Donna Strickland, prix Nobel de physique 2018, s'est réjouie que les femmes aient « fait beaucoup de chemin » depuis Maria Goeppert Mayer, précédente lauréate en 1963. Dans une anecdote, elle rappelle qu’elle avait cité dans sa thèse les travaux de Maria Goeppert Mayer croyant qu’il s’agissait d’un homme…

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    La Canadienne Donna Strickland, première femme prix Nobel de physique depuis 1963, s'est réjouie mardi que les femmes aient « fait beaucoup de chemin » depuis la précédente lauréate, Maria Goeppert Mayer, qu'elle avait citée dans sa thèse... en la prenant pour un homme. « Dès que j'en ai l'occasion, je parle de la dernière femme à avoir remporté un prix Nobel », a-t-elle raconté lors d'une conférence de presse donnée depuis l'université de Waterloo (Ontario) où elle enseigne. « Et tout d'abord, je dois admettre, désolée, que je l'avais en fait appelée "il" dans ma thèse. Quelqu'un a lu ma thèse et m'a dit "honte à toi, Donna", alors j'ai changé et mis "elle", a poursuivi la nouvelle lauréate. Je connaissais son travail, mais je ne savais pas que c'était une "elle"».

    En 1939, Maria Goeppert Mayer avait « prédit qu'un atome pouvait absorber deux photons », rappelle Mme Strickland. « C'est une femme qui a pensé à ça et qui a changé notre façon de faire de la science. Et pourtant, elle a simplement suivi son mari de poste en poste », a-t-elle ajouté. « Il est devenu professeur, est monté en grade et a travaillé comme chimiste à l'université. Elle avait le droit d'enseigner si elle le souhaitait, elle pouvait avoir un bureau, mais elle n'a pas été payée avant les années 1950. »

    La lauréate du prix Nobel de physique Donna Strickland, avec des étudiants de l'université de Waterloo (Ontario), le 2 octobre 2018. © Geoff Robins – AFP

    La lauréate du prix Nobel de physique Donna Strickland, avec des étudiants de l'université de Waterloo (Ontario), le 2 octobre 2018. © Geoff Robins – AFP

    Donna Strickland a travaillé avec Gérard Mourou

    « Donc évidemment, les femmes ont fait beaucoup de chemin », a insisté la nouvelle lauréate. « J'ai l'impression d'être payée de la même façon (que les hommes), depuis toujours, d'être traitée de la même façon. » Elle s'est dite « bouleversée » par sa récompense. « J'ai hâte d'en parler avec Gérard (Mourou) », son ancien professeur français, lui aussi couronné du prix Nobel pour leurs travaux sur la technique d'amplification des lasers. Donna Strickland et Gérard Mourou ont partagé le prix Nobel de physique avec l'Américain Arthur Askin, pour leurs recherches sur les lasers qui ont permis de développer des outils de haute précision utilisés dans l'industrie et la médecine.

    Le Premier ministre canadien Justin Trudeau a rendu hommage au travail de Donna Strickland. « Au nom de tous les Canadiens, je félicite Madame Strickland pour cette réalisation remarquable. Je la remercie d'inspirer d'autres femmes et des jeunes filles à rêver sans limites et à faire carrière dans le domaine de leur choix », a-t-il déclaré dans un communiqué.


    Prix Nobel : les femmes trop peu récompensées

    Article de Futura avec l'AFP paru le 11 décembre 2017

    Aucune femme parmi les Nobel 2017, mis en lumière ce 10 décembre à Stockholm (Suède) lors de fastueuses cérémonies. Aucune non plus en 2016 et une seule pour 20 récompenses dans toute l'histoire de ce prix prestigieux. Malgré une tendance au rééquilibrage à long terme, le bilan est très masculin. Interrogés, des membres de l'Académie royale des sciences apportent leur éclairage.

    Les prix Nobel pour les disciplines scientifiques (médecine, physique, chimiechimie), la littérature et l'économie sont décernés en Suède, tandis que celui de la paix l'est en Norvège, deux pays de Cocagne féministes qui s'enorgueillissent de guider les autres sur le chemin de l'égalité. Or, si le nombre de femmes nobélisées (48 au total) ne cesse d'augmenter depuis la première édition, passant de quatre lauréates entre 1901 et 1920 à 19 entre 2001 et 2017, celles-ci ne représentent, au terme de la saisonsaison 2017, qu'un peu plus de 5 % des 896 lauréats des deux sexes.

    Haut la main, l'économie recueille le bonnet d'âne devant les prix scientifiques. La littérature est largement une affaire d'hommes ; la paix fait un peu mieux. Des prix originels (celui d'économie a été institué en 1968), la physique et la chimie sont les plus misogynes, n'ayant récompensé respectivement que deux et quatre femmes. Paradoxe, cependant : la seule femme de l'histoire à avoir jamais été couronnée deux fois, Marie Curie, l'a été dans ces deux catégories, en 1903 et 1911.

    « C'est une déception, quand on prend du recul, de voir que davantage de femmes n'aient pas été primées », reconnaît le secrétaire perpétuel de l'Académie royale des sciences à Stockholm, compétente pour les prix de physique, chimie et économie. Göran Hansson l'assure : « Il n'y a pas de chauvinisme masculin substantiel dans les comités » de sélection Nobel, dont quatre (médecine, chimie, paix, littérature) sont présidés par des femmes.

    La proportion de femmes parmi les nobélisés est très faible, de 5 % en moyenne. Elle est de 2 pour 206 en physique et de 1 pour 79 en économie. © Simon Malfatto, AFP

    La proportion de femmes parmi les nobélisés est très faible, de 5 % en moyenne. Elle est de 2 pour 206 en physique et de 1 pour 79 en économie. © Simon Malfatto, AFP

    Les portes des laboratoires sont longtemps restées fermées aux femmes

    Pour lui, si les lauréates sont si rares, c'est d'abord parce que les portesportes des laboratoires leur sont longtemps restées fermées. Un effet pyramide confirmé par la physicienne Anne L'Huillier, membre de l'Académie royale des sciences, qui siégea au comité Nobel en 2010. « C'est complètement évident, surtout pour les matièresmatières "dures", moins pour les sciences de la vie », avance-t-elle.

    Le palmarès du prix de médecine, désigné par le prestigieux Institut Karolinska, n'est guère plus encourageant : 12 femmes sur 214 lauréats, soit 5,6 %, parmi lesquelles la Française Françoise Barré-Sinoussi, en 2008, pour la découverte du VIHVIH en 1983. Le prix de « Sciences économiques en mémoire d'Alfred NobelAlfred Nobel », financé par la Banque de Suède, est le cancre absolu avec une seule lauréate : l'Américaine Elinor Ostrom, en 2009. « Vous avez remarqué, c'est vrai, que nous sommes tous des hommes blancs, nous sommes aussi tous de vieux hommes blancs », a ironisé jeudi à Stockholm Richard Thaler, Nobel d'économie 2017.

    Et la littérature dans tout cela ? 14 poétesses ou romancières (12,3 %) seulement ont été couronnées. La tendance leur est cependant favorable puisque 36 % des prix depuis 2007 sont allés aux femmes. « Cela va dans le bon sens et rien ne dit que les statistiques ne peuvent encore s'améliorer. Elles le peuvent et le feront », a écrit sur son blogblog, Sara Danius, secrétaire perpétuelle de l'Académie suédoise. Cette dernière « ne court pas après les statistiques pour les statistiques. La seule chose dont l'Académie se préoccupe, c'est de qualité », a aussi souligné Sara Danius, empêtrée depuis des semaines dans les révélations #MeToo qui ont mis au jour les étroites relations entre l'Académie et le Français Jean-Claude Arnault, marié à une académicienne et accusé d'avoir harcelé, agressé ou violé de nombreuses jeunes femmes.

    Les choses changent peu à peu

    Le palmarès du Nobel de la paix est celui dans lequel les femmes sont les mieux représentées : 16 lauréates sur 104 personnes (15,4 %). Mais c'est encore loin, très loin de la parité. Une réalité qui reflète « la place des femmes dans la société au XXe siècle », selon Olav Njølstad, directeur de l'Institut Nobel norvégien. Mais, comme pour les autres prix, les choses changent peu à peu, avec six lauréates ces 15 dernières années. En 2011, le comité norvégien s'était même illustré en récompensant trois femmes conjointement, la présidente libérienne Ellen Johnson Sirleaf, sa compatriote Leymah Gbowee, et la Yéménite Tawakkol KarmanKarman, figure de proue du Printemps arabe.

    « Dans la duréedurée, c'est naturellement important que l'on soit passé d'un comité dominé par les hommes à un comité où l'on est à peu près à 50-50 (hommes-femmes) », relève Olav Njølstad.