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Roberto Carlos vient de frapper le ballon, qui part franchement vers la droite. Sa trajectoire en spirale le conduit à l'extérieur de la lucarne. Mais une balle peut changer de courbe si elle reste en l'air suffisamment longtemps...
Les ricochets, les glou-glou d'une bouteille, le robinet qui goutte ou les mouvements de l'eau d'une fontaine : certains sujets de l'équipe de Christophe Clanet, au Laboratoire d’Hydrodynamique de l'Ecole Polytechnique (LadHyX, Palaiseau), s'inscrivent dans la vie quotidienne. Ils concernent plus généralement les interactions où interviennent des fluides, par exemple l'air d'un stade autour d'un ballon de foot en route vers la cage des buts.
En mai dernier, l'équipe organisait d'ailleurs un séminaire intitulé Jouer au foot... avec un regard de physicien. Figuraient au menu une demi-douzaine d'exploits célèbres chez les amateurs de football. L'un d'eux vient de faire l'objet d'une publication dans le très sérieux New Journal of Physics. C'est le coup franc tiré et réussi par Roberto Carlos contre la cage française défendue par Fabien Barthez.
C'était en 1997. Ce match Brésil-France s'est terminé par un score nul (1-1) mais tout le monde a conservé en mémoire cet étonnant tir brésilien (voir la vidéo). On voit nettement le ballon, frappé de face de l'extérieur du pied gauche (comme le souligne Jean-Michel Larqué), partir vers la droite du tireur et effectuer une courbe superbe vers la gauche. Malgré ce virage, la balle semble devoir manquer la cage mais sa trajectoire s'incurve brusquement et elle vient frapper le poteau pour rebondir à l'intérieur des filets. Fabien Barthez a à peine bougé.
« But somptueux », « effet incroyable » : Jean-Michel Larqué, ancien footballeur et commentateur du match France-Brésil ce 3 juin 1997, est admiratif du coup franc de Roberto Carlos. Il y a de quoi : seule la physique des fluides peut expliquer une telle trajectoire.
Effets aérodynamiques complexes
Une main divine et invisible a-t-elle donné une pichenette salvatrice ? Cette trajectoire à angle variable n'est-elle qu'une impression due à la perspective ? Barthez aurait-il pu prévoir le comportement du ballon ?
C'est précisément cet événement que les chercheurs de Polytechnique ont étudié de très près. Ils l'ont même reconstitué à l'aide de petites balles de polypropylènepolypropylène et de polyacétal lancées dans l'eau. Conclusion : la longueur du tir (35 mètres) explique la forme de la trajectoire qui est celle d'une spirale... double.
Bien sûr, il y a l'effet Magnus. Du tennis au football, il est largement utilisé. Si une sphère (ou un cylindre) en mouvement dans l'air est en rotation, elle fait varier la pressionpression autour d'elle de manière dissymétrique. Du côté où la surface de la sphère va dans le même sens que l'air, elle l'accélère, ce qui diminue la pression. De l'autre côté, la surface s'oppose au mouvement de l'air et le ralentit, induisant une hausse de pression. La différence crée un effet aérodynamique : la balle est déviée du côté de la dépression. A mesure que la balle avance, sa vitessevitesse diminue et la trajectoire est celle d'une spirale exponentielle. Avant la Coupe du monde 2010, une polémique était d'ailleurs née autour du ballon, le Jabulani, si lisse qu'il était plus sensible à cet effet Magnus.
Mais, expliquent les auteurs, un autre phénomène survient. A un certain moment, quand la vitesse de la balle est suffisamment réduite, la courbure de la trajectoire augmente. La vitesse de rotationvitesse de rotation se réduit alors elle aussi. La balle s'inscrit du coup, et façon brutale, sur une spirale différente.
Voilà pourquoi le ballon, ce jour-là, semblait parti pour passer au large de la lucarne, laissant Barthez confiant, mais a sèchement viré pour toucher le poteau. Les physiciensphysiciens l'expliquent aujourd'hui : avec une telle longueur de balle devait apparaître cet effet aérodynamique. Les sports utilisant des balles sont donc, disent les physiciens, un bon terrain de jeu pour la science.