au sommaire
Dans son célèbre cours de physique, dans la partie traitant de l'électromagnétisme, le prix Nobel de physique Richard Feynman pose la question suivante : « si vous vous teniez à un bras de distance de quelqu'un et que chacun de vous avait 1 % d'électrons de plus que de protons, la force de répulsion serait incroyable. De quelle grandeur ? Suffisante pour soulever l'Empire State Building ? » Et il donne dans la foulée la réponse : « Non ! La répulsion serait suffisante pour soulever un "poids" égal à celui de la Terre entière ».
Si les charges électriques des électrons et des protons dans les atomes ne se compensaient pas avec une très bonne précision, les atomes ne seraient pas neutres. Pour autant que nous le sachions, ils le sont bien, mais qu'en est-il pour des antiatomes ? La question peut sembler purement académique, mais elle ne l'est pas. Si des antiatomes n'étaient pas neutres, cette simple constatation ébranlerait les fondements de la physique théorique du XXe siècle, c'est-à-dire la théorie de la relativité restreinte, la mécanique quantiquemécanique quantique, voire les deux en même temps. Du même coup, on aurait peut-être un début de réponse à une vieille énigme de la cosmologiecosmologie, la quasi-absence d'antimatière dans l'universunivers observable.
Alpha observe l'antimatière
Les chercheurs du CernCern ne s'y sont pas trompés, et après avoir réussi ces dernières années à fabriquer des atomes d'antihydrogène puis de s'en servir pour réaliser des faisceaux d'atomes, ils ont tenté de mesurer d'éventuelles déviations de leur trajectoire dans un champ électriquechamp électrique. Cette étude a été menée dans le cadre de l'expérience Alpha (Antihydrogen LaserLaser Physics Apparatus) auprès du décélérateur d'antiprotonsantiprotons du Cern (AD), et ses résultats viennent d'être publiés dans un article de Nature Communications. On peut se faire une idée de ce travail en consultant un article en accès libre sur arxiv. Mais pourquoi les physiciensphysiciens ont-ils pris pour sujet d'étude un anti-atome d'hydrogènehydrogène, et quel est le rapport entre cette expérience et la cosmologie ?
Wolfgang Pauli en pleine discussion sur les théories relativistes de champs unifiés avec Pascual Jordan en 1955 à Hambourg. Pauli a donné la première démonstration du théorème CPT. Des observations de sa violation avec l'antihydrogène ouvriraient une ère nouvelle en physique théorique et en cosmologie. © Cern
Il faut déjà savoir que l'atome d'hydrogène est l'un des systèmes physiques les plus étudiés et les mieux compris de la physique quantiquephysique quantique. On peut résoudre exactement l'équationéquation de Dirac décrivant les niveaux d'énergieénergie de l'électron dans cet atome, et l'électrodynamique quantiqueélectrodynamique quantique permet de calculer son comportement avec une remarquable précision. On arrive aussi par le calcul à retrouver la masse du proton en utilisant la chromodynamique quantiquechromodynamique quantique. Enfin, l'hydrogène est l'élément le plus abondant dans l'univers.
L'antihydrogène et la symétrie CPT
Or, dans le cadre du modèle standardmodèle standard et de la théorie quantique des champs relativistes, une égale quantité de matièrematière et d'antimatièreantimatière aurait dû être créée au moment du Big BangBig Bang. Il est possible de rendre compte de cette asymétrie en introduisant de la nouvelle physique impliquant de subtiles différences entre les particules et leurs antiparticulesantiparticules. L'une des solutions les plus extrêmes conduit à violer un théorèmethéorème fondamental de la théorie quantique des champs relativistes, celui concernant la symétrie dite CPT. D'après ce théorème, un atome d'antihydrogène doit se comporter exactement de la même manière qu'un atome d'hydrogène, positronpositron et antiproton doivent avoir les mêmes massesmasses que l'électron et le proton et des charges identiques mais opposées. Les niveaux d'énergie des atomes et des antiatomes (et pas seulement d'hydrogène) doivent être les mêmes. Un anti-atome doit être tout aussi neutre qu'un atome.
De fait, dans l'expérience qu'ils ont menée, les chercheurs du Cern ont montré que la charge électrique que pourrait porter l'antihydrogène doit avoir une valeur aussi faible que (1,3 ± 1,1 ± 0,4) x 10-8 fois la charge de l'électron, les nombres précédés du signe « ± » représentant les incertitudes statistiques et systématiques de la mesure. La valeur de cette charge est donc compatible avec zéro jusqu'à la huitième décimale. Nullement découragés, les physiciens vont poursuivre les recherches sur d'éventuelles différences de comportement entre la matière et l'antimatière cette année notamment avec l'expérience Aegis, qui partira, elle, sur la piste de l'antigravité, toujours avec l'antihydrogène.