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La reconstitution numérique du bracelet proposé par Mohamed Ben Tkaya (LTDS). © Obsidian Use Project Archives
Des chercheurs de l'Institut français d'études anatoliennes d'Istanbul (IFEA, CNRS/MAEE) et du Laboratoire de tribologie et de dynamiques des systèmes (LTDS, CNRS/école centrale de Lyon/école nationale d'ingénieurs de Saint-Étienne) ont analysé le plus ancien bracelet en obsidienne (du verre volcanique riche en silicesilice) recensé à ce jour, découvert dans les années 1990 sur le site turc d'Aşıklı Höyük. En étudiant la surface de l'anneau et ses microreliefs avec des méthodes high-tech développées par le LTDS, les chercheurs ont révélé l'étonnante technicité des artisans du VIIIe millénaire avant J.-C. Une maîtrise impressionnante pour la Préhistoire récente, digne de nos techniques de polissage actuelles. Ces travaux publiés dans le Journal of Archaeological Science de décembre 2011 éclairent les sociétés du Néolithique, des communautés encore très énigmatiques.
Le bracelet en obsidienne étudié, daté de 7.500 avant J.-C., est unique. Il s'agit du premier témoin d'un artisanat de l'obsidienne qui n'a connu son essor que plus tard aux VIIe et VIe millénaires av. J.-C., un artisanat qui a par ailleurs produit toutes sortes d'objets de prestige et notamment des vaisselles et des miroirs. Présentant une forme complexe et un épaulement central singulier, il mesure 10 cm de diamètre et 3,3 cm de large. Découvert en 1995 sur le site exceptionnel d'Aşıklı Höyük en Turquie et exposé depuis au Musée archéologique d'Aksaray, cet anneau a été étudié en 2009 après la reprise des fouilles par Mihriban Özbaşaran, professeur à l'université d'Istanbul au département de Préhistoire.
Le bracelet en obsidienne d'Aşıklı Höyük. a : forme et dimensions, b : symétrie de l'objet. © Obsidian Use Project Archives
La haute technologie moderne pour étudier la hi-tech néolithique
Laurence Astruc, chercheuse CNRS à l'Institut français d'études anatoliennes d'Istanbul, et ses collègues l'ont analysé avec des technologies informatiques très puissantes développées par Hassan Zahouani (Enise) et Roberto Vargiolu (ECL), chercheurs au LTDS (CNRS/école centrale de Lyon/école nationale d'ingénieurs de Saint-Étienne). Mises au point pour l'industrie afin de caractériser les « effets peau d'orangepeau d'orange » sur les tôles de voituresvoitures peintes, ces méthodes dites d'analyse multiéchelle de topographie de surface ont été adaptées à l'étude des microreliefs sur les objets archéologiques. Avec un but : déterminer toutes les opérations réalisées sur leur surface.
Appliquées au bracelet, ces méthodes ont révélé que l'objet avait été produit dans le cadre d'un artisanat ultraspécialisé. Les analyses réalisées ont montré une régularité presque parfaite du bracelet. La symétrie de l'épaulement central est extrêmement précise, au degré et à la centaine de micromètresmicromètres près. Ce qui laisse penser que les artisans de l'époque ont utilisé des patrons pour contrôler sa forme lors de sa fabrication. La finition de la surface du bracelet - très régulière, à l'aspect de miroir - a nécessité des techniques de polissage complexes permettant des qualités de poli à l'échelle du nanomètre, dignes de celles de nos lentilleslentilles de télescope.
Réalisés en collaboration avec l'université d'Istanbul sous la direction de Laurence Astruc, ces travaux ont été financés par l'Agence nationale de la recherche dans le cadre du programme « Obsidiennes, pratiques techniques et usages en Anatolie » (ANR 08-Blanc-0318). Dans ce programme, le bracelet d'Aşıklı Höyük est le premier objet à être étudié parmi une soixantaine d'autres polis en obsidienne.
En collaboration avec l'université de Manchester et avec le British Museum, l'équipe de Laurence Astruc analyse désormais des objets de prestige découverts sur les sites Halaf de Domuztepe en Anatolie centro-orientale et d'Arpachiyyah en Irak.