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La saga du méthane martien pourrait bien trouver son épilogue avec le satellite TGO (Trace Gas Orbiter) de la mission ExoMars 2016. Depuis sa découverte en 2003, depuis la Terre (Krasnopolsky et al.), et par Mars ExpressMars Express, l'orbiteur de l'ESA, puis par d'autres sondes martiennes, de nombreuses études « établissent sa présence dans l'atmosphèreatmosphère martienne sans que l'on soit capable de comprendre son origine », précise Franck Montmessin, très impliqué dans la mission. Ce directeur de recherche CNRS au Latmos (Laboratoire atmosphères, milieux, observations spatiales) est coresponsable scientifique de l'instrument ACS, installé à bord de TGO, et responsable scientifique de Micro-Are, développé au Latmos et installé sur l'atterrisseur Schiaparelli.
Ces allées et venues dans l'atmosphère sont très surprenantes. « Les processus chimiques sur Mars, qui ne sont pas si mal compris, ont l'air de ne plus fonctionner pour le méthane. » Aucun des modèles couramment admis n'a réussi « à établir de manière ferme et définitive son existence ».
Carte de la concentration de méthane dans l'atmosphère de Mars. Elle montre une grande disparité spatiale, qui reste incomprise. © Nasa
Le méthane martien apparaît et disparaît...
La durée de vie du méthane, 300 ans dans l'atmosphère martienne, soulève un problème. Les observations, en effet, montrent une disparition bien plus rapide. « Les modèles de la photochimie rendent assez bien compte de la distribution d'autres gaz, mais pour le méthane, avec une telle durée de vie, on ne s'attend pas à observer d'importantes variations saisonnières ou spatiales » nous expliquait Pierre-Yves Meslin de l'Institut de recherche en astrophysiqueastrophysique et planétologie (Irap), qui a participé en 2014 à l'étude sur les émanations de méthane autour de Curiosity. Les modèles, selon le chercheur, se trompent peut-être... Dans ceux que l'on utilise aujourd'hui, « il manque un processus de destruction du méthane plus rapide que ce que l'on pense ». Bref, plus de 12 ans après sa découverte, les scientifiques sont bien incapables d'expliquer « comment il apparaît et disparaît dans l'atmosphère martienne », souligne Franck Montmessin.
Si les scientifiques se focalisent autant sur ce gaz, c'est que, sur Terre, son origine est à 90 % liée à la vie. Le méthane (CH4) est en effet un « sous-produit du métabolismemétabolisme des organismes vivants ». Ce marqueur biologique peut être produit par des bactériesbactéries méthanogènes du type de celles présentes dans le système digestif des vachesvaches, voire par des bactéries productrices de ce gaz. Si on sait qu'il n'y a pas de vaches sur Mars, « il y a aussi très peu de chances que l'hypothèse de la source biologique se vérifie ». Cela dit, l'hypothèse biologique, avec une activité microbienne productrice de méthane, est envisageable mais probablement seulement en profondeur.
Autre source, le gaz naturelgaz naturel, qui est pour la plus grande partie du méthane, provient de la pyrolysepyrolyse de la matièrematière organique qui, en s'enfonçant avec les sédimentssédiments dans le sol, produit du kérogènekérogène, lequel, avec l'augmentation de température, va libérer des hydrocarbureshydrocarbures (gaz et pétrolepétrole), qui peuvent éventuellement remonter à la surface ou être emprisonnés dans des réservoirs plus ou moins profonds. Donc, il s'agit ici de dégradation de la matière organique avec la température.
Les sources et les mécanismes de dégradation possibles du méthane martien : apport de matière organique par des météorites (cosmic dust) transformée ensuite en méthane par les UV, production par des micro-organismes enfouis (microbes), altération de l'olivine en présence d'eau liquide (water), stockage sous forme de clathrates (clathrate storage), transformation par les UV (photochemistry) en formaldéhyde et méthanol puis en CO2. © Nasa, JPL, SAM-GSFC, University of Michigan
Une multitude de sources possibles
D'autres explications et hypothèses, plus solidessolides, ont cours. Ce méthane pourrait provenir d'une activité volcanique ou hydrothermale dans le passé récent de la planète. Autre hypothèse, très improbable : sa source serait une comètecomète qui se serait écrasée il y a quelques centaines d'années. Cependant, les scientifiques n'y croient pas. « On n'a pas vu de traces dans l'atmosphère qui feraient penser que des comètes se seraient écrasées récemment. » Ce gaz pourrait être le fruit de la dégradation de matière organique amenée à la surface de Mars par les poussières interplanétaires (IDP, pour Interplanetary Dust Particles) ou par le rayonnement UVUV en surface. La géologiegéologie martienne fournit aussi une hypothèse, avec un processus de serpentinisation de l'olivineolivine (un minéralminéral silicaté riche en ferfer et magnésiummagnésium) en présence d'eau liquideliquide. Ce mécanisme relâche du dihydrogène (H2) qui, en présence de CO2 et de catalyseurscatalyseurs, peut produire du CH4. Ce méthane abiotiqueabiotique est aussi observé sur Terre.
Dernière hypothèse, celle d'une équipe de scientifiques qui se base sur des mesures d'échantillons d'eau souterraine prélevés en Afrique du Sud, dans le bassin de Witwatersrand, abritant des roches sédimentairesroches sédimentaires vieilles de plus de 2,9 milliards d'années. Ils proposent qu'un processus non biologique soit responsable des émissionsémissions de méthane détectées dans l'atmosphère martienne. Une source radiolytique d'hydrogènehydrogène (donc due à un effet des rayonnements), réagissant biologiquement ou abiologiquement avec du CO2 dissous dans de l'eau interstitielle, pourrait former le méthane à fleur de terre et expliquer les traces de ce gaz dans l'atmosphère actuelle de Mars.
« On s'attend à ce que le satellite TGO lève le voile sur l'histoire de ce gaz. » Les mesures, cependant, seront délicates. Dans l'atmosphère terrestre, « le taux de méthane est d'environ 1.780 moléculesmolécules par milliard ». Au sein de l'atmosphère martienne, « 200 fois moins dense en moyenne que celle de la Terre », les concentrations de méthane sont estimées à « une molécule par milliard, soit 1.780 fois moins ». Cette faible concentration est détectable par les instruments de TGO, le seuil de sensibilité se situant vers 20 molécules de méthane pour mille milliards. De quoi, enfin, résoudre l'énigme...