Des neutrinos créés au Cern, à Genève, ont été interceptés près de Rome après un voyage souterrain de 732 kilomètres. L'expérience concerne d'abord la physique fondamentale mais certains ont suggéré de se servir des neutrinos pour communiquer à distance, voire pour trouver du pétrole...

au sommaire


    L'énergie du neutrino interagissant avec le détecteur OPERA crée en fait plusieurs particules dont la trajectoire est représentée en bleu (Crédit : INFN).

    L'énergie du neutrino interagissant avec le détecteur OPERA crée en fait plusieurs particules dont la trajectoire est représentée en bleu (Crédit : INFN).

    Bien que destiné avant tout à des études de physique fondamentale, le détecteur  de neutrinosneutrinos Opera, près de Rome, confirme sa capacité à recevoir un signal sous forme de paquetspaquets de neutrinos créés au Cern, à 732 kilomètres, après leur traversée au sein de la croûte terrestrecroûte terrestre.

    Le neutrino est l'une des particules les plus fascinantes de la physique des particules. Postulée dans les années 1930 par Pauli pour sauver le principe de la conservation de l'énergie dans certaines réactions nucléaires, alors que Niels BohrNiels Bohr proposait de l'abandonner, cette particule, baptisée « petit neutron » ou neutrino en italien par Fermi, a fini par être observée par Reines et Cowan en 1956.

    Neutre, interagissant si faiblement avec la matièrematière qu'elle pourrait traverser 300 fois l'épaisseur de la Terre sans s'arrêter, cette particule fantomatique est pourtant plus abondante que les photonsphotons du rayonnement fossilerayonnement fossile dans l'UniversUnivers qui, eux-mêmes, sont environ un milliard de fois plus nombreux que les atomesatomes d'hydrogènehydrogène.

    Les étoilesétoiles les produisent aussi en grande quantité tout comme notre SoleilSoleil. Or, d'après la compréhension théorique que l'on avait d'eux dans les années 1960, le flux arrivant sur Terre en provenance de notre étoile devait être trois fois plus élevé que celui mesuré.

    Pour sortir du dilemme, Bruno Pontecorvo utilisa une idée qu'il avait eue dès la fin des années 1950 : les neutrinos devaient avoir des massesmasses différentes et osciller entre différents états au cours de leur trajet dans l'Univers.

    Comme les détecteurs sont spécifiques d'un des trois types de neutrinos connus, même avec une source n'en émettant qu'un seul type initialement, un déficit apparent sera mesuré provenant du fait que la composition du faisceau change au cours du temps et donc ne sera pas la même en fonction de la distance séparant source et détecteur. Cette hypothèse a été confirmée par des expériences comme SuperKamiokandeSuperKamiokande au Japon.

    Toutefois, bien des choses restent encore à comprendre, surtout du fait que la présence de masse pour les neutrinos est inexplicable dans le cadre du modèle standardmodèle standard de la physique des particules élémentairesphysique des particules élémentaires. L'étude des faisceaux de neutrinos constitue donc une fenêtrefenêtre ouverte sur une nouvelle physique.

    On comprend donc l'intérêt de produire au Cern un faisceau étroit de neutrinos à différentes énergies et de voir ce qu'il devient après un parcours de plusieurs centaines de kilomètres.

    La source de neutrinos du Cern

    La technique utilisée au Cern pour créer des neutrinos est la suivante : on lance des protonsprotons de haute énergie sur une cible.  Suite à la collision et à la grande énergie disponible, une multitude de particules se forment, parmi lesquelles des pions. Ces pions sont ensuite focalisés par des aimantsaimants afin de former un faisceau pointé vers le Gran Sasso, une montagne située à 120 kilomètres de Rome. Les pions du faisceau ne tardent pas à se désintégrer massivement  en muonsmuons. Ensuite, les muons, dont la désintégration en vol produit davantage de neutrinos, sont arrêtés en moins de huit cents mètres par un bloc de ferfer. Au final, on a obtenu un faisceau pur constitué de neutrinos qui poursuivront leur route jusqu'au Gran Sasso pour la majorité d'entre eux. A son arrivée, le faisceau de neutrinos a une largeur d'environ un kilomètre et sur 1018 neutrinos produits au Cern, environ 2.500 de ces neutrinos interagiront avec une cible de 10.00 tonnes après un voyage n'ayant duré que 2,5 millisecondes.

    Le schéma montre le faisceau de neutrinos produits au Cern à partir d'un faisceau de protons, et son trajet long de 732 km dans la croûte terrestre en direction du détecteur Opera sous la montagne du Gran Sasso en Italie. Crédit : Cern

    Le schéma montre le faisceau de neutrinos produits au Cern à partir d'un faisceau de protons, et son trajet long de 732 km dans la croûte terrestre en direction du détecteur Opera sous la montagne du Gran Sasso en Italie. Crédit : Cern

    Comme le bruit de fond sous forme de neutrinos naturels est important, le détecteur Opera, l'acronyme anglais de Oscillation Project with Emulsion-tRacking Apparatus, a été enterré dans un tunnel sous la montagne du Gran Sasso afin d'avoir un rapport signal/bruit le le plus élevé possible.

    Depuis l'année 2006, c'est environ 300 événements causés par l'interaction des neutrinos du Cern avec la matière du détecteur Opera qui ont été enregistrés par des dispositifs électroniques. Mais il ne s'agissait que d'une étape préliminaire, la véritable expérience a commencé le 2 octobre dernier.

    En effet, détecter ces neutrinos ne suffit pas. Il faut connaître précisément leurs masses et leurs énergies dans le détecteur ce qui exige d'avoir des détails fins sur la trajectoire des particules, notamment des muons, qu'ils créent dans Opera. Pour cela, les dispositifs électroniques précédents sont en cours d'être complétés par des dizaines de milliers de petites « briques », sortes de plaques photographiques enregistrant fidèlement les trajectoires des particules, comme au tout début de l'emploi des émulsionsémulsions photographiques en physique des particules. 60.000 briques sont déjà en place et au final elles seront 150.000.

    Dès qu'un événement est détecté électroniquement, un robotrobot peut retirer une des briques du détecteur et un microscopemicroscope peut scanner automatiquement la photographiephotographie obtenue.

    Ces images représentent la détection dans le détecteur Opera d'un muon produit par l'intercation d'un neutrino émis au Cern avec la matière du détecteur. En rouge, on a reconstruit la trajectoire du muon.<br />Crédit : INFN

    Ces images représentent la détection dans le détecteur Opera d'un muon produit par l'intercation d'un neutrino émis au Cern avec la matière du détecteur. En rouge, on a reconstruit la trajectoire du muon.
    Crédit : INFN

    L'utilité de tels faisceaux de neutrinos est, comme on l'a vu, de permettre de mieux comprendre les lois fondamentales de la physique des hautes énergies. Toutefois, il a été proposé à plusieurs reprises de se servir de ces faisceaux pour communiquer des informations secrètes à travers la Terre, et même pour détecter des poches de pétrolepétrole selon une idée du prix Nobel Georges CharpakGeorges Charpak. Certains se sont même demandé si l'on ne pourrait pas faire avec des communications interstellaires. On le voit, la physique des faisceaux de neutrinos pourrait bien nous surprendre de multiples manières dans le futur.