À l’occasion du trentième anniversaire de la découverte de la grotte Chauvet, Futura met en lumière, grâce à Gilles Tosello, l’importance de ce site archéologique majeur. Car les nombreuses peintures et gravures qui ornent les murs de Chauvet ne sont pas de simples dessins. Elles véhiculent une histoire complexe, celle d’un peuple doté d’une puissante sensibilité artistique dépeignant avec finesse un monde animal dont ils faisaient partie intégrante.
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En pénétrant dans les salles immenses de la grotte en ce 18 décembre 1994, Jean-Marie Chauvet avait-il conscience qu'il venait de faire une découverte majeure qui a bouleversé, et bouleverse toujours, notre compréhension des peuples de la Préhistoire ? Car au-delà de la simple considération artistique, le millier de peintures qui décore les parois de cette grotte située à proximité du célèbre Pont d’Arc en Ardèche est un reflet puissant et encore énigmatique de ce que furent nos ancêtres.
Une histoire complexe racontée sur les murs d’une grotte
Considérée comme la « cathédrale du Paléolithique », la grotte de Chauvet nous transporte en effet plus de 36 000 ans en arrière, au cœur des sociétés de chasseurs-cueilleurs qui occupent alors le territoire européen. Elle nous révèle des hommes et des femmes à la fois très semblables à nous, et en même temps très différents. Semblables par leur incroyable talent artistique, qui révèle de fortes capacités cognitives, d'abstraction, de communication via des représentations symboliques, et de transmission des connaissances. Différents car l'ensemble des fresques représentées dans la grotte nous laisse entrevoir un rapport au monde qui n'est pas, ou plus, le nôtre. Un monde dans lequel l'humain se positionnait à part entière au sein du monde animal... et non au-dessus.
Les dessins de la grotte Chauvet véhiculent ainsi une histoire qui est la nôtre et que pourtant nous avons encore du mal à comprendre. Que représentaient ces dessins d'animaux ? Pourquoi ont-ils été peints ici, dans cette grotte ? Dans quel but ?
Une conservation exceptionnelle
Autant de questions que ne cessent encore de se poser les scientifiques comme Gilles Tosello, préhistorien spécialiste de l'art pariétal et lui-même artiste. « Je travaille sur les peintures de la grotte Chauvet depuis 1998 et pourtant, chaque nouvelle visite est toujours aussi impressionnante. Et l'on en ressort à chaque fois avec de nouvelles connaissances... et de nouvelles questions », explique-t-il.
Il faut dire que la conservation extraordinaire des peintures et des autres traces laissées par le passage des humains et des animaux, il y a plusieurs dizaines de milliers d'années, force l'admiration. Scellée par des éboulementséboulements successifs, la grotte est en effet restée en sommeilsommeil pendant près de 30 000 ans, permettant de préserver ce témoignage du passé de façon spectaculaire et totalement inédite. Les peintures, empreintes et autres marques d'une présence humaine et animale y sont ainsi d'une fraicheur presque troublante.
Extraordinaire, troublante, intrigante... Voilà certainement les mots qui caractérisent le plus la grotte Chauvet. Une atmosphèreatmosphère que Gilles Tosello a tenté de reproduire sur les parois du fac-similé que peuvent visiter les touristes (Chauvet-2), l'accès à la grotte étant strictement réservé aux scientifiques, et encore, dans des conditions très restreintes afin de préserver au maximum ce joyau de la Préhistoire.
Une maturité symbolique certaine et une technique artistique très poussée
Car, si cette réplique du site a été réalisée pour permettre à tout le monde d'avoir accès à ce témoignage du passé, le chercheur et artiste a vécu sa réalisation comme une expérience unique et une occasion de comprendre le cheminement artistique des Homo sapiensHomo sapiens qui ont pénétré dans cet univers souterrain.
« Il faut se rendre compte que si cette grotte offrait au premier abord un site totalement adéquat pour la réalisation de peintures, grâce à son volume gigantesque et ses grandes parois calcairescalcaires, Sapiens ne s'est pas contenté de réaliser de simples dessins. Les individus qui se sont succédé devant ces parois pendant près de 6 000 ans ont fait preuve d'une véritable démarche artistique, étonnamment complexe et qui dévoile la présence d'une maturité symbolique certaine ».
En d'autres termes, il y a 36 000 ans, Sapiens, muni de son morceau d'hématitehématite ou de charboncharbon, ne s'est pas contenté de dessiner des graffitis de manière opportuniste.
« On remarque tout d'abord qu'il y a eu une préparation minutieuse de la paroi, afin d'enlever la couche d'argileargile qui recouvre le calcaire et empêche de réaliser des tracés fins et précis. Les artistes de l'époque, car il s'agit de véritables artistes au même titre que ceux d'aujourd'hui, ont veillé à ce que leurs œuvres ressortent clairement sur un fond blanc. Car l'objectif n'était pas seulement de réaliser un dessin, mais de raconter une histoire ».
Et il faut bien admettre que 36 000 ans plus tard, cette histoire est toujours aussi vivante et nous transporte dans un monde fait de proies et de prédateurs. La minutie des détails, le souci apporté aux regards et à la posture des animaux rendent ce récit incroyablement vivant et captivant. Le spectateur est d'ailleurs pris à partie... de manière totalement intentionnelle.
L’Homme représenté sous forme animale pour symboliser le lien qui l’unit à son environnement ?
« Sur le panneau dit des LionsLions, on voit plusieurs fauves regardant intensément un groupe de bisons qui semble prendre la fuite. Mais un peu plus loin, quatre têtes de bisons ont été représentées sur une saillie de la paroi, semblant ainsi regarder directement le visiteur. Comme si ce dernier prenait part à la partie de chasse. Cela reste une interprétation, mais on peut penser que les lions, qui étaient alors les plus redoutables prédateurs, sont en réalité une représentation de l'Humain. »
Une hypothèse qui pourrait expliquer pourquoi la figure humaine est si peu présente dans les représentations de la grotte Chauvet. L'Homme serait ainsi bien là, mais pas sous sa forme habituelle. « Il est très probable que l'Homme soit représenté dans les fresques de Chauvet sous une forme animale et tout particulièrement d'un prédateur, ce qui nous éclaire sur la façon dont se voit Sapiens au sein du monde animal », explique le chercheur.
Des dessins dont nous ne mesurons pas encore toute la complexité et la signification
Mais ce panneau des Lions nous éclaire encore sur un autre point. Car derrière l'observateur, dans son dosdos, se trouve une représentation bien intrigante. Le bas d'un corps féminin a été tracé sur un pendant calcaire à la forme phallique. Cuisse et triangle pubien sont bien visibles, mettant ainsi en avant le sexe d'une femme. Mais le haut du corps est remplacé par une tête de bison et celle d'un lion. Pour Gilles Tosello, le panneau des Lions et la Vénus forment ainsi une composition artistique complexe qui ne doit rien au hasard et qui peut nous aider à comprendre la signification des représentations de la grotte Chauvet.
« On ne saura jamais exactement qu'elle est l'histoire que racontent les peintures de cette grotte. Mais ce qui est certain, c'est qu'elle véhicule un ou des mythes dans lesquels humains et animaux sont intimement liés, au sein d'un grand cycle de la vie. Pour vivre et se reproduire, l'Homme a besoin de chasser. Mais par les représentations animales, et notamment par cette VénusVénus, il rendait ainsi hommage à ses proies. » Vie et mort se retrouvent ainsi mêlées. Proies et prédateurs sont nécessaires pour donner la vie.
Un site hautement symbolique où des générations d’artistes se sont succédé pendant 6 000 ans
Quelle que soit l'interprétation qu'on donne aux peintures qui ornent la grotte Chauvet, on ne peut que s'entendre sur le fait que ce lieu devait revêtir une importance hautement symbolique pour les peuples de la Préhistoire qui se sont succédé dans la région. Durant 6 000 ans, un temps difficilement concevable aujourd'hui, des générations d'artistes sont ainsi entrées dans cette cathédrale souterraine, se nourrissant des fresques déjà présentes et les implémentant en prenant soin de ne pas dénaturer leur message. La continuité du stylestyle artistique sur un temps si long révèle de plus l'existence d'un mode de transmission efficace au sein de ces sociétés.
Des sociétés qui gardent encore pourtant beaucoup de mystères. Car, comme le souligne le chercheur, « cette grotte est d'une complexité inouïe et elle a encore de très nombreux détails à nous révéler, dont nous prenons conscience au fur et à mesure ».
Si des générations d'artistes se sont succédé dans cette grotte, il faudra, c'est certain, plusieurs générations de chercheurs pour en comprendre le message !