La thermosphère de Jupiter est presque aussi chaude que celle de la Terre alors que la planète est cinq fois plus éloignée du Soleil. L’énigme du chauffage de cette partie supérieure de l’atmosphère de la géante gazeuse semble enfin avoir trouvé une solution partielle et elle fait intervenir les aurores polaires sur Jupiter.
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Il y a cinq ans, Futura avait expliqué dans le précédent article ci-dessous que les planétologues pensaient être sur la piste de la solution à une énigme révélée à la fin des années 1970 par l'arrivée des missions Voyager aux abords de JupiterJupiter. L'énigme en question avait été surnommée « la crise de l'énergie ». Voyons voir pourquoi.
On sait depuis longtemps que le flux d'énergie d'une source lumineuse comme le Soleil décroît comme l'inverse du carré de la distance à cette source. Ceux qui veulent s'en convaincre peuvent se reporter au cours de physique du prix Nobel de physique Richard Feynman en consultation libre sur la toile, plus précisément aux chapitres traitant justement de façon élémentaire de la théorie du rayonnement électromagnétique. Le cours d'introduction à l'astrophysique du célèbre William H. Press peut aussi être consulté avec fruit à ce sujet.
On sait aussi calculer le chauffage moyen que produit l'absorptionabsorption de ce rayonnement par l'atmosphèreatmosphère d'une planète. Il faut bien sûr utiliser un modèle beaucoup plus compliqué si l'on veut vraiment comprendre la météorologiemétéorologie et le climatclimat d'une planète (théorie du transfert radiatif, mécanique des fluides dans un référentiel en rotation, etc.). Toujours est-il que Jupiter étant à plus de cinq fois la distance du Soleil par rapport à la Terre et connaissant la valeur du flux d'énergie solaire tombant sur notre Planète bleue, on peut estimer facilement la température moyenne dans la haute atmosphère de Jupiter. Elle devrait être d'environ -73 °C. Or ce n'est vraiment pas ce qu'ont permis d'estimer les données des sondes Voyager puisque la valeur obtenue est de +426 °C.
Dans cette vidéo, on voit d'abord une image de Jupiter en lumière visible avant qu'une impression artistique de rayonnement infrarouge de la haute atmosphère jovienne ne soit superposée. La luminosité et les fausses couleurs choisies, associées à cette couche supérieure de l'atmosphère, correspondent aux températures, du chaud au froid, allant dans l'ordre suivant : blanc, jaune, rouge vif et enfin rouge foncé. Les aurores sont les régions les plus chaudes et l'animation montre comment la chaleur peut être transportée par les vents loin des aurores et provoquer un réchauffement planétaire. À la fin, des données réelles sont ajoutées avec une échelle de température, indiquant les températures globales observées et mesurées dans l'étude publiée aujourd'hui dans Nature. © J. O'Donoghue (Jaxa)/Hubble/Nasa/ESA/A. Simon/J. Schmidt
Des transports de chaleur stoppés par la force de Coriolis ?
En transposant l'expérience des géophysiciens externes sur Terre, les planétologues avaient avancé l'hypothèse que la source de chaleur responsable de cette anomalieanomalie se trouvait peut-être au niveau de l'impact du vent solairevent solaire aux pôles de Jupiter, les courants électriquescourants électriques générés au niveau des aurores pouvant produire un chauffage ohmique.
Toutefois, l'hypothèse avait été écartée car la modélisation de la circulation dans l'atmosphère de Jupiter en tenant compte de l'effet des forces de Coriolisforces de Coriolis sur cette circulation (rappelons que Jupiter est plus grande que la Terre et tourne sur elle-même en environ 10 heures seulement) laissait penser que des vents devaient bloquer tout transport de chaleur conséquent des pôles vers l'équateuréquateur et donc rendre impossible le chauffage global de la haute atmosphère de Jupiter révélé par les sondes Voyager.
Mais, aujourd'hui, une équipe internationale de chercheurs combinant des observations au sol menées avec l'observatoire Keckobservatoire Keck sur le Mauna Kea à Hawaï et celles obtenues avec la sonde Junosonde Juno de la NasaNasa en orbiteorbite autour de Jupiter, complétées par les données du satellite Hisaki (un petit télescope spatialtélescope spatial japonais effectuant ses observations dans l'ultravioletultraviolet extrême qui a été placé sur une orbite terrestre basse le 14 septembre 2013), vient de remettre en cause cette objection comme elle l'explique dans un article publié en accès libre dans la célèbre revue Nature.
En effet, des observations menées en 2016 et 2017 à l'aide de l'instrument Near-Infrared Spectrometer (NIRSPECNIRSPEC) équipant les télescopes du Keck ont permis de dresser une carte des variations de température des pôles à l'équateur de la haute atmosphère de Jupiter. Les données de Juno et Hisaki ont permis de remonter au même moment à des données concernant le champ magnétiquechamp magnétique de la géante gazeuse en rapport avec l'occurrence d'aurores boréalesaurores boréales.
Un effet de compression de la magnétosphère ?
Les planétologues ont alors eu la surprise de voir précisément à cette occasion des variations de température trahissant un flux de chaleur allant de régions chaudes localisées aux aurores polaires vers l'équateur où les températures étaient plus basses. C'est ce que montre la vidéo ci-dessus. Clairement, un mécanisme encore indéterminé.
Dans l'article de Nature, les chercheurs expliquent que les mesures effectuées suggèrent qu'il existe un lien entre la dynamique de la compression de la magnétosphèremagnétosphère de Jupiter par le vent solaire et la production d'une onde thermique de chauffage partant des pôles. Il est intéressant de se rappeler à ce sujet qu'un lien de ce genre a été proposé en ce qui concerne des flashs en rayons X au niveau des pôles à l'occasion des aurores.
Au-dessus de la Grande Tache rouge de Jupiter, il fait trop chaud
Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 01/08/2016
La thermosphèrethermosphère de Jupiter est presque aussi chaude que celle de la Terre alors que la planète est cinq fois plus éloignée du Soleil. L'énigme du chauffage de cette partie supérieure de l'atmosphère de la géante est peut-être sur le point d'être résolue grâce à la découverte d'une région aussi chaude que de la lavelave au-dessus de la Grande tache rougeGrande tache rouge.
Comme leurs collègues dans la mission Voyager, à laquelle ils participaient, André Brahic et Carl Sagan ont dû être surpris quand la sonde a permis d'estimer la température de la thermosphère de Jupiter en 1979. Il s'agit d'une partie de l'atmosphère supérieure de la planète, à 500 km au-dessus du niveau des nuagesnuages. Les calculs basés sur l'apport d'énergie du rayonnement solairerayonnement solaire avaient conduit à estimer cette température à environ 200 kelvinskelvins. Elle pouvait atteindre de 800 à 1.000 kelvins, de quoi largement faire fondre du plombplomb si la densité et la pressionpression n'étaient pas si basses à cette altitude. Ce fait étrange a été confirmé depuis par la sonde GalileoGalileo qui a aussi pu mesurer les variations du profil de température avec l'altitude lorsqu'elle a fini sa vie en étant précipitée par les navigateursnavigateurs interplanétaires de la Nasa dans l'atmosphère de la géante gazeusegéante gazeuse.
Cela fait presque 40 ans que les planétologues spécialisés dans l'atmosphère des planètes cherchent à comprendre l'origine de cette température. Plusieurs idées ont été proposées au fil des années dans le but de résoudre ce qui a été nommé la « crise de l'énergie » pour Jupiter. On sait par exemple que la thermosphère de Jupiter est le lieu où se produisent les spectaculaires aurores de la planète. Les courants peuvent bien sûr dissiper de la chaleur par effet Jouleeffet Joule et l'on pouvait donc penser que c'était là le mécanisme expliquant l'énigme de la température de la thermosphère. Mais Jupiter tourne rapidement sur elle-même, en moins de 10 heures alors que son diamètre est de l'ordre de 140.000 km. On a pu montrer que cela avait pour effet de bloquer la propagation de la chaleur générée par les aurores. Elle reste donc au niveau des pôles.
Une équipe d'astrophysiciensastrophysiciens des universités de Boston (USA) et Leicester (Angleterre) vient de publier dans le journal Nature un travail basé sur de nouvelles mesures de la température de l'atmosphère de Jupiter, mais depuis le sol cette fois-ci, à l'aide de l'Infrared Telescope Facility ou IRTF de la Nasa. Il s'agit d'un télescope infrarougeinfrarouge de trois mètres de diamètre, situé au sommet du Mauna Kea, entré en service en 1979 pour aider l'agence spatiale à préparer ses missions spatiales dans le Système solaireSystème solaire.
Les chercheurs ont utilisé le rayonnement provenant des cationscations de trihydrogène (H3+) présents dans la thermosphère où ils ont été découverts pour la première fois hors des laboratoires terrestres en 1989. Les chercheurs savent maintenant que c'est l'ionion le plus abondant dans le milieu interstellaire, où il peut demeurer stable compte tenu des températures et pressions très basses qui y règnent. Or, la lumièrelumière infrarouge qu'il émet est le reflet de la température du milieu dans lequel il se trouve. Il peut donc jouer le rôle de thermomètrethermomètre.
La thermosphère surchauffée par des ondes turbulentes ?
Occupé à cartographier la thermosphère de Jupiter, l'astronomeastronome James O’Donoghue, puis ses collègues, n'en a pas cru ses yeuxyeux quand il a découvert que la température au-dessus de la Grande tache rouge était de 1.600 kelvins ! On peut en déduire que ce gigantesque anticycloneanticyclone, dont la stabilité est mal comprise, est directement lié à la présence de cette région à haute température. Cela donne donc plus de crédit à deux mécanismes proposés pour chauffer la thermosphère : les ondes de gravitégravité (à ne pas confondre avec les ondes gravitationnellesondes gravitationnelles) et les ondes sonoresondes sonores.
Les ondes de gravité, dont l'exemple le plus connu est tout simplement celui des vaguesvagues à la surface de l'eau, sont des ondes induites par la force de gravité sur des massesmasses légèrement déplacées de leur position d'équilibre. Elles se mettent à osciller comme le ferait un poids au bout d'un ressort. Les ondes sonores sont elles des variations de la pression dans un fluide. Ces ondes sont émises dans l'atmosphère de la Terre et se propagent également à l'intérieur du Soleil. Leur présence dans l'atmosphère de Jupiter n'a donc rien d'étonnant. Mais celles que générerait la Grande Tache rouge seraient particulièrement fortes et deviendraient très turbulentes en arrivant dans la thermosphère. Elles s'y comporteraient donc comme une source de chaleur. On peut se faire une idée de l'apparition de cette turbulenceturbulence en pensant à ce qui se passe avec le ressac, quand une vague se brise sur le rivage.
La Grande Tache rouge n'est pas la seule zone turbulente à la surface de Jupiter. On peut donc penser maintenant que le chauffage de la thermosphère de Jupiter provient en général des ondes sonores et de gravité générées dans l'atmosphère basse. Mais il reste du travail à faire, que ce soit en continuant à cartographier la température de la thermosphère et à tenter de la relier à ce qui se passe plus bas dans l'atmosphère de Jupiter, et en étudiant des modèles numériquesmodèles numériques de cette atmosphère pour vraiment comprendre ce qui se passe et résoudre définitivement l'énigme de la crise de l'énergie sur Jupiter.