au sommaire
Y avait-il, dans un passé lointain, de la vie sur Mars ? La question revient régulièrement dans l'actualité à travers diverses pièces à conviction. Récemment, il y a eu les émanations de méthane, d'origine encore indéterminée (biologique ou géologique ?)) relevées par CuriosityCuriosity. Celui-ci a aussi montré que le milieu où il s'aventure depuis plus de deux ans, était habitable voici plus de 3,7 milliards d'années... À cela, il faut ajouter que dans les rares météorites martiennes retrouvées sur Terre, certains chercheurs pensent avoir identifié, non sans controverses, des restes fossilisés de bactériesbactéries.
Dans une étude publiée fin décembre 2014 dans la revue Astrobiology, la géobiologiste Nora Noffke (Old Dominion University, en Virginie) vient d'apporter de nouveaux éléments au dossier quant à la possibilité d'une vie passée sur Mars. En effet, en parcourant attentivement des images d'affleurementsaffleurements rocheux prises par Curiosity dans la baie de Yellowknife (en bordure d'un ancien lac), la scientifique y pointe de « frappantes similarités » entre certaines structures de roches sédimentairesroches sédimentaires martiennes et d'autres observables sur Terre et formées par des micro-organismesmicro-organismes. « Sur une image, j'ai vu quelque chose qui me semblait très familier raconte la scientifique, j'ai donc pris soin de regarder de plus près . Ce qui veut dire que j'ai passé des semaines à enquêter sur certaines d'entre elles, centimètre par centimètre, à dessiner des croquis et à les comparer avec les données sur des structures similaires terrestres », ajoutant : « j'ai travaillé dessus ces vingt dernières années, je sais donc quoi chercher ».
Croquis de la géobiologiste Nora Noffke superposé à une image prise par Curiosity d’un affleurement rocheux à Gillespie, dans la baie de Yellowknife. © Nasa, N. Noffke, Astrobiology
Y a-t-il eu des structures microbiennes sur Mars ?
Ces structures microbiennes sont appelées MISS (microbially-induced sedimentary structures). Ces colonies sont présentes un peu partout à la surface de notre biosphèrebiosphère, le long des régions côtières des lacs, mers ou océans, dans des eaux de faible profondeur et, bien sûr, accumulées au sein de roches anciennes. D'ailleurs, c'est bien Nora Noffke qui annonçait en novembre 2013, la découverte, dans la formation de Dresser, en Australie occidentale, de MISS qui apparaissent comme les plus anciennes traces de vie sur Terre. Elles sont datées de 3,48 milliards d'années.
C'était une période où l'environnement de la troisième planète du Système solaire était comparable à la quatrième, Mars. Effectivement, comme le suggèrent les terrains scrutés par les orbiteurs et rovers martiens, celle qu'on surnomme aujourd'hui la planète rouge était, à ses débuts, beaucoup plus chaude et humide qu'elle ne l'est désormais.
« Tout ce que je peux dire, c'est que ceci est mon hypothèse avec toutes les preuves que je possède, explique la géobiologiste qui a présenté tous ses arguments et dessins dans une étude très détaillée et je pense que ces preuves représentent beaucoup ». De nombreux lecteurs, collègues et aussi des membres de l'équipe de Curiosity, ont salué la rigueur scientifique de son investigation et le grand intérêt qu'elle présente.
Chris McKay, rédacteur en chef adjoint de la revue Astrobiology, a déclaré à son sujet : « J'ai lu beaucoup d'articles qui disent "regardez, voici une pile de terre sur Mars, en voici une sur Terre. Elles ont l'air identiques, n'est-ce pas, donc ce doit être le même mécanisme pour les deux planètes". C'est un argument facile à produire et ce n'est généralement pas très convaincant », affirme le planétologue au centre de recherche Ames de la Nasa. « Toutefois, continue-t-il, la publication de Noffke est l'analyse la plus documentée de la sorte que j'ai pu lire », ce qui lui valu donc d'être la première de ce genre publié.
Formes craquelées à la surface d’une roche sédimentaire martienne (photographié par Curiosity) qui, selon Nora Noffke, présente des similitudes avec les colonies microbiennes terrestres comme celles de Bahar Allouane, en Tunisie. © Nasa, N. Noffke
Ressemblances troublantes
Les structures examinées sur les photos du site de l'ancien lac (à Yellowknife bay, dans le cratère Gale de Mars) qui a été soumis dans le passé à de fréquents épisodes d'inondationsinondations, sont comparées avec des MISS terrestres affleurant dans des dépôts sédimentaires contemporains ou très anciens, dans diverses régions du monde, qu'elles soient sèches ou humides (Allemagne, États-Unis, Australie occidentale, Tunisie...).
Les microbes qui ont colonisé les rivières sont différents de ceux qui se développent lors d'inondations saisonnières. En outre, Nora Noffke qui a caractérisé les transformations spécifiques de ces « tapis de microbes » au cours du temps (croissance, assèchement, craquèlement et de nouveau croissance...), a observé que les dispositifs qui affleurent sur les roches martiennes sont comparables à ceux qui ont évolué sur Terre et sont compatibles à des environnements équivalents.
Force est de reconnaître que les ressemblances sont frappantes, sinon troublantes. Selon elle, les seules alternatives pour expliquer ces formations seraient une érosion par le ventvent, l'eau, le sel. « Si ces structures martiennes n'ont pas d'origine biologique, leur morphologiemorphologie similaire mais aussi leur distribution en regard des MISS sur la Terre, serait une extraordinaire coïncidence, estime-t-elle. À ce stade, je voulais pointer ces similitudes, en attendant d'autres indices qui vérifient cette hypothèse. »
En bas, structures rocheuses érodées par des colonies microbiennes à Carbla Point, en Australie occidentale. En haut, roches martiennes photographiées par Curiosity, présentant des caractéristiques similaires. © Nasa, Nora Noffke
La scientifique sait pertinemment que tout cela ne constitue pas une preuve définitive et rappelle à cet égard que le mieux est d'aller sur Mars afin de collecter des échantillons puis de les rapporter sur Terre pour conduire des analyses plus fines et approfondies. Aussi, regrette-t-elle que le projet ne soit pas à l'ordre du jour.
En attendant, Chris McKay en appelle à l'intelligenceintelligence et à la créativité des ingénieurs pour développer un système d'analyse microscopique capable des mêmes manipulations que sur Terre, à bord d'un futur rover. « Si vous leur lancez un défi, ils sont habitués à trouver une solution » lance-t-il.