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Le champignon atomique résultant de l'explosion du test Gerboise bleue, le 13 février 1962, dans le désert du Sahara, au sud-ouest de l'Algérie. © Aven
Le 13 février 1960, une bombe atomique « A », c'est-à-dire à fission nucléaire (méthode à implosion), explosait en plein air. Elle était française et ce n'était qu'un essai, baptisé Gerboise bleue, du nom de ces petits mammifèresmammifères sauteurs (il en existe plusieurs espècesespèces) qui vivent dans le désertdésert. Quant à la couleur bleue, elle symbolisait la France. Les essais suivants ont d'ailleurs été baptisés Gerboise blanche et rouge puis verte.
L'essai avait lieu dans le sud-ouest de l'Algérie - qui était alors française -, en plein Sahara, à environ 70 kilomètres de Reggane. La bombe avait été installée à 100 mètres au-dessus du sol et la puissance de l'explosion a atteint 70 kilotonnes selon les expérimentateurs du Centre Saharien d'Expérimentations Militaires (CSEM), soit le haut de la fourchette prévue (la puissance de la bombe d'Hiroshima est estimée entre 13 et 18 kT et celle de Nagasaki à 21 kT). Après les Etats-Unis, l'Union soviétique et le Royaume-Uni, la France devenait ainsi la quatrième puissance nucléaire. Elle pouvait pavoiser et ne s'en privait pas... Le « hourra pour la France » du Général de Gaulle restera célèbre.
En tout, quatre essais atmosphériques Gerboise ont été menés, les trois derniers étant bien moins puissants que le premier, provoquant une série de réactions internationales. Par la suite, les essais ont été transférés plus à l'est, sur la montagne In-Eker, dans le massif du Hoggar, au sud de Tamanrasset. Les explosions déclenchées au fond d'un tunnel souterrain creusé horizontalement dans la montagne, de 800 à 1.200 mètres de longueur.
Cinquante ans plus tard, l'anniversaire de l'essai Gerboise bleue ne se chante plus sur la musique de la fierté nationale. Au fil des années, la déclassification de ces dossiers a éclairé ces essais d'un jour nouveau. Il est indiscutable que des soldats français et des habitants de la région ont été gravement contaminés dans les jours et les années qui ont suivi.
Un dessin du site de Reggane au moment de l'essai Gerboise bleue, publié sur le site de l'Aven. (Cliquer sur l'image pour l'agrandir.) © Aven
Des données incomplètes
Peu de précautions ont été prises au moment des essais, Gerboise bleue étant d'ailleurs orienté vers l'étude des conséquences d'une explosion sur l'environnement immédiat. Si le CSEM a choisi la région de Reggane, c'est entre autre parce que la densité de population y est très faible. Mais elle est loin d'être nulle. Plusieurs milliers de militaires français, dont des appelés du contingent, travaillaient dans le camp installé à quelques dizaines de kilomètres de Reggane, un bourg regroupant à l'époque environ 2.000 habitants d'après l'AvenAven (Association des Vétérans des Essais Nucléaires). La région est aussi parcourue par les nomades, qui ont sillonné ces zones contaminées durant des années. Quant à l'étendue des zones affectées, les ventsvents du désert et de la stratosphèrestratosphère (atteinte par les particules les plus fines) la rendent très vaste.
Les retombées radioactives sur les environs ont été estimées mais les valeurs mesurées sont longtemps restées secrètes. Même les tirs souterrains de In-Eker en ont provoquées. Sur les treize explosions en tunnel, quatre ont officiellement généré des fuites de matériau radioactif. Lors de l'essai Beryl, le 1er mai 1962, la galerie s'est écroulée, libérant un nuagenuage radioactif dans l'atmosphèreatmosphère, qui a atteint les spectateurs de l'essai, parmi lesquels figuraient des ministres, notamment Pierre Messmer.
La confidentialitéconfidentialité entourant ces essais a freiné et même empêché à la fois la reconnaissance de ces effets et l'adoption de mesures de sécurité pour les populations locales et les militaires participant à l'expérience. « Le rapport annuel du CEA de 1960 montre d'ailleurs l'existence d'une zone contaminée de 150 km de long environ et les instructions remises aux participants de l'opération Gerboise bleue précisaient bien les conditions dans lesquelles on pouvait entrer et sortir de "la zone contaminée". Cela confirme bien que certaines régions proches du lieu du tir devaient receler une dose significative de radioactivité. » Ces remarques sont issues d'un rapport du Sénat de 1997.
Un documentaire réalisé juste après l'essai, intitulé La bombe française : le jour J à Reggane. « Seule, avec ses seuls moyens, la France a fabriqué SA bombe » conclut le commentateur. © Ina
Le débat sur les indemnisations commence
L'Aven réunit aujourd'hui les vétérans des essais algériens et polynésiens et veut faire reconnaître les maladies causées par l'exposition à la radioactivité. Les irradiationsirradiations sont incontestables. Il reste toujours des doutes, par exemple, sur le cas de 195 soldats qui auraient investi, pour entraînement, la zone qui venait d'être dévastée par l'explosion de l'essai Gerboise verte, le 21 avril 1961.
Les effets ont perduré des décennies puisque aucune décontamination n'a été effectuée par la France après les essais ni par l'Algérie lorsque ces territoires lui ont été rendus. Pire, aucune interdiction d'accès n'a été mise en place sur les sites contaminés avant... 2006. Selon Mohammed Bendjebba, président de l'Association algérienne des victimes des essais nucléaires (AAVEN), interrogé par l'AFP « la radioactivité ambiante [de certaines zones] est aujourd'hui de 22 fois supérieure aux normes internationales ».
En 2007, un comité franco-algérien a été mis en place pour évaluer les conséquences et surtout le nombre de personnes gravement irradiées. En janvier 2010 a été votée une loi portant sur l'indemnisation des victimes des 210 essais nucléaires français en Algérie et en Polynésie. Elle ne satisfait pas les associations de victimes, le litige portant sur les maladies imputables ou non aux irradiations. Le peu d'informations recueillies sur place à l'époque, l'implication de populations nomades mal dénombrées et la duréedurée de l'exposition rendent le débat très difficile...