La science. Dans l'imaginaire populaire, on a tendance à la considérer comme une entité supérieure, une discipline objective, rigoureuse et quasi parfaite. Pourtant elle n'est qu'un outil. Un outil conçu initialement pour mieux appréhender les phénomènes. Elle est à l'image de l'Homme : soumise à des biais et imparfaite. Elle possède une histoire et ne saurait s'écarter des rapports sociaux dans lesquels elle a baigné, baigne, ou baignera.
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Avant de commencer, la science, qu'est-ce que c'est ? Pour faire simple, c'est une méthode qui vise à distinguer nos croyances de nos connaissances. Cette méthode s'appuie sur la logique, la raison, l'expérience, la modélisation, la statistique et autant d'autres outils que nécessaire. La science avance grâce à des théories et des expériences et évolue à l'aide d'erreurs, de crises épistémiques et de changements de paradigmes. Enfin, elle est à l'image de l'époque dans laquelle elle est faite et des outils technologiques mis à sa disposition.
Un peu d'histoire
Ce que l'on définit comme démarche scientifique commence donc lors de l'avènement de la raison. On considère généralement Socrate comme le père de la philosophie même s'il y a eu beaucoup de précurseurs avant lui. Néanmoins, les dialogues dans lesquels il apparaît au sein des écrits de Platon concordent avec une démarche qui vise à distinguer le vrai du faux, la connaissance de la croyance. Si aujourd'hui, leurs discours sur l'âme immortelle peuvent nous sembler amusants, les dialogues socratiques sont un des fondements contre la sophistique (l'art de l'éloquence et de la manipulation) même s'ils sont entachés de biais de raisonnement : l'intention y était !
Jusqu'à la révolution des Lumières, on ne va pas beaucoup évoluer dans nos procédés de déductions. GaliléeGalilée découvrira par exemple la loi de la chute des corps à l'aide d'une expérience de pensée. On commencera à entrer dans une certaine révolution pour ce qui est de l'acceptabilité du savoir avec le célèbre Discours de la méthode de René DescartesRené Descartes. Jusque-là, il semble que la science était encore une affaire d'émancipation de la scolastique et souvent pratiquée de façon individuelle.
Karl Popper marquera aussi de son sceau l'histoire de l'épistémologie. Dans la caricature qu'on en fait, une de ses thèses les plus connues est la réfutation d'hypothèse : une théorie n'est jamais considérée comme vraie mais elle est considérée comme valide tant qu'elle résiste à l'expérience et qu'une autre théorie ne vient pas mieux expliquer les phénomènes qu'elle décrivait alors. Ici, on assiste aux prémisses de la science en tant que communauté avec tous les bénéfices et problèmes que cela comporte.
Dans le climatclimat apocalyptique du XXe siècle, la science commence à devenir un outil majeur pour servir la guerre, même si c'est aussi le siècle où elle fera un pas de géant dans tous les domaines.
La science de nos jours
Tout cela est fort intéressant, mais ce qui l'est encore plus c'est de regarder de plus près la science et le monde académique de nos jours. Bien qu'en progrès constant sur le plan technologique, la science est clairement en crise. Une crise de confiance, économique, éditoriale, statistique (et donc épistémologique). Voyons cela de plus près.
La crise de confiance
On ne compte plus le nombres d'articles, de vidéos ou de plaidoyers qui s'opposent clairement à la science. Les sujets clivants sont bien connus : vaccinsvaccins, ondes, alimentation, terre plate, cancercancer, etc. Cette crise de confiance s'est installée progressivement à cause de l'opacité de la science, des crises sanitaires à répétition et des lacunes concernant la compréhension de sa méthode. Jusqu'à très récemment, la compréhension de la science était réservée aux experts. Il y avait très peu de vulgarisation. Dès lors, si l'on ne connaît ni la méthode scientifique ni nos biais cognitifs, on se retrouve sujet à toutes sortes de manipulations par les autres et surtout par nous-mêmes. On peut retrouver des exemples de cette « crise » dans une interview du journal L'Opinion.
La crise économique et éditoriale
Dans votre entourage, il est possible que vous connaissiez quelqu'un qui fait de la recherche fondamentale. Le monde dans lequel nous vivons aujourd'hui est un vrai calvaire pour le scientifique : budget alloué à de la recherche « utile », ce qui force les chercheurs à anticiper les applications de leurs potentielles découvertes. Albert EinsteinEinstein n'a pas découvert les lois de la relativité en prédisant l'existence potentielle du Global Position System ou GPSGPS. Mais il y a pire. L'édition scientifique est un domaine qui rapporte énormément d'argent. Leurs abonnements coûtent extrêmement cher mais les frais dont elles doivent s'acquitter sont minimes. Ce sont les états ou les entreprises privées qui financent les recherches. Ce sont les chercheurs qui payent les revues pour publier leur travaux en leur sein. Et ce sont les universités qui payent les abonnements à ces revues pour que leurs scientifiques puissent bénéficier de l'ensemble des publications de la communauté. Après un ras le bol général, la célèbre université de Californie a perdu récemment son abonnement à Elsevier, le plus grand éditeur scientifique mondial.
La crise statistique et épistémologique
Cette crise va de pair avec la crise éditoriale. Premièrement, les revues sont comme les autres journaux : leur soucis est avant tout économique. De ce fait, elle favorise naturellement le sensationnel. Elle préfère donc les résultats qui démontrent quelque chose plutôt que ceux qui infirment une hypothèse. Or, en sciences - et n'importe quel chercheur vous le dira - on passe son temps à ne rien découvrir, ou plutôt à découvrir que l'on avait tort. Cela cause ce qu'on appelle le biais de publication où les résultats positifs sont plébiscités au profit des résultats négatifs. Deuxièmement, depuis quelque temps, un grand nombre de statisticiens s'accordent sur le fait qu'il faut dépasser l'ère de la p-value. La p-value, c'est ce petit nombre arbitraire en deçà duquel des scientifiques vont juger si leurs résultats sont « significatifs » ou non. Récemment, 800 d'entre eux ont cosigné une publication dans la célèbre revue Nature intitulée « Les scientifiques se soulèvent contre la signification statistique ». Tout cela constitue donc aussi une crise épistémologique dans le sens où le savoir produit actuellement n'est, semble-t-il, pas de la meilleure qualité possible.
Que faire socialement ?
Si la science est à l'image de la société dans laquelle elle évolue, c'est donc à nous de faire évoluer notre société et nos rapports sociaux pour lui rendre sa liberté. Mais que faire ? La réponse à cette question est complexe. Cela requiert une vision systémique de la problématique. Ce n'est pas un ou deux rouages qu'il faut changer mais tout un système de fonctionnement. Bien sûr, aucune solution ne sera donnée dans la fin de cet article, ce serait infiniment prétentieux. Néanmoins, quelques pistes de réflexion pourraient nous aider, comme réfléchir à un système économique alternatif concernant l'exercice de la science et de la recherche, l'impact des conséquences psychologiques du « publier ou périr » sur les découvertes scientifiques et l'intérêt envers un domaine de recherche. Ou bien encore la place de l'État et du privé dans le financement de la science. Si nous voulons d'une science impartiale, nous devons nous donner les moyens de l'obtenir en limitant considérablement les influences que le monde politique, économique et idéologique peut exercer sur elle.
Ce qu’il faut
retenir
- La science n'est pas une divinité qui scintille au-dessus de nos têtes.
- Elle est à l'image de l'Homme et de la société dans laquelle elle est utilisée.
- Pour une science « propre », il faut tendre vers une limitation considérable des influences d'intérêts envers elle.