Les travaux du physicien irlandais John Stewart Bell (1928-1990) ont pavé la voie à la toute jeune discipline de l'information quantique. De fait, le théorème qu'il avait démontré en 1964, en réfléchissant au célèbre paradoxe EPR (Einstein-Podolsky-Rosen), a mené en 1982 à l'expérience d'Alain Aspect, qui lui a valu le prix Nobel de physique. Cette expérience a confirmé la réalité du phénomène d'intrication quantique, qui est à la base des travaux sur la téléportation et la cryptographie quantique. On a fêté récemment les 60 ans de la découverte de ce théorème.
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Le Cern a fêté cette année les 70 ans de sa fondation officielle. La semaine dernière, on a célébré les 60 ans d'une découverte théorique fait par l'un des chercheurs emblématiques du Cern, le physicienphysicien John Stewart Bell. Le 4 novembre 1964, le journal Physics recevait un article qui allait faire date dans l'histoire de la physique quantique. Il contenait le résultat d'années de réflexion de ce savant né à Belfast en 1928 et qui avait d'abord travaillé sur la conception des accélérateurs de particules avant de se tourner vers la physique théorique, en particulier la physique des particules élémentaires.
L'intrication quantique est l'un des phénomènes les plus fascinants de la physique moderne. Dans les années 1930, elle fut l'objet d'un débat houleux entre deux géants de la physique : Albert Einstein et Niels Bohr. Pour Einstein, l'intrication, qui semble relier comme par magie des particules éloignées, est une aberration de la théorie quantique et la preuve que celle-ci est incomplète. Pour Bohr, l'intrication est bien réelle et nous pousse à accepter l'idée que des objets quantiques séparés peuvent former un tout indivisible. Mais, faute de preuves expérimentales et d'applications scientifiques concrètes, le débat Bohr-Einstein passe inaperçu pendant près de 30 ans... Première partie d'un documentaire consacré à l'histoire de l'intrication quantique. Avec la participation de : Alain Aspect (Laboratoire Charles Fabry de l’Institut d’optique), Sara Ducci (Laboratoire matériaux et phénomènes quantiques), Philippe Grangier (Laboratoire Charles Fabry de l’Institut d’optique), Franck Laloë (Laboratoire Kastler Brossel), Pérola Milman (Laboratoire Matériaux et phénomènes quantiques). © Photons Jumeaux
John BellJohn Bell faisait partie des rares physiciens qui, tels EinsteinEinstein et Schrödinger, étaient profondément insatisfaits devant l'interprétation orthodoxe de la théorie quantique, celle dite de Copenhague, mise en avant par Niels BohrNiels Bohr, Werner Heisenberg et Wolfgang Pauli. Comme Einstein, il n'aimait pas l'abandon des images claires dans l'espace et dans le temps des phénomènes physiques auquel conduisait cette interprétation, ni le recours au calcul des probabilités, de façon fondamentale, pour décrire l'état des systèmes quantiques.
La lecture du célèbre article publié en 1935 par Einstein et ses collaborateurs de l’époque (Boris Podolsky et Nathan Rosen), mettant en lumière ce que l'on connaît aujourd'hui sous le nom de paradoxe EPR, un acronyme du nom de ses découvreurs, l'avait fasciné. Bell considéra à son tour qu'un tel paradoxe dénonçait une incomplétude des équations de la mécanique quantique, suggérant l'existence d'une dynamique plus profonde derrière les phénomènes quantiques.
D'après la mécanique quantique, deux particules intriquées forment un seul et même objet physique, même si elles sont séparées par de grandes distances. Cette prédiction fut l'objet d'un débat houleux entre deux géants de la physique : Albert Einstein et Niels Bohr. Ce débat, quasi philosophique, sera mis en équation par John Bell dans les années 1960, ouvrant la voie aux futurs tests expérimentaux. Deuxième partie d'un documentaire consacré à l'histoire de l'intrication quantique. © Photons Jumeaux
Un test de la mécanique quantique avec des photons intriqués
Le recours au calcul des probabilités était un expédient pour décrire de façon simple les propriétés moyennes des particules dans un gazgaz ou un solidesolide ; en mécanique quantiquemécanique quantique, il devait trouver sa justification dans l'existence de variables cachées en pratique, comme l'étaient les position et vitessevitesse précises de ces particules en physique classique. En théorie, une nouvelle formulation de la mécanique quantique, encore à découvrir, devait permettre de résoudre le paradoxe EPR et d'éliminer le recours au calcul des probabilités.
À défaut d'énoncer cette nouvelle formulation, l'article de 1964 prévoyait l'existence d'une inégalité mathématique qui porterait sur les résultats d'une expérience du type de celle envisagée en 1935. Si une telle inégalité n'était pas violée par les résultats de l'expérience, cela prouverait que les lois probabilistes de la mécanique quantique devaient bien pouvoir être déduites d'une théorie déterministe avec des variables cachées, en accord avec les idées d'Einstein ou de Louis de BroglieLouis de Broglie. L'article de Bell prenait comme base le travail du physicien David Bohm qui avait transposé le raisonnement EPR, portant initialement sur la mesure des positions et des vitesses d'une paire de particules de matièrematière intriquées, à la mesure des spinsspins de ces particules. On pouvait faire de même en mesurant la polarisation d'une paire de photonsphotons intriqués.
C'est précisément de cette façon que les idées de Bell ont pu être mises en pratique par Alain Aspect et ses collègues Philippe Grangier, Gérard Roger et Jean Dalibard au moyen d'une expérience conduite à l'université d'Orsay en 1982.
Une première série d'expériences est menée aux États-Unis, notamment par John Clauser et ses collaborateurs. Puis l'aventure continue en France, avec les expériences d'Alain Aspect et de son équipe, qui marquent un tournant dans l'histoire de l'intrication quantique. Troisième partie d'un documentaire consacré à l'histoire de l'intrication quantique. © Photons Jumeaux
Les résultats de cette expérience ont eu un retentissement mondial. La mécanique quantique et l'interprétation de Copenhagueinterprétation de Copenhague en sont sorties renforcées même si, à strictement parler, elle n'a été réfutée qu'une classe de théorie à variables cachées dites locales. Une nouvelle formulation de la théorie quantique sans le recours au calcul des probabilités reste envisageable. Mais elle devra posséder comme caractéristiques les propriétés de non-séparabilité et de non-localité que l'on observe couramment aujourd'hui avec des expériences dans le domaine de l'informatique quantique basées sur le phénomène d'intricationintrication. On connaît au moins un exemple de théorie quantique non locale, celui de l'onde pilote issue des travaux de Louis de Broglie et de David Bohm. Malheureusement, il apparaît comme peu compatible avec la théorie de la relativité restreinterelativité restreinte. Toujours fidèle aux idées d'Einstein, Bell en était finalement venu à penser que pour les préserver il fallait, encore un paradoxe, remettre en cause la théorie de la relativité restreinte.
John Bell est malheureusement mort trop tôt, en 1990, des suites d'une hémorragie cérébrale. Cette année-là, il faisait partie des candidats nominés pour l'attribution du prix Nobel de physique.
Une série d'expériences, menées à partir des années 1970, tranche le débat : deux particules intriquées restent liées, quelle que soit la distance qui les sépare. Cette propriété fascinante de la nature stimule rapidement l'imagination des chercheurs, qui entrevoient des applications dans les domaines de l'informatique et des télécommunications. Certains parlent même de seconde révolution quantique avec des ordinateurs quantiques. Quatrième et dernière partie d'un documentaire consacré à l'histoire de l'intrication quantique. © Photons Jumeaux