Depuis plusieurs années, les Européens envisagent, avec leurs partenaires, la construction d'un futur collisionneur circulaire (FCC) de 100 kilomètres de circonférence environ pour succéder au LHC à l'horizon 2040 en espérant découvrir de la nouvelle physique, par exemple des particules de matière noire. Un bilan de sa faisabilité et des retombées possibles attendues est aujourd'hui disponible et le Cern confirme son intention de poursuivre les études préparatoires. Ce projet est en compétition avec un projet chinois similaire.
au sommaire
On va fêter cette année les 70 ans du Cern qui a vu le jour en 1954 avec comme nom initial celui d'un organisme provisoirement constitué en 1952, le Conseil européen pour la recherche nucléaireConseil européen pour la recherche nucléaire. Il s'agissait d'aider à la reconstruction de l'Europe et d'éviter la fuite des cerveaux vers les États-Unis devenus les leaders des sciences et technologie du nucléaire. Aujourd'hui, le Cern se nomme plutôt l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire ou encore le laboratoire européen pour la physique des particules même si, couramment, c'est l'acronyme « Cern » qui domine encore quand on parle notamment du grand collisionneur de hadrons, le LHC ou Large Hadron ColliderLarge Hadron Collider en anglais.
Connaissez-vous Anatoli Bugorski, dont la tête s'est un jour retrouvée prise dans un accélérateur de particules ? Découvrez sa fascinante et terrible histoire dans Chasseurs de Science. © Futura
Tout le monde a probablement entendu parler du LHC comme d'un grand collisionneur circulaire enterré de 27 kilomètres de circonférence où des collisions de protons et de noyaux lourds permettent de reconstituer certains des phénomènes qui se passaient moins d'un millionnième de seconde après le début du Big BangBig Bang et qui surtout a permis la découverte du fameux boson de Brout-Englert-Higgs.
Les physiciensphysiciens des particules du début des années 2000 étaient très confiants dans la découverte de nouvelles particules qui pouvaient constituer la fameuse matière noirematière noire gouvernant les galaxies mais il n'en a rien été. Si ces particules existent, elles sont probablement plus lourdes que ce que l'on pensait, ce qui nécessite pour avoir une chance de les découvrir de monter à des énergies supérieures à celles atteintes aujourd'hui dans les collisions de protons, un facteur dix est envisagé pour atteindre dans le jargon des physiciens les 100 TeV.
En vertu de la fameuse loi d'EinsteinEinstein sur l'équivalence entre massemasse et énergie, 100 TeV permettraient de créer 100 000 protons en une seule collision ou moins de particules mais bien plus lourdes qu'un proton avec certaines probabilités de création pour les divers types de particules envisagées, celles que l'on connait et que l'on voudrait mieux comprendre, ou d'autres dont l'existence est postulée par de la nouvelle physique proposée depuis un demi-siècle environ.
Les scientifiques du Cern ont présenté le lundi 5 février 2024 leur projet de construction du Futur Collisionneur Circulaire (FCC) qui serait trois fois plus grand que l'actuel LHC. Il serait enfoui sous terre entre la France et la Suisse. © Euronews
Un super LHC en construction dès 2033 ?
Mais pour explorer ces territoires inconnus, il faudrait un LHC géant de 100 kilomètres de circonférence et qui a été appelé le Futur Collisionneur Circulaire (FCC). Ce projet est débattu depuis environ une décennie et Futura avait déjà écrit plusieurs articles à son sujet auxquels nous renvoyons ci-dessous pour plus de détails et de réflexions autour de cette nouvelle aventure qui est proposée à l'Humanité pour espérer en savoir un peu plus sur d'où nous venons, qui nous sommes et où nous allons.
Le FCC fait à nouveau parler de lui car le Cern vient de confirmer que les études pour sa constructionconstruction allaient bien se poursuivre avec un rapport sur sa faisabilité complète qui devrait être disponible à l'horizon 2025. La balle sera alors dans le camp des décideurs à l'horizon 2028 cette fois-ci. S'ils donnent leur feufeu vert, le creusement d'un tunnel de 91 kilomètres de circonférence lui aussi enfoui sous terre à 200 mètres de profondeur pourrait alors débuter en 2033.
Dans le cas du tunnel du LHC, un collisionneur électron-antiélectron avait précédé sa construction, le LEP. Une stratégie similaire sera mise en pratique qui devrait permettre d'étudier à partir de l'horizon des années 2040 -- plus finement qu'il n'est possible aujourd'hui avec le LHC -- les propriétés du bosonboson de Brout-Englert-Higgs. Elles pourraient trahir la présence d'une nouvelle physique en s'écartant des propriétés attendues par le calcul du modèle standardmodèle standard de la physique des hautes énergies qui est toujours encore spectaculairement vérifiée par les expériences du Cern.
Un nouveau LHC géant avec des collisions de protons remplacerait alors à nouveau le cousin géant du LEP à l'horizon 2070.
Le jeu en vaut-il la chandelle ? Le FCC pourrait coûter 20 milliards d'euros et rien ne garantit qu'il trouvera de la nouvelle physique. Ce qui est sûr, c'est que les Chinois sont aussi dans la course.
Une présentation du futur collisionneur circulaire européen : le FCC. Traduction et sous-titrages en cliquant sur la roue dentée en bas à droite de l'écran. © Cern
Cern : le successeur du LHC fera 100 km de circonférence
Article de Laurent SaccoLaurent Sacco le 19/01/2019
En mars 1989, l'informaticien britannique, Tim Berners-LeeTim Berners-Lee, est au Cern : une serre chaude non seulement pour la physique des particules, mais aussi pour toutes les technologies nécessaires à son développement. Dans cet environnement stimulant, Tim Berners-Lee vient juste de mettre en pratique son idée de créer, pour faciliter les échanges entre les chercheurs, rien de moins que ce que nous appelons le World Wide Web, un événement que le Cern va fêter pour ses 30 ans le 12 mars 2019. Un tel outil était nécessaire au moment où le grand collisionneur électronélectron-positronpositron -- ou LEP (en anglais, Large Electron PositronLarge Electron Positron collider)-- se met en chasse d'une nouvelle physique, et surtout du boson de Brout-Englert-Higgs (BEH), le 20 septembre 1989.
Quelques années auparavant, au Cern, la découverte des bosons W et Z prédite par la théorie électrofaiblethéorie électrofaible de Glashow-Salam-Weinberg a, en effet, dopé la physique des particules. Elle a montré que l'utilisation de la théorie des groupes en théorie quantique relativiste des champs et l'utilisation des théories de Yang-Millsthéories de Yang-Mills sont bien la clé d'une compréhension profonde des forces et des particules fondamentales du cosmoscosmos. Non seulement le boson de BEH devrait bien exister mais il devrait en être de même pour les particules supersymétriques, découlant des théories qui prolongent naturellement le modèle de GSW en utilisant la logique même qui a conduit à sa formulation.
Des expériences à tâtons
Problème : personne n'avait de certitudes quant à la masse de ces nouvelles particules. Pas d'autres choix que de faire des expériences à tâtons. Une chose était certaine cependant. Si des collisions de protons et d'antiprotonsantiprotons étaient bien la meilleure approche pour découvrir rapidement les bosons W et Z, elles produisaient aussi un bruit de fond qui ne permettait pas l'étude précise des propriétés de ces particules. Or, ce type d'étude est nécessaire pour préparer au mieux les découvertes ultérieures.
Pour cette raison, on a donc fait des collisions entre électrons et antiélectrons (les positrons) avec un accélérateur de 27 kilomètres de circonférence, dans le tunnel prévu pour accueillir le LHC si l'on n'arrivait pas à découvrir le boson BEH et les particules supersymétriques aux niveaux d'énergie accessible avec le LEP. Plus les particules sont massives et rares à produire au cours des réactions, plus il faut, en effet, accélérer des particules à des niveaux élevés d'énergie et avec des faisceaux intenses. La découverte du boson BEH a finalement été faite au LHC, mais on attend toujours celle des particules supersymétriques, même si rien n'est assuré à leur sujet.
La physique des particules a des retombées inattendues et protéiformes
Que le LEP ait échoué ou non, sa construction et son exploitation ont stimulé la découverte et la mise en place du World Wide Web dont chacun sait, très concrètement, l'immense impact que cette technologie a aujourd'hui sur le monde. Datant de cette époque, d'autres retombées de la physique des hautes énergies se sont concrétisées. Ainsi, la technologie des détecteurs, comme celle du défunt Prix Nobel Georges Charpak ou celle des accélérateurs, se retrouve en médecine pour l'imagerie médicale ou la destruction des tumeurstumeurs cancéreuses.
Simplement aussi, en faisant rêver, la physique des hautes énergies suscite des vocations de physiciens, d'ingénieurs et d'informaticiens ; certes, ceux-ci ne vont pas tous intégrer cette quête mais ils contribueront ailleurs et autrement, à servir la société -- dans un registre similaire, citons des auteurs de SF comme Ray Bradbury et Arthur Clarke qui ont inspiré bien des futurs ingénieurs du spatial.
Des projets en pure perte ?
On aurait donc tort de ne voir, dans ces projets pharaoniques comme le LEP ou le LHC, que des sommes d'argentargent dépensé, peut-être en pure perte, pour un savoir fondamental qui n'aurait d'intérêt que pour les physiciens-philosophes, héritiers de Pythagore, Platon, Démocrite etc., alors que ces sommes d'argent seraient plus utiles, par exemple en développant l'énergie nucléaire, les OGM etc., nécessaires pour relever les défis de l'humanité du XXIe siècle.
La Chine d'ailleurs ne s'y trompe pas ! Et sans doute pour toutes ces raisons, ce pays s'est également lancé dans la course à la construction d'un collisionneur géant qui, cette fois-ci, devrait avoir 100 kilomètres de circonférence (Lire l'article de Futura ci-dessous).
Mais les Européens et leurs partenaires internationaux ont, eux aussi, dans leurs cartons, des versions améliorées du LEP et du LHC -- et ce, depuis des années. Ces dernières, elles aussi, devraient atteindre 100 kilomètres de circonférence -- Lire à ce sujet, l'article Futura ci-dessous, publié en 2014. Le Cern vient d'ailleurs de faire savoir que les travaux théoriques préparatoires, lancés en 2014 pour la réalisation de ces projets et l'évaluation de leurs impacts, ont été menés à bien. Un rapport préliminaire divisé en quatre volumesvolumes en témoigne et traite donc d'un futur collisionneur circulaire : le FCC.
Fabiola Gianotti, Directrice générale du Cern évoque dans cette interview, la compétition avec la Chine pour un grand collisionneur de particules. Traduction et sous-titrages en cliquant sur la roue dentée en bas à droite de l'écran. © RTS - Radio Télévision Suisse
Fabiola Gianotti, la Directrice générale du Cern, explique dans un communiqué qu'accompagne une vidéo de présentation du FCC que « le rapport préliminaire de conception du FCC est le résultat d'un travail remarquable. Il montre l'énorme potentiel du FCC pour améliorer notre connaissance de la physique fondamentale et pour faire progresser de nombreuses technologies ayant un large impact sur notre société. Le FCC, qui suppose de formidables nouveaux défis, tirerait grandement avantage des compétences, du complexe d'accélérateurs et des infrastructures du CERN, qui ont été développés durant plus d'un demi-siècle ».
Quant à Frédérick Bordry, Directeur des accélérateurs et de la technologie au CERN, il ajoute que « l'objectif ultime de l'étude FCC est de proposer un accélérateur de protons supraconducteursupraconducteur prenant la forme d'un anneau de 100 kilomètres de circonférence et capable de fournir une énergie allant jusqu'à 100 TeV, soit une puissance environ dix fois supérieure à celle du LHC. Le calendrier envisagé pour le FCC prévoit de commencer avec une machine électron-positon -- de même que le LEP avait précédé le LHC. Ce projet permettrait de mener un programme riche, qui mobiliserait la communauté de la physique des particules durant tout le XXIe siècle ».
Si le LHC n'a pas déjà apporté des réponses d'ici là sur la nature de la matière noire (voire de l'énergie noireénergie noire), l'origine des valeurs des masses des particules fondamentales et de l'absence d'antimatièreantimatière à l'échelle cosmologique, peut-être que le FCC sera en mesure de le faire...
La Chine envisage la construction d'un LHC de 100 km de circonférence
La Chine envisage sérieusement de construire un équivalent du LHC de 100 kilomètres de circonférence et semble bien décidée à réaliser, déjà à l'horizon 2030, un collisionneur électron-positron de taille équivalente en prélude, comme l'avaient fait les Européens avec le LEP. L'utilité de ces machines ne va malheureusement pas de soi...
La Chine vient de faire savoir qu'elle avait toujours l'intention de ravir aux Européens le leadership dans la course aux hautes énergies en physique des particules. Déjà en 2012, juste après l'annonce de la découverte du boson de Brout-Englert-Higgs (BEH), elle avait annoncé qu'elle se lançait dans des études préliminaires pour la construction d'un collisionneur circulaire de taille supérieure au LEP (Large Electron Positron collider), un grand collisionneur électron-positron de 27 km de circonférence, en fonction de 1989 à 2000 dans le tunnel où l'a remplacé par la suite le LHC.
D'une circonférence de 50 à 70 km, le Circular Electron Positron Collider (CEPC) chinois était prévu pour faire des collisions entre faisceaux d'électrons et d'anti-électrons à des énergies de 240 GeVGeV. Un bilan de six années de recherche vient d'être publié, laissant entendre que la circonférence envisagée était maintenant de 100 km et que des prototypes de certains éléments de la machine allaient vraiment être construits. Les travaux pour les infrastructures du CEPC devraient débuter en 2022 avec une inauguration à l'horizon 2030.
Si cette feuille de route aboutit, les Chinois disposeront donc, dans un premier temps, d'une usine capable de produire en 10 ans environ un million de bosons BEH, 100 millions de bosons W et mille milliards de bosons Z. Tout comme pour le LEP, le CEPC serait ensuite démantelé pour laisser la place au Super proton proton Collider (SPPC), un équivalent du LHC de 100 km de circonférence produisant des collisions à 70 TeV (70.000 GeV).
Comme le rappelait Futura dans le précédent article ci-dessous, les Européens ont, eux aussi, dans leur carton des études pour un LHC de 100 km de circonférence. Un projet, non pas de collisionneur circulaire mais linéaire d'électrons et de positrons, a déjà été mené à son terme pour des études préliminaires depuis des années et attend un feu vert pour être construit. Il s'agit de l'International Linear Collider (ILC). Les Japonais en particulier s'y sont très impliqués.
Une vidéo expliquant les avantages et les inconvénients entre les différents types de collisionneurs. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Fermilab
Des nouvelles particules hors de portée même avec un SPPC ?
Futura avait expliqué en détail les raisons motivant la réalisation de ces machines et elles sont les mêmes que pour le CEPC et le SPPC. Toutefois, on peut se demander aujourd'hui si la construction de ces machines est bien sérieuse.
Déjà en 2016, le physicien chinois Chen-Ning Yang - célèbre physicien pour avoir décroché avec son collègue Tsung-Dao Lee le prix Nobel de physique pour ses travaux sur la violation de la parité en physique des particules et avoir été à l'origine des fameuses théories de Yang-Mills à la base de toute la physique du modèle standard - avait fait savoir qu'il n'était pas favorable à la réalisation du SPPC.
Bien que l'on puisse nuancer et même réfuter certaines des critiques faites par Yang pour la construction des deux machines, comme l'expliquait le physicien et mathématicienmathématicien John Baez, on ne peut s'empêcher de pencher en faveur de Yang.
En effet, au moment où le LHC est entré en service, on avait de multiples et bonnes raisons de s'attendre à une révolution majeure en physique fondamentale. En effet, plusieurs arguments théoriques très crédibles laissaient espérer la découverte, en quelques années tout au plus, de nouvelles particules prédites par la théorie de la supersymétriesupersymétrie, la théorie des cordesthéorie des cordes et surtout la production de minitrous noirs s'évaporant par effet Hawking à des énergies de l'ordre de quelques TeV.
Le LHC a fait de façon routinière des collisions à 13 TeV, avec une luminosité de faisceaux déjà élevée... et aucune nouvelle particule n'a montré ne serait-ce que le bout de son neznez. Nous n'avons pas d'arguments théoriques laissant espérer vraiment des nouvelles particules au-delà de 10 TeV, à part quelques-unes prédites par la split supersymmetry, mais des résultats d'expériences récentes sur le moment dipolaire des électrons sont plutôt une douche froide à cet égard. Pire, la faible masse du boson de BEH laisse entendre que le modèle standard pourrait bien être valable jusqu'à l'énergie de Planck, ce qui veut bien dire qu'aucune nouvelle physique ne devrait apparaître dans les collisionneurs que pourrait construire l'humanité, ou pour le moins aucune nouvelle particule.
On peut donc légitimement se demander, en l'absence de nouveaux arguments théoriques et expérimentaux et devant la crise à laquelle l'humanité est confrontée avec le réchauffement climatique, l’énergie et les ressources, si des milliards ne seront pas mieux utilisés pour la mise au point de nouveaux réacteurs nucléaires, par exemple au thoriumthorium. Il est vrai cependant que la Chine s'est aussi engagée dans ce type de recherche.
Le Cern envisage la construction d'un LHC de 100 kilomètres
Article de Laurent Sacco publié le 14/02/2014
Du 12 au 14 février 2014, environ 300 physiciens et ingénieurs vont se réunir à l'université de Genève pour réfléchir aux prochaines générations de machines à construire pour explorer le monde de la physique des hautes énergies. On parlera beaucoup de versions géantes du LEP et du LHC, qui prendraient place dans un tunnel de 80 à 100 kilomètres de long. Le Very High Energy Large Hadron Collider (VHE-LHC) ferait collisionner des protons à 100 TeV.
La dernière pièce manquante du puzzle du modèle standard de la physique des particules a finalement été trouvée, avec la confirmation de l'existence du champ de Brout-Englert-Higgs (BEH) dans la nature. Les physiciens savent bien cependant que le modèle standard fait lui-même partie d'un puzzle beaucoup plus vaste, dont on sait qu'il a à voir avec la matière et l'énergie noires, l'évaporation quantique des trous noirs et la cosmologiecosmologie. On s'attendait à ce que les collisions de protons au LHC nous donnent rapidement de nouveaux éléments à son sujet. Ce ne fut pas le cas.
Le champ de BEH nous offre tout de même potentiellement une fenêtrefenêtre sur de la nouvelle physique, car via ce qu'on appelle les couplages de Yukawa, il semble être à l'origine des masses des quarksquarks et des leptonsleptons du modèle standard. Ces couplages sont autorisés par les équationséquations et les symétries du modèle standard, mais ils ne s'en déduisent pas. Faire leur étude en détail pourrait donc nous permettre de remonter à une théorie plus profonde et plus large, dictant les propriétés des champs de force et de matière.
De la supersymétrie à la split supersymmetry
L'existence du boson de Brout-Englert-Higgs pose certains problèmes que l'on peut résoudre en postulant l'existence d'une nouvelle symétrie dans la nature : une supersymétrie. Elle permettrait d'unifier naturellement la force électrofaible avec la force nucléaire forte. Elle prédit naturellement l'existence de particules de matière noire, et elle est potentiellement très bavarde sur la nature de l'énergie noire et même de la gravitationgravitation. Les théories supersymétriques les plus simples prédisaient un zoo de nouvelles particules dont les traces auraient dû être facilement décelables dans les produits des collisions de protons en dessous de 10 TeV au LHC. Il semble maintenant clair qu'il va falloir monter en énergie pour voir ces nouvelles particules... en supposant qu'elles existent bel et bien. Toute la question est de savoir jusqu'où aller : 14 TeV ? 1.000 TeV, ou plus encore ? Nul ne le sait vraiment...
Une présentation du Cern en trois minutes. Le LHC qu’il abrite n’a pour le moment pas permis l’observation de nouvelles particules prédites par certaines théories supersymétriques. © Cern
Il existe tout de même une classe de théories supersymétriques dont on parle de plus en plus depuis quelque temps, et que l'on appelle en anglais split supersymmetry. Elle permet d'espérer voir des traces de la supersymétrie en dessous de 100 TeV, et résout en prime quelques difficultés concernant des conflits possibles entre l'existence de particules de matière noire supersymétriques et la nucléosynthèse primordiale, un des piliers de la théorie du Big Bang.
Faire des mesures très précises des couplages de Yukawa avec le boson de BEH et espérer découvrir des signes de la split supersymmetry (ou de la supersymétrie avec scalaires découplés, comme on dit parfois en français) requièrent de nouveaux accélérateurs. Pour le comprendre, il faut connaître quelques principes simples de la physique des accélérateurs et de la détection des particules. Il s'agit bien sûr d'atteindre un seuil énergétique donné pour produire des particules, car plus elles sont lourdes, plus il faut monter en énergie. Les nouvelles particules sont aussi créées dans les collisions selon des lois de probabilité bien déterminées. Plus elles sont rares, plus il faut un grand nombre de collisions par seconde pour les observer. Il est donc nécessaire de disposer de faisceaux de particules avec une luminositéluminosité élevée, comme on dit dans le jargon des physiciens. Faute de quoi, même une particule comme le boson de BEH aurait fort bien pu nécessiter des siècles de collisions sans interruption pour être découverte au LHC.
Leptons ou hadrons, telle est la question
Pour ce qui est des contraintes sur l'énergie, il faut savoir que des particules chargées de masse M tournant sur une orbiteorbite circulaire de rayon R et possédant une énergie E perdent cette énergie par rayonnement avec une puissance proportionnelle à E4/(R2M4). Un proton, étant environ 2.000 fois plus lourd qu'un électron, perd donc bien moins d'énergie qu'un électron. Dans tous les cas, les pertes sont d'autant plus faibles que le rayon de l'orbite est grand. Dans l'idéal, les pertes sont nulles si l'accélération se fait non plus sur un cercle mais sur une ligne. Cependant, l'avantage d'un accélérateur circulaire est que l'on peut faire passer plusieurs fois une particule chargée dans une zone où règne le champ électriquechamp électrique qui sert à l'accélérer. Pour monter en énergie, il vaut donc mieux des collisionneurs de protons circulaires que des collisionneurs d'électrons, qu'ils soient linéaires ou circulaires.
Malheureusement, les collisions de protons génèrent un bruit de fond important, et il est plus difficile de réaliser des mesures précises pour étudier les propriétés de particules déjà identifiées que de le faire avec des collisions d'électrons. En outre, les collisionneurs circulaires permettent d'avoir une luminosité plus importante plus facilement qu'avec deux faisceaux de particules produits par deux accélérateurs linéaires. En rassemblant toutes ces considérations, on aboutit à deux conclusions :
- pour découvrir rapidement et facilement de nouvelles particules massives, il faut des collisions de hadrons, protons ou antiprotons ;
- pour effectuer une étude fine de la physique associée à ces nouvelles particules, une fois que l'on sait exactement quoi et où chercher, le choix de collision d'électrons et de positrons, voire de muonsmuons et d'antimuons (qui sont des leptons plus lourds que les électrons) s'impose, et si possible avec des accélérateurs linéaires.
Vers un LHC de très haute énergie à l’horizon 2040 ?
Tout ceci explique pourquoi la découverte des bosons W et Z a d'abord été faite avec des collisions de protons et d'antiprotons au Cern. Une étude fine de leurs propriétés a ensuite été conduite avec le grand collisionneur électron-positron, ou LEP (de l'anglais Large Electron Positron collider), dans l'espoir déjà à l'époque de trouver des traces de l'existence des particules supersymétriques et du boson de Brout-Englert-Higgs. Cela explique aussi pourquoi parallèlement à la mise en service du LHC, des études ont été menées pour l'ILC. Un tel accélérateur permet de bien connaître les propriétés physiques du boson de BEH, notamment les couplages de Yukawa. Si l'on découvrait malgré tout des particules supersymétriques à partir de 2015, avec le redémarrage du LHC, l'ILC pourrait là aussi permettre de mesurer précisément bien des propriétés de ces particules.
Mais si de la nouvelle physique ne peut émerger qu'à plusieurs dizaines de TeV, il faut voir plus grand. C'est ce qu'étudient environ 300 physiciens et ingénieurs à l'université de Genève du 12 au 14 février 2014. Au programme des discussions, entre autres, un triple LEP, le TLEP, qui serait donc un équivalent du LEP, mais pouvant atteindre des énergies d'au moins 240 GeV dans des collisions, c'est-à-dire trois fois celles du LEP. Il faudrait pour cela que la machine soit construite dans un tunnel de 80 voire 100 kilomètres de long. Comme pour le LHC, ce tunnel pourrait ensuite servir à la construction du Very High Energy Large Hadron Collider (VHE-LHC). Cette fois, on prévoit d'atteindre des énergies de 100 TeV.
Il est difficile de dire si de tels géants seront vraiment construits. En tout cas, il faudra probablement attendre au moins jusqu'à l'horizon 2030, voire 2040. Avant cela, il est prévu d'augmenter la luminosité du LHC et finalement l'énergie de ses faisceaux avec d'abord la réalisation d'un LHC à haute luminositéLHC à haute luminosité (High Luminosity Large Hadron Collider, HL-LHC) et ensuite d'un LHC à haute énergie (HE-LHC) dans le tunnel actuel. Il faudrait sans doute que des signes convaincants d'une nouvelle physique à portée de main émergentémergent rapidement. Comme en témoigne la physicienne Lisa Randall, le temps n'est pas à l'optimisme pour le financement de la recherche en physique fondamental, même en ce qui concerne la fusion contrôléefusion contrôlée avec Iter. À moins que les prévisions d'une ère d'abondance imminente par Peter Diamandis soient exactes, on ne voit pas comment ces projets pharaoniques pourraient voir le jour si on ne découvre rien d'autre que le boson de BEH avant 2020. Les crédits iront alors plus probablement vers le développement des neurosciences et des nanotechnologiesnanotechnologies, débouchant sur l'exploitation de l'énergie solaire et la nanomédecine.