Le graphène est considéré par de nombreux spécialistes comme un matériau miracle à l'origine de la prochaine révolution en électronique. Sa bonne réputation est à nouveau confirmée. Grâce à lui, des chercheurs viennent en effet d'améliorer significativement le processus de séparation des paires de Cooper dans un supraconducteur, à l'aide de paires de boîtes quantiques. Le but : que les électrons séparés obtenus restent intriqués, ce qui ouvrirait une nouvelle voie à la réalisation d'ordinateurs quantiques. 
La structure 2D d'un feuillet de graphène est formée d'atomes de carbone aux nœuds d'un réseau cristallin hexagonal. Le graphite est un empilement de ces structures. © Jannik Meyer

La structure 2D d'un feuillet de graphène est formée d'atomes de carbone aux nœuds d'un réseau cristallin hexagonal. Le graphite est un empilement de ces structures. © Jannik Meyer

Parmi les phénomènes quantiques les plus étonnants et dont les applications technologiques potentielles pourraient mener à de nouvelles révolutions technologiques au cours du XXIe siècle, il faut sans aucun doute compter sur la supraconductivité et l'intrication. Les supraconducteurs sont déjà utilisés pour faire des squids ainsi que les aimants du LHC. Les chercheurs rêvent toutefois d'en découvrir de nouveaux types, capables de fonctionner à température ambiante. L'intrication quantique, rendue célèbre par le paradoxe EPR et le chat de Schrödinger, permet quant à elle de faire de la cryptographie et de la téléportation quantique. Les physiciens espèrent obtenir grâce elle des ordinateurs quantiques. Des calculateurs quantiques rudimentaires existent déjà mais ils sont encore incapables de battre les ordinateurs classiques, notamment pour résoudre certains problèmes bien spécifiques. Il ne devrait pas en être de même avec des ordinateurs quantiques manipulant un grand nombre de qubits, les équivalents quantiques des bits classiques.

Ces qubits peuvent être portés par les états de spin d'électrons ou de photons par exemple. Pour les applications dans le domaine de l'information quantique, il faut pouvoir obtenir des particules intriquées. Il est aujourd'hui possible de produire des paires de photons intriqués en se basant sur des phénomènes d'optique non linéaire. On peut aussi produire des paires d'électrons, intriqués à partir des paires de Cooper qui sont à la racine du phénomène de supraconductivité. L'utilisation de telles paires pour permettre de réaliser des calculs quantiques. Il faut pouvoir en particulier les séparer pour utiliser individuellement chaque électron tout en maintenant pendant le plus longtemps possible l'intrication entre les deux électrons.

Des paires de Cooper séparées dans deux boîtes quantiques

En théorie, pour obtenir des paires d'électrons intriqués séparés à partir des paires de Cooper, il suffit de mettre en contact un conducteur ordinaire sous forme de deux filaments avec deux des extrémités d'un bloc de matériau dans un état supraconducteur. En pratique, trop souvent, une paire de Cooper se retrouve simplement dans un de ces filaments. Mais voici qu'une équipe de chercheurs finlandais et russes vient d'annoncer dans une publication disponible en accès libre sur arXiv qu'elle avait obtenu des résultats bien plus satisfaisants. L'astuce qui rend possible cette performance consiste à utiliser des boîtes quantiques à base... de graphène. De quoi venir confirmer sa réputation de matériau miracle.

Soumises à un rayonnement ultraviolet, des boîtes quantiques colloïdales (<em>colloidal quantum dots</em> ou CQD en anglais) de diverses dimensions, ici en suspension et faites d'un même matériau, deviennent fluorescentes dans le visible. © Amazing Rust

Soumises à un rayonnement ultraviolet, des boîtes quantiques colloïdales (colloidal quantum dots ou CQD en anglais) de diverses dimensions, ici en suspension et faites d'un même matériau, deviennent fluorescentes dans le visible. © Amazing Rust

Rappelons que les boîtes quantiques sont des paquets d'atomes, aux propriétés électroniques intermédiaires entre celles des semi-conducteurs et celles des molécules discrètes, constituant des nanocristaux d'un matériau semi-conducteur dont les dimensions sont inférieures à 10 nm. Elles ont été découvertes au début des années 1980 par un physicien du solide, le Russe Alexei Ekimov.

Selon leurs tailles, ces nano-objets peuvent absorber la lumière à différentes longueurs d'onde et la convertir en paires d'électrons-trous dans le semi-conducteur. Peu coûteuses, elles sont notamment faciles à fabriquer à partir d'une solution. Ces boîtes quantiques, alors dites colloïdales (colloidal quantum dots ou CQD en anglais), sont bien connues car, en suspension dans un liquide, elles le rendent fluorescent dans le visible lorsqu'il est exposé à la lumière ultraviolette.

De la lithographie électronique avec du graphène

Toutefois, ce ne sont pas ces boîtes quantiques là que les chercheurs ont utilisé pour séparer efficacement les électrons des paires de Cooper tout en les maintenant intriqués pendant une longue période. Les boîtes ont été réalisées en mettant en pratique une technique bien connue en nanotechnologie avec les semi-conducteurs, à savoir l'utilisation d'un faisceau d'électrons pour tracer des motifs sur une surface. Un procédé connu sous le nom de lithographie par faisceau d'électrons ou encore de lithographie électronique. Cette technique permet de repousser les limites rencontrées en photolithographie en raison du phénomène de la diffraction de la lumière et de dessiner des motifs avec une résolution pouvant aller jusqu'au nanomètre. En l'occurrence les physiciens ont découpé des paires de rectangles de 200 × 150 nm dans une couche de graphène déposée sur un substrat constitué de dioxyde de silicium. Les membres de chaque paire ont été ensuite positionnés à 180 nm l'un de l'autre et reliés à un supraconducteur formé d'un mince sandwich de titane et d'aluminium.

Les expériences ont montré que, contrairement à celles réalisées avec les boîtes quantiques composées d'arséniure d'indium (InAs), il était possible de séparer jusqu'à 10 % des paires de Cooper produites dans un supraconducteur. Les chercheurs pensent qu'ils devraient pouvoir encore faire grimper ce taux de séparation. Mais il reste encore une chose à démontrer avant de pouvoir sérieusement utiliser ces boîtes quantiques au graphène pour faire des ordinateurs quantiques ou pour d'autres applications relevant de technologie de l'information quantique. En effet, théoriquement, l'intrication quantique devrait être préservée par ce nouveau processus de séparation mais le phénomène reste à démontrer. De nouvelles expériences sont programmées.