Des preuves de l'existence d'anciens glaciers sur Mars ont été découvertes pour la première fois. Alors qu'on estime que la Planète rouge devait posséder jadis un climat chaud et humide, leur présence à une époque aussi reculée que 3,6 milliards d'années complexifie un peu plus son histoire. Axel Bouquety, géomorphologue au laboratoire GEOPS et auteur de la découverte, nous invite à revisiter le passé de Mars en suivant un scénario concurrent, qui suppose un climat froid et sec.
au sommaire
Dans un passé très lointain, des glaciersglaciers ont érodé des vallées d'altitude aujourd'hui observables sur Mars, attestant pour la première fois d'un climatclimat primitif froid et sec, prévu par les modèles, alors que le scénario d'un climat chaud et humide prédomine. Ces paysages glaciaires, datés de 3,6 milliards d'années (Ga), apportent « un nouveau regard sur Mars », mais aussi sur l'histoire de la Terre, car on pense que ces deux planètes étaient autrefois très similaires, comme « jumelles », explique à Futura Axel Bouquety, géomorphologue au laboratoire Géosciences Paris Sud (GEOPS) et premier auteur de l'étude, parue dans le journal Geomorphology.
Le scénario d'un climat primitif chaud et humide, qui fait de la jeune Mars une petite planète bleue, est déjà conforté par la découverte de traces d'anciens fleuves et des indices d'un océan global recouvrant tout l'hémisphère nordhémisphère nord. En revanche, seuls les modèles climatiquesmodèles climatiques indiquaient la possibilité d'un dépôt de glace au niveau de la ceinture équatoriale, sur les hauts plateaux de l'hémisphère sudhémisphère sud culminant à plus de trois kilomètres d'altitude au-dessus du niveau zéro martien. En identifiant dans cette région, des morphologiesmorphologies glaciaires âgées de 3,6 Ga, à savoir 83 vallées et une centaine de cirques, Axel Bouquety et ses collègues ont déniché les premières preuves géologiques aussi anciennes en faveur du climat froid. « On a une présence de glace, à partir de 3 Ga jusqu'à maintenant », cachée dans le pergélisolpergélisol ou visible au niveau des pôles, rappelle-t-il.
Des vallées érodées par la glace
Les paysages glaciaires ont été identifiés dans la région très cratérisée de TerraTerra Sabaea, datée du Noachien (plus ancienne époque martienne entre 4,5 et 3,7 Ga) et qui s'étend à une latitudelatitude de seulement 5° en dessous de l'équateuréquateur. Ils ont été creusés dans les parois de deux cratères et les flancs d'une montagne. Le plus grand des cratères est le seul à porter un nom, le cratère Dawes, et concentre la « majorité des morphologies » indique Axel Bouquety, soit des vallées surmontées de cirques, des creux topographiques qui alimentent les glaciers en recueillant la neige. Celle-ci se change en glace au fil du temps.
Le saviez-vous ?
Le cratère Dawes est ainsi nommé en l'honneur de l'astronome britannique William Rutter Dawes (1799-1868). Un cratère Dawes existe aussi sur la Lune.
“Toutes les vallées étudiées étaient glaciaires”
« Toutes les vallées étudiées étaient glaciaires, nous informe le chercheur. Ce sont des endroits où il y avait des glaciers qui ont reculé », laissant ces empreintes. Cela signifie que 83 glaciers reposaient dans ces vallées ou alors qu'il existait « un glacier global avec différentes langues ». Une chose est sûre : de la glace, en grande quantité, est à l'origine de ces reliefs. Pour parvenir à cette conclusion, Axel Bouquety et ses collègues ont procédé à une étude géomorphologique comparative entre les paysages martiens et terrestres, consistant à observer la forme des vallées (morphologie) et à les mesurer (géométrie), pour évaluer par exemple le rapport entre leur longueur et leur largeur.
Une comparaison entre les reliefs martiens et terrestres
Les chercheurs se sont appuyés pour leur analyse sur des images haute résolutionrésolution (6 mètres/pixelpixel) de Terra Sabaea, prises par la Context Camera (CTX) de la sonde de la Nasa Mars Reconnaissance OrbiterMars Reconnaissance Orbiter (MRO), associées à des données topographiques dérivant des observations de la High Resolution Stereo Camera (HRSC) de la sonde européenne Mars ExpressMars Express. Ils ont ensuite comparé les vallées de cette région martienne avec de multiples paysages glacés sur Terre, tels que dans les Alpes et en Islande, mais aussi avec d'anciennes vallées martiennes dont on sait qu'elles sont fluviales.
Comme les reliefs glaciaires sur Terre, les vallées de Terra Sabaea ont une forme en U et sont plutôt courtes et larges avec un fond plat. Elles mesurent entre 1 et 20 km de long, et 2 km de large en moyenne, voire jusqu'à 5 km de large pour les plus grandes d'entre elles. Elles sont relativement profondes, de 20 m à 200 m. Quant aux vallées fluviales, autant sur Terre que sur Mars, elles ont une forme en V, sont beaucoup plus longues que larges et sont ramifiées. De telles morphologies s'expliquent par un agent érosif différent : de la glace d'un côté, qui s'écoule difficilement ; de l'eau liquide de l'autre, dont l'écoulement beaucoup plus facile crée des morphologies longues et sinueuses.
De plus, les vallées glaciaires de Terra Sabaea se trouvent à une altitude beaucoup plus élevée que les vallées fluviales découvertes auparavant sur Mars : 3 km d'altitude en moyenne par rapport au niveau zéro de référence, soit 1,5 km au-dessus du niveau des hauts plateaux de l'hémisphère sud, surélevés par rapport aux terrains de l'hémisphère nord.
Des preuves d'un climat froid et sec en altitude
Les paysages glaciaires de Terra Sabaea, témoignages d'un climat primitif froid et sec, n'excluent pas pour autant l'hypothèse du climat chaud et humide. « Je pense que les deux sont compatibles », déclare Axel Bouquety à Futura. Il propose qu'un climat froid ait régné en haute altitude, tandis que les régions plus basses étaient concernées par un climat tempéré, favorable à l'écoulement d'eau liquide. « Il faudrait imaginer des plateaux englacés, comme dans l'Himalaya [...], et la glace qui fond plus bas », voire tout un système de pluies et de chutes de neige, « comme un cycle de l'eau ».
Ces glaciers ont pu être contemporains avec l'océan boréal, mais rien ne permet encore de l'affirmer. Ils sont datés du passage de la fin du Noachien au début de l'Hespérien, une période de transition qui a vu l'océan boréal présumé - et l'eau liquide en général - se retirer en profondeur. « Il y a 400 millions d'années d'écart » entre les glaciers de Terra Sabaea et l'océan, daté de 4 Ga, indique Axel Bouquety. De récentes études suggèrent toutefois qu'il a pu perdurer jusqu'à aussi récemment que 3,4 Ga. Les glaciers ont quant à eux pu exister avant 3,6 Ga mais pas après, car cette date correspond aux « dernières traces de l'activité glaciaire », donc à leur disparition.
Axel Bouquety entend poursuivre son enquête sur l'ancien climat de Mars « en étendant cette [approche géomorphologique] à plus grande échelle », d'abord sur d'autres cratères de Terra Sabaea, puis ailleurs sur la planète, et pourquoi pas relier ces paysages glaciaires à « un système plus global », peut-être même avec l'océan, ou encore avec la vie. La région de Terra Sabaea se prête bien à cette étude, car elle est une fenêtrefenêtre ouverte sur le passé puisque ses terrains ont été préservés depuis le Noachien. Plus au sud de la ceinture équatoriale, d'éventuelles traces d'anciens glaciers ont été effacées par la présence durable de glace, laquelle persiste encore de nos jours.
Mars cachait ses glaciers !
Article de Laurent SaccoLaurent Sacco, publié le 24/11/2008
La sonde de la Nasa en orbite autour de Mars depuis 2006, Mars Reconnaissance Orbiter, a révélé l'existence d'imposants glaciers cachés sous des débris rocheux. Situés loin des pôles, ils pourraient servir à alimenter en eau de futures missions humaines sur la Planète Rouge.
Sharad est le nom d'un radar équipant la sonde Mars Reconnaissance Orbiter(MRO), acronyme de Shallow Subsurface Radar. Construit par des chercheurs italiens, cet instrument est conçu pour sonder les couches superficielles des calottes polairescalottes polaires martiennes mais, grâce à lui, l'équipe en charge de l'instrument, dirigée par Roberto Seu de l'Université La Sapienza à Rome, peut aussi voir à travers la surface de Mars et même détecter d'éventuelles poches d'eau liquide à plusieurs centaines de mètres de profondeur.
Eric M. De Jong, Ali Safaeinili, Jason Craig, Mike Stetson, Koji Kuramura, John W. Holt
Depuis les missions VikingViking, les chercheurs se doutaient bien qu'il devait exister de vastes réserves de glace dans le sous-sol martien loin des pôles, mais cela restait des conjectures. Ainsi, les planétologues s'étaient interrogés sur d'étranges structures en pentes très douces entourant des reliefs, comme le ferait une crème autour de gâteaux. Situées loin des pôles, l'interprétation la plus plausible de ces structures était celle de couches de débris rocheux d'avalanchesavalanches, mélangés avec un peu de glace. Pour certains, l'interprétation la plus naturelle était celle de glaciers, recouverts par une mince couche de débris rocheux.
C'était en particulier l'avis de John W. Holt, membre de la Jackson School of Geosciences à l'Université d'Austin, au Texas. Ces structures lui faisaient penser à celles que l'on peut observer sur Terre, notamment au niveau des glaciers du continent antarctiqueantarctique.
Comment cependant expliquer la formation de tels glaciers sur Mars à des latitudes et des altitudes plutôt basses ? On peut imaginer, comme certains l'avaient proposé, que l'axe de rotation de la Planète Rouge ait pu être différent dans un passé lointain. En dernier ressort, tout ces explications restaient des conjectures.
C'est en train de changer grâce à des publications récentes faites dans Science et Geophysical Research Letters par Holt et ses collègues.
Cliquez pour agrandir. Un zoom sur une partie d'une structure du bassin d'Hellas, de 20 kilomètres sur 50 kilomètres, et, le long de la ligne en pointillés, la zone où une coupe au radar a été faite. Ce dernier a révélé une couche de glace comme le montre l'image dans le coin à droite. Crédit : Nasa/JPL/Malin Space Science Systems
En employant Sharad, ces chercheurs ont découvert que les structures précédentes, dans le bassin d'Hellas dans l'hémisphère Sud, étaient bien des glaciers qui se dissimulaient au regard des hommes sous une couche de débris rocheux. S'étendant sur plusieurs dizaines de kilomètres autour de formations montagneuses, ils seraient eux-mêmes épais de plus d'un demi kilomètre.
En fait, plusieurs structures de ce genre sont aussi connues dans l'hémisphère nord et doivent très probablement être aussi des glaciers. Dispersées dans les deux hémisphères dans deux bandes s'étendant entre 35 et 60 degrés de latitude, ce sont les plus grosses réserves d'eau connues à ce jour loin des pôles martiens (L'un de ces glaciers occupe une surface équivalente à trois fois celle de Los Angeles). Elles seraient donc plus importantes que celles découvertes près de l'équateur avec Mars Express.
Cette découverte est importante à plus d'un titre. D'abord pour les exobiologistes car la persistance de glace à de telles latitudes augmente la probabilité de trouver des traces de vie fossilesfossiles lors de futures missions martiennemissions martienne, si ce n'est même des formes de vie toujours actives sur Mars. Ensuite, l'exploration de la planète ne sera vraiment possible que lorsqu'une base permanente pourra y accueillir un groupe de plusieurs dizaines à plusieurs centaines de personnes pendant de longues années. Des réserves d'eau à portée de la main sont donc évidemment cruciales pour rendre réalisable l'implantation d'une telle base.
Ce qu’il faut
retenir
- Des paysages glaciaires, constitués de vallées surmontées de cirques glaciaires, datant de 3,6 milliards d'années ont été identifiés sur Mars dans la région de Terra Sabaea, au niveau de la ceinture équatoriale, côté hémisphère sud.
- Une comparaison de la morphologie et de la géométrie de ces reliefs avec les paysages glaciaires terrestres et les vallées fluviales martiennes ont permis d'attester qu'il s'agit bien de vallées glaciaires.
- Ce sont les premiers marqueurs géologiques prouvant le scénario d'un climat primitif froid et sec sur Mars, alors que l'hypothèse d'un climat chaud et humide est privilégiée.