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Il y en a qui ont essayé... et ils ont eu des problèmes. Non pour apprécier la musicalité des violons conçus par Antonio Stradivari au XVIIIe siècle, mais surtout pour expliquer ce qui les rend si uniques. Les stradivarius sont réputés pour leur qualité tonale jugée inégalée par de nombreux spécialistes de la musique, justifiant ainsi les prix exorbitants auxquels ils se vendent. Est-ce leur boisbois, issu de monuments anciens ? Un vernisvernis dont la recette exacte serait restée secrète ? Une recherche de 2009 montrait qu'il avait tout d'ordinaire. Est-ce alors la qualité du bois du petit âge glaciaire, l'époque à laquelle vivait le luthier de CrémoneCrémone (Italie), qui était meilleur ? Si c'était le cas, pourquoi ses concurrents n'auraient-ils pas fait aussi bien ?
Les hypothèses se bousculent, mais les réponses avancées beaucoup moins. Si bien que certains spécialistes s'interrogent sur le bien-fondé de cette réputation. Une étude montrait que le public se révélait incapable de distinguer le son d'un stradivarius de celui d'un autre violon, même si les deux étaient joués successivement par un professionnel. En 2011, Claudia Fritz, de l'institut Jean Le Rond d’Alembert, publiait même un article scientifique qui concluait que la majorité des musiciens actuels préférait pratiquer sur un instrument plus moderne. Mais les protocolesprotocoles ont été longuement discutés, et des biais expérimentaux ont poussé certains à considérer les résultats comme inexacts.
Qu'à cela ne tienne, la Française a voulu gommer les erreurs qui lui avaient été reprochées pour obtenir des résultats plus consensuels. C'est ce qu'elle et son équipe se sont employées à faire, avec de nouveaux résultats publiés dans les Pnas qui soutiennent ceux qu'ils avaient déjà notés.
Les virtuoses du violon ne préfèrent pas forcément jouer avec un stradivarius. © Dani Conto, Flickr, cc by sa 2.0
Les stradivarius, la supériorité musicale qui sonne faux ?
Dix violonistes virtuoses ont été recrutés pour participer à cette recherche, parmi lesquels des noms comme le jeune Pierre Fouchenneret, la Canadienne Yi-Jia Susanne Hou ou l'États-Unien Giora Schmidt, entre autres. Leur mission, puisqu'ils l'ont acceptée, consistait à tester avec leur propre archet lors de deux sessions de 75 minutes une douzaine de violons, six modernes et six anciens (parmi lesquels cinq stradivarius), en portant des lunettes de soudeursoudeur sur la tête pour ne pas se laisser influencer par la couleur et l'aspect, bien que les modèles récents aient été poncés et volontairement vieillis. L'une des séances se tenait dans un studio d'enregistrement, l'autre dans une salle de spectacle. Les musiciens devaient déterminer lequel de ces modèles leur conviendrait le mieux pour remplacer l'instrument dont ils jouent déjà.
Sur les dix violonistes, six ont préféré les instruments modernes, et les quatre autres se sont tournés vers les stradivarius. Un modèle récent en particulier, dont le fabricant est tenu secret, a semble-t-il obtenu la majorité des suffrages de la part des virtuoses, puisque quatre l'ont placé en première position, tandis qu'il était le deuxième choix pour quatre autres. En moyenne, les modèles actuels ont reçu de meilleures notes en matière de jouabilité ou d'articulationarticulation, et au moins aussi bonnes en ce qui concerne le timbre.
Les sanglots longs des violons de Stradivari
Enfin, dans une dernière expérimentation, les musiciens devaient distinguer les instruments anciens de ceux de notre époque. Sans réelle réussite, puisque le hasard n'aurait pas fait mieux. Comme quoi, même à l'oreille des spécialistes, la qualité sonore des stradivarius n'est pas évidente.
Certes, une étude menée sur dix sujets ne peut en aucun cas apporter des conclusions fermes, définitives et inébranlables. Néanmoins, bien que ce sujet mérite d'être plus amplement investigué, il se pourrait bien que les discours arguant de la supériorité musicale des stradivarius se basent sur les siècles de marketing autour des modèles du luthier italien, auquel il faut ajouter la subjectivité dans la perception de la musique. Il n'y a donc pas, dans ce cas, de vérité générale, l'essentiel étant que l'émotion des sonorités mélodieuses du violon soit partagée de l'orchestre au public.