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Ethno-archéologue au Credo (Centre de Recherche et de Documentation sur l'Océanie), Jean-Michel Chazine étudie les cultures polynésiennes anciennes. Ce qu'il nous raconte ici est une trouvaille inattendue, une de ces belles surprises de la vie d'un chercheur, comme celle dont il nous avait part il y a peu de temps, concernant de superbes peintures rupestres.
« Un concours de circonstances favorable vient de me permettre la découverte sur un atollatoll des Tuamotu (voir la carte au bas de cet article) d'une aire dédiée aux différentes techniques d'utilisation de la nacre et en particulier la fabrication des hameçons. C'est sur le motu (îlot corallien) situé juste de l'autre côté de la passe du village de l'atoll de Takaroa, au nord-ouest de l'archipelarchipel des Tuamotu, en Polynésie française, que je viens de faire une véritable pêchepêche miraculeuse (voir la photo 1).
Photo 1. Une série d'hameçons exceptionnellement variés. © JM Chazine
Alors que des difficultés pratiques m'avaient empêché de mettre en œuvre le programme prévu (notamment la fouille d'un four décrit localement comme « cannibale » par la tradition orale), j'ai entrepris de prospecter une zone pour laquelle les données faisaient encore défaut. A mon grand étonnement, au lieu de la structure socio-religieuse (un marae) à laquelle je m'attendais logiquement, apparurent des hameçons en nacre jonchant le sol dès la berge. Hameçons plus ou moins complets, préparations et préformes par dizaines et déchetsdéchets de débitage par centaines couvraient le sol sur une aire bien délimitée.
S'il n'est pas rare de collecter épisodiquement sur le sol des hameçons ou des fragments à diverses étapes de leur fabrication, il ne nous était pas encore arrivé de pouvoir collecter au même endroit à peu près toutes ces différentes étapes. Le fait de les trouver en surface et au même endroit correspond de facto à une synchronicité qui est donc elle-même particulièrement intéressante. Elle réduit les hypothèses d'évolution et d'adaptation, voire d'emprunts aux seules variantes qui ne sont pas présentes à cet endroit. Cela démontre que non seulement un grand nombre de formes d'hameçons pouvaient être utilisées simultanément par une même communauté, mais aussi que différentes chaînes opératoires pouvaient également être utilisées.
Photo 2. Des formes de préparation, c'est-à-dire des hameçons en début de fabrication. © JM Chazine
Le champ des connaissances des insulaires, rien qu'à Takaroa, et jusqu'à l'arrivée d'hameçons exogènesexogènes en métal, était donc aussi large que tout ce qu'on avait pu observer et déduire jusqu'à présent. Si influence, transfert de technologie ou emprunts il y a eu d'un atoll (ou groupe d'atolls) à l'autre, c'est bien avant qu'ils se sont produits. La collecte de surface du motu Fakatifarari, démontre qu'à peu près toutes les connaissances sur la fabrication et les diverses formes d'hameçons (donc des prises auxquelles ils sont destinés) étaient réunies.
Photo 3. Une série de préformes, ébauches des futurs hameçons. © JM Chazine
Il reste que les minimes variantes que l'on peut observer, tant dans les formes des préparations (voir la photo 2), c'est-à-dire les découpes élémentaires des nacres, que celles des préformes (voir la photo 3), puis des hameçons eux-mêmes, correspondent alors au coup de main, à la « patte » de l'artisan qui s'autonomise ainsi quelque peu par rapport à la forme invariante générale de l'hameçon. Cela avait déjà été observé sur les variantes des séries de « dépouilles » d'hameçons (voir la photo 4) mises au jour à Makemo en 2004, qui, tout en ayant une forme générale commune, présentaient leurs stigmatesstigmates personnels, individualisés par emplacements.
Photo 4. Des restes d'hameçons dont la variété des détails montre les styles personnels des artisans.
© JM Chazine
Cette découverte apporte ainsi des précisions importantes et déterminantes sur la variété des méthodes de fabrication des hameçons en nacre par les insulaires des Tuamotu juste avant l'arrivée des Européens et de leur technologie, il y a plus de 150 ans. »