L'utilisation des ressources lunaires est la clé d'une installation durable de l'Homme sur la Lune. Dans ce domaine, la technologie pour les extraire et les utiliser n'est pas maîtrisée. Pour démontrer la faisabilité technique d'utiliser de la glace d'eau pour de nombreux usages, comme fournir de l'air, de l'eau et du carburant, l'Agence spatiale européenne développe Prospect. Cet instrument inédit sera installé dans la sonde Luna-27. Les explications de Romain Tartese, scientifique du projet et expert des éléments volatils lunaires.


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    En prévision des futures missions habitées à destination de la Lune et si l'on envisage des habitats permanents, pour y vivre et y travailler, au-delà de simples visites d'exploration que seront les premières missions Artemis de la Nasa, les agences spatiales concernées réfléchissent à comment utiliser à bon escient les ressources in situ de la Lune pour permettre cette installation humaine la plus complète et autonome possible.

    Depuis quelques années, différents satellites en orbite autour de la Lune ont découvert que des cratères situés aux pôles, dont les planchersplanchers ne voient jamais la lumière du jour, recèlent potentiellement d'épais dépôts de glace, de parfois plusieurs mètres d'épaisseur. Ces satellites ont également mis en évidence la présence de quantités significatives d'éléments volatils sur la surface lunaire, dont les scientifiques aimeraient maintenant préciser l'origine, la distribution et l'abondance. Les observations radar ont également identifié dans le sous-sol, des couches de glace d’eau non négligeables, localisées à seulement moins de 50 centimètres de la surface et s'enfonçant jusqu'à plus ou moins 1,5 mètre de profondeur.

    Cette eau et ces substances volatiles sont autant de ressources potentielles, essentielles à l'autonomieautonomie nécessaire à la présence humaine sur la Lune, une étape clé pour préparer de futures missions humaines martiennes, puis l'expansion dans l'espace lointain. La glace d'eau, en fournissant l'eau et l'oxygène indispensables à la vie, pourrait aussi être utilisée pour fabriquer le carburant nécessaire à des véhicules spatiaux retournant sur Terre avec une cargaison ou un équipage, mais aussi pour des engins en partance pour d'autres destinations spatiales (Mars notamment).

    Le <em>Luna-Resurs</em> (Luna 27) doit se poser au pôle Sud dans un site qui pourrait accueillir une base habitée. Cette mission doit notamment estimer les ressources exploitables pour une présence humaine. © Roscosmos
    Le Luna-Resurs (Luna 27) doit se poser au pôle Sud dans un site qui pourrait accueillir une base habitée. Cette mission doit notamment estimer les ressources exploitables pour une présence humaine. © Roscosmos

    Pérennité, durabilité et autonomie

    Pour l'Agence spatiale européenneAgence spatiale européenne (ESA), qui souhaite s'implanterimplanter durablement sur la Lune et l'utiliser comme base arrière pour l'exploration de Mars, l'extractibilité et l'utilisation des ressources in situ de la Lune sont les conditions sine qua non pour s'y installer de façon durable. Pour concilier les attentes des uns (les scientifiques) et des autres (les bâtisseurs), l'ESA développe Prospect, un instrument inédit qui fait le pari de répondre à toutes ces questions d'intérêts scientifiques, technologiques et économiques que se posent les scientifiques et les bâtisseurs des futures bases lunaires !

    Prospect (Platform for Resource Observation and in-Situ Prospecting for Exploration, Commercial exploitation and Transportation) sera embarqué sur la sonde russe Luna-27 dont le lancement est prévu en 2025. Il est constitué d'une foreuse, conçue pour extraire des échantillons du sol lunaire jusqu'à une profondeur d'un mètre environ, et de différents instruments pour les analyser dont un spectromètrespectromètre. La foreuse utilisée est dérivée de celle du rover ExoMars 2020 et sera réalisée par Leonardo.

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    L'ESA fournira à la Russie la foreuse de la mission Luna-27

    Le spectromètre, fourni par l'Open University au Royaume-Uni, est dérivé de versions précédentes installées à bord du landerlander Beagle, qui s'est posé sur Mars en décembre 2003 mais n'a jamais pu fonctionner, et de l'atterrisseur Philae de la sonde (mission RosettaRosetta) de l'ESA qui s'est posé sur la comètecomète 67P/Churyumov-Gerasimenko (surnommée Tchouri).

    Avant de s'envoler à bord de Luna-27, ce spectromètre pourrait équiper Peregrine, l'atterrisseur lunaire d'Astrobotic qui doit se poser dans le grand cratère du lac de la Mort (Lacus Mortis) en juillet 2021. Cette mission commerciale est réalisée dans le cadre d'un partenariat public-privé avec la Nasa, qui prévoit l'envoi d'instruments et équipements scientifiques sur la Lune. Ce spectromètre sera utilisé pour identifier les gazgaz et volatils au moment de l'atterrissage de Peregrine et voir comment ils sont perturbés pendant cette phase.

    Prospect permettra également de dresser un « inventaire des ressources naturelles qui, par la suite, pourraient être utilisées pour des missions habitées », nous explique Romain Tartese, scientifique du projet et expert des éléments volatils lunaires. Parmi les éléments volatils que les scientifiques s'attendent à découvrir, « on citera le carbonecarbone, l'azoteazote, l'oxygène et des gaz rares comme de l'héliumhélium, du néonnéon, et de l'argonargon ».

    D'un point de vue scientifique, Prospect, « sorte de mini-laboratoire à tout faire » devrait, en mesurant la composition isotopique de l'hydrogènehydrogène,  « aider à déterminer l'origine de l'eau lunaire et faire le tri entre les différentes hypothèses les plus couramment admises ». Ces hypothèses suggèrent que cette eau aurait pu être apportée par « des comètes et des astéroïdesastéroïdes » ou par un apport interne quand le « volcanisme lunaire était actif, il y a entre 3 et 4 milliards d'années. Certains magmasmagmas basaltiquesbasaltiques auraient pu dégager de la vapeur d'eau dont une partie aurait migré vers les pôles ».

    Concept de base lunaire semi-enterrée à l'étude à l'Agence spatiale européenne. © ESA
    Concept de base lunaire semi-enterrée à l'étude à l'Agence spatiale européenne. © ESA

    Le site d'atterrissage de la mission n'a pas encore été choisi mais, « l'idée qui prévaut aujourd'hui c'est d'atterrir au pôle Sud ». Plusieurs sites sont à l'étude, dont le bassin Aitken et les remparts du cratère Shackleton, souvent évoqués comme sites d'implantation d'une base lunaire. Le choix de ce site d'atterrissage ne sera pas simple car « les Russes visent un atterrissage de très haute précision, de l'ordre du centimètre ». L'idéal serait de poser l'atterrisseur « dans une zone en partie ensoleillée, afin de charger les batteries, et en partie à l'ombre afin de maximiser les chances de trouver de la glace ». À cela s'ajoute le fait que l'atterrisseur n'a aucune capacité de mobilité, une fois au sol, il ne pourra plus se déplacer. Seule la foreuse de Prospect disposera d'une petite liberté de mouvementmouvement de quelques dizaines de degrés de rotation de part et d'autre de son axe. Pouvoir recharger les batteries déterminera la duréedurée de vie de la mission, « on espère survivre plusieurs nuits lunaires, idéalement l'équivalent d'une année terrestre ».

    Le système d'atterrissage sera fourni par l'ESA. Pilot (Precise and Intelligent Landing using Onboard Technologies), c'est son nom, sera capable d'une très grande autonomie d'analyse et de décision, jamais vue auparavant. Ce système est conçu pour un atterrissage de précision avec détection d'obstacles de façon à rendre accessibles des sites difficiles d'accès, comme le pôle Sud. Pilot utilisera des technologies innovantes qui permettront des analyses de terrain en temps réel. Il sera capable de créer lui-même ses propres cartes d'élévation et de les utiliser durant les dernières minutes de la phase d'atterrissage de Luna-27. Ainsi, de façon autonome et sans intervention des contrôleurs au sol, il déterminera son propre terrain d'atterrissage, compatible avec l'atterrisseur en tenant compte de nombreux paramètres.

    Des éléments et composés chimiques nécessaires à la vie et aux vols spatiaux

    Prospect doit également démontrer que l'on peut « produire de l'eau consommable, de l'oxygène et du carburant depuis la surface lunaire ». L'idée des scientifiques est de réaliser une « réduction de l'ilménite avec un apport d'hydrogène ». La réduction de ce minéralminéral, très présent dans les zones basaltiques, pourrait permettre « de produire des moléculesmolécules d'eau nécessaires à la consommation humaine ». Séparées en leurs deux éléments constitutifs, l'hydrogène et l'oxygène, ces « molécules d'eau peuvent aussi fournir l'airair nécessaire à la consommation humaine » mais aussi de « l'hydrogène et de l'oxygène utiles à des carburants de véhicules spatiaux ».

    Ces expériences technologiques, inédites sur la Lune, aideront à évaluer la faisabilité de l'utilisation des ressources locales et, pourquoi pas, de leur exploitation commerciale qui pourrait intéresser le secteur privé.