent penser que cette accélération est causée par la quintessence, une forme d'énergie noire.
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En 1917, Albert Einstein publiait le tout premier article portant sur un modèle cosmologique construit avec les lois de la théorie de la relativité générale. Il y introduisait une certaine constante entrant dans les équations de sa théorie gouvernant la dynamique et la structure d'un espace-temps courbe. Elle se manifestait comme une force répulsive empêchant la gravitation de la matière de la faire s'effondrer et donc conduisant à un universunivers statique et plus encore, de taille finie.
Une saga désormais centenaire va en découler et dès les années 1920 et 1930, des physiciens comme Wolfgang Pauli et Georges Lemaître vont comprendre que l’on peut interpréter cette constante comme une densité d’énergie du vide. Pendant des décennies, les chercheurs vont tout de même alimenter un long débat quant à savoir si la Nature a bel et bien fait usage de la constante cosmologiqueconstante cosmologique d'EinsteinEinstein... ou non.
Mais à la fin des années 1990, deux équipes d'astrophysiciensastrophysiciens vont montrer que le cosmoscosmos observable est en expansion accélérée depuis quelques milliards d'années, comme sous l'effet d'une force répulsive, et donc qu'il faut bien introduire dans les équations initialement découvertes par Einstein des années 1907 à 1915 un terme qui est précisément sous la forme de sa constante cosmologique.
À vrai dire, dès les années 1980, le prix Nobel de physique James Peebles avait compris que les scénarios inflationnaires en cosmologiecosmologie, qui venaient tout juste d'être proposés, ne pouvaient être compatibles avec les observations qu'en postulant la présence de la constante d'Einstein.
Toutefois, plusieurs interprétations sont possibles quant à l'existence de cette accélération et si la plus communément admise fait intervenir la notion d'énergie noireénergie noire, ce n'est pas une nécessité. Mais, si l'on interprète bien cette constante comme une densité d'énergie du vide, alors on peut envisager que cette densité soit variable dans le temps et l'espace, ce qui n'est pas le cas dans le modèle initialement proposé par Einstein en 1917.
En vidéo, les objectifs scientifiques d’Euclid. © ExplorNova
La quintessence de l'Univers observable
Une constante cosmologique variable, c'est ce que l'on peut obtenir en supposant qu'elle est produite par un champ scalaire ressemblant à celui du bosonboson de Brout-Englert-Higgs. Un tel champ apparaît d'ailleurs naturellement dans plusieurs théories relativistes alternatives de la gravitation, qui pourrait également se manifester sous la forme d'une cinquième force et également conduire à une variation dans le temps et dans l’espace de la constante de Newton.
On a donné à ce nouveau champ scalaire hypothétique le nom de quintessence, par analogieanalogie avec le cinquième élément composant le monde de la physiquephysique aristotélicienne et qui constituait l'espace. Le premier exemple de ce scénario a été proposé par Ratra et Peebles dans un article en 1988. Le terme « quintessence » a été introduit pour la première fois dans un article de 1998 par Robert R. Caldwell, Rahul Dave et Paul Steinhardt.
Mais comment savoir si l'énergie noire est bien une manifestation d'un champ de quintessence ? Plusieurs approches sont possibles, par exemple en tentant de mettre en évidence une variation dans le temps de la valeur de la constante cosmologique, ce que l'on va essayer de faire avec la mission EuclidEuclid et le LSST.
On peut aussi tenter de détecter d'autres effets de ce champ scalaire, comme celui avancé à la fin des années 1990 par un groupe de chercheurs dirigé par le physicienphysicien théoricien Marc Kamionkowski, maintenant à l'Université Johns-Hopkins de Baltimore, Maryland, et exploitant une idée avancée par un autre physicien théoricien en 1998, Sean Carroll, en poste actuellement au California Institute of Technology de Pasadena.
La polarisation de la plus vieille lumière de l'Univers observable
De quoi s'agit-il ? Tout simplement d'un effet dans la polarisation du rayonnement fossilefossile produit par son interaction depuis ses lieux de naissance, une sphère centrée sur un observateur à un temps donné et donc de rayon donné, et la quintessence répartie entre cette sphère et l'observateur.
Rappelons que la lumièrelumière est un champ électromagnétiquechamp électromagnétique vectoriel, donc avec un champ électriquechamp électrique, que l'on peut représenter comme une petite flèche orthogonale un rayon lumineux et dont la hauteur varie périodiquement dans le temps comme la longueur d'un ressort oscillant avec un poids. Si la flèche reste dans un plan de même orientation tout le long du chemin d'un rayon lumineux, on parle de polarisation linéaire. Elle peut aussi se déplacer en tournant avec son extrémité sur un cercle. On parle alors de polarisation circulaire.
On connaît certains effets d'interaction avec la matière qui vont produire naturellement une lumière polarisée, d'autres qui vont faire s'incliner d'un angle donné le vecteur champ électrique d'une onde lumineuse polarisée linéairement.
L'un des buts de la mission Planckmission Planck était de mesurer non seulement les fluctuations de température du rayonnement fossile sur la voûte céleste mais aussi de sa polarisation. Beaucoup d'informations pouvaient être déduites des analyses des données collectées de cette manière ; on espérait notamment détecter une polarisation produite par les ondes gravitationnellesondes gravitationnelles de la théorie de l'inflation primordiale en cosmologie, les fameux modes B.
Hélas, la tâche est difficile car plusieurs phénomènes peuvent altérer la polarisation du rayonnement fossile et brouiller le signal recherché au point d'en produire un qui n'existe pas. C'est ce qui s'est produit avec l'effet de la poussière galactique dans la fameuse expérience Bicep2 il y a quelques années.
Aujourd'hui, Yuto Minami de la High Energy Accelerator Research Organization (KEK) à Tsukuba, au Japon, et Eiichiro Komatsu de l'Institut Max-Planck pour l'astrophysiqueastrophysique à Garching, en Allemagne, pensent que l'effet de la quintessence sur la polarisation du rayonnement fossile prédite il y a presque 20 ans commencerait à pointer le bout de son neznez dans les analyses des données de Planck. Ils l'expliquent dans un article publié dans Physical Review Letters, en accès libre sur arXiv.
Toutefois, comme le disent les physiciens dans leur jargon, l'effet mesuré n'est crédible qu'à environ 2,5 sigmas. Il faudrait 5 sigmas pour avoir une vraie découverte car dans ce cas-là, on n'aurait en gros qu'une chance sur un million plutôt qu'une chance sur cent que le signal détecté ne soit pas qu'une fluctuation statistique produite par le hasard, comme dans le cas d'un nuagenuage qui ressemble brutalement au visage d'une personne sans autre cause que le hasard.
Toujours dans le jargon des physiciens, il faut augmenter la statistique pour y voir plus clair, ce qui correspond à augmenter le nombre de personnes à interroger dans un sondage pour tenter d'évaluer qui sera le prochain président élu. C'est ce que l'on espère faire notamment avec l'Atacama Cosmology Telescope (ACT) qui a déjà servi à étudier l'énergie noire, comme l'expliquait le précédent article ci-dessous, ou encore une future sonde spatiale japonaise appelée LiteBIRD.
Si un champ scalaire est bien à l'origine de l'énergie noire et qu'il varie dans le temps, il n'est pas impossible qu'il provoque un jour non plus un effet de répulsion mais d'attraction, conduisant alors le cosmos à un Big CrunchBig Crunch.
Le rayonnement fossile seul prouve l'existence de l'énergie noire
Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 13/07/2011
Les mesures concernant le rayonnement fossile ne suffisaient pas à prouver l'existence de l'énergie noire ni à déterminer la géométrie de l'Univers observable. Il fallait, par exemple, les compléter par les observations des supernovaesupernovae. Ce n'est plus le cas grâce à la mesure fine des effets de lentille gravitationnellelentille gravitationnelle sur ce rayonnement.
La sonde Wilkinson Microwave Anisotropy Probe (WMap) a été lancée par la NasaNasa en 2001. Destinée à mesurer avec précision le rayonnement fossile elle a fourni des résultats décisifs pour que la cosmologie entre dans l'ère de la précision qui caractérise toute science parvenue à maturité. Grâce à WMap, nous savons que l'Univers observable est âgé de 13,7 milliards d'années, qu'il contient de la matière noirematière noire et de l'énergie noire et que sa géométrie est très proche de celle d'EuclideEuclide.
En fait, cette affirmation n'est pas à prendre au pied de la lettre. Les observations de WMap seules permettent d'estimer l'âge de l'Univers et son contenu en matière mais elles ne déterminent pas sans ambigüité son contenu et par voie de conséquence sa géométrie. On parle de dégénérescence des modèles cosmologiques relativistes.
Sous ce mot compliqué se cache un fait simple : il est possible d'ajuster les paramètres de courbure, de densité et de contenu en matière noire des équations décrivant l'Univers observable de sorte qu'elles correspondent aux observations mais indiquent que nous vivons dans des Univers très différents. On pourrait tout aussi bien en déduire que nous vivons dans un Univers jeune avec une courbure spatiale négative, et très largement dominé par une énergie du vide, que dans un Univers vieux, sans énergie du vide, et avec une courbure spatiale positive comme celle d'une sphère.
Ce n'est que lorsque que l'on ajoute des observations supplémentaires, en particulier celles des supernovae SN Ia, que la dégénérescence est brisée. Le meilleur modèle de cosmologie relativiste collant aux observations semble bel et bien être celui avec une courbure spatiale nulle et avec de l'énergie noire constituant environ 72 % de son contenu. Toutefois, un modèle d'Univers à courbure spatiale positive mais topologiquement compliqué colle aussi aux observations, comme Jean-Pierre Luminet et ses collègues l'ont montré.
Une vidéo extraite du site Du Big BangBig Bang au Vivant avec des commentaires de Jean-Pierre LuminetJean-Pierre Luminet et Hubert ReevesHubert Reeves. © Groupe ECP, www.dubigbangauvivant.com/Youtube
Le plus haut télescope au sol du monde
Ces conclusions sont robustes mais elles le seraient encore plus si les observations du rayonnement fossile à elles seules permettaient d'en déduire l'existence de l'énergie noire. C'est précisément ce qui vient d'être fait par plusieurs cosmologistes en utilisant l'Atacama Cosmology Telescope (ACT) qui, comme son nom l'indique, se trouve dans le désertdésert de l'Atacama au nord du Chili. Ce télescopetélescope de six mètres construit sur le Cerro Toco a été conçu pour cartographier le ciel en micro-ondes avec une haute résolutionrésolution afin d'étudier le fond diffus cosmologiquefond diffus cosmologique. Situé à une altitude de 5.190 mètres, il est le plus haut télescope permanent du monde.
Avec lui, les chercheurs ont pu mesurer l'effet de lentille gravitationnelle des galaxiesgalaxies et amas de galaxiesamas de galaxies sur le rayonnement fossile. Rappelons que le champ de gravitation des astresastres est capable de dévier les rayons lumineux de sorte que même s'ils se déplacent dans le vide, on peut considérer que celui-ci se comporte comme un milieu d'indice variable ou comme lentille vis-à-vis de la lumière. Ainsi, les amas de galaxies, présents entre la Voie lactéeVoie lactée et les régions dont nous parviennent aujourd'hui les plus vieux photonsphotons de l'Univers observable, sont responsables d'effets de déformation des images du rayonnement fossiles. Comme l'évolution dans le temps et l'espace de ces structures dépend du contenu du cosmos, en particulier de la présence ou non d'énergie noire, on peut tirer des effets de lentille des contraintes sur cette dernière.
L'ACT permet de mesurer plus finement que WMap le rayonnement fossile aux faibles échelles angulaires sur la voûte céleste. Jointes aux observations de WMap, les mesures du groupe de chercheurs permettent maintenant de prouver avec le rayonnement fossile qu'il y a bien de l'énergie noire dans l'Univers.La cosmologie scientifique en sort, bien sûr, très renforcée. Mais on aimerait bien pouvoir en savoir plus sur la nature de l'énergie noire. C'est peut-être possible selon les idées avancées par Martin Perl et peut-être même avec le LHC comme l'ont proposé John Ellis et ses collègues.