L'alimentation mondiale pose question. Pourrons-nous par exemple tous manger en 2050 ? Jean-Louis Rastoin, directeur de la chaire Unesco en alimentations dans le monde de Montpellier SupAgro, s’est confié à Futura-Sciences. Cet expert nous a d’abord dressé un bilan désastreux de la situation actuelle, avant de se montrer plus optimiste sur notre avenir… si d’importants changements sont opérés par les acteurs des filières agroalimentaires, les politiques et bien sûr, les consommateurs.
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- Space food, viande in vitro... bientôt dans notre assiette ?
D'ici 2050, la Terre devrait abriter plus de 9 milliards d’habitants... qu'il faudra nourrir. Pour certains, cette évidence ne devrait pas poser problème si d'importants efforts sont entrepris. Mais pour d'autres, cette situation serait problématique. Les arguments avancés sont alors variés et divers, mais il y a en a un qui revient régulièrement : l'agriculture ne suivra pas !
Si les idées ne manquent pas pour pallier ce problème, elles partent dans toutes les directions. Certains voudraient s'affranchir des élevages en produisant de la viande in vitro. D'autres envisagent plutôt de construire des fermes verticales à la périphérie des villes car les surfaces agricoles pourraient manquer. Enfin, un grand nombre de spécialistes sont plus pragmatiques et estiment simplement qu'il suffirait d'améliorer nos modes de production agricole, tout en développant de nouveaux modèles agroéconomiques.
Ces avancées cachent une autre question : quelle évolution notre alimentation va-t-elle suivre d'ici 2050 ? Futura-Sciences a contacté Jean-Louis Rastoin pour trouver des éléments de réponse. Agronome et économiste à Montpellier SupAgro, il préside également la chaire en alimentations du monde labellisée par l'Unesco. Il est par ailleurs l'auteur, avec Gérard Ghersi, d'un ouvrage intitulé Le système alimentaire mondial (éditions Quæ).
Un humain sur deux souffre de malnutrition
Mais avant même d'aborder la question du futur, regardons la situation actuelle de l'alimentation dans le monde. Le bilan dressé par Jean-Louis Rastoin est plutôt désastreux. « Environ 1 milliard de personnes sont en sous-nutrition calorique. À cela s'ajoute 1 milliard d'êtres humains en carencecarence d'oligoélémentsoligoéléments (vitaminesvitamines, certains métauxmétaux, etc.). L'OMSOMS recense approximativement 1,5 milliard d'individus en surpoidssurpoids, ce qui entraîne des pathologies (obésitéobésité, maladies cardiovasculairesmaladies cardiovasculaires, certains cancerscancers et diabètediabète de type 2). » Le calcul est vite fait : 3,5 milliards de personnes souffrent de malnutrition sur la planète... soit près d'un habitant sur deux.
Les raisons sont complexes et nombreuses. « L'insuffisance des revenus et de l'éducation explique beaucoup cette situation. Une étude faite à New York montre que l'on peut presque parfaitement superposer la carte de la pauvreté et celle de l'obésité. » L'offre alimentaire est également pointée du doigt. « L'aliment est considéré par la plupart des politiques et des hommes d'affaires comme un bien banal pouvant être industrialisé sans porter préjudice. Or, c'est totalement faux. » Malheureusement, les produits développés dans cette optique contiennent systématiquement trop de sucresucre, de sel et de corps gras. « Ces trois excès et l'insuffisance d'exercices physiques favorisent les maladies non transmissibles d'origine alimentaire. »
Un problème plus socioéconomique s'ajouterait à ces deux causes : « l'offre alimentaire n'arrive pas en quantité et qualité suffisantes, ou alors à des prix inaccessibles, dans les pays en voie de développement ». Elle serait donc mal répartie à l'échelle de la planète malgré l'existence de ressources globalement suffisantes.
Des terres potentiellement cultivables en abondance
Face à cette situation, notre avenir sera-t-il forcément sombre ? Pas obligatoirement, selon Jean-Louis Rastoin. « Plusieurs études le confirment, on peut nourrir 9 milliards de personnes à l'horizon 2050. Les potentiels en surfaces agricoles et en rendement sont largement suffisants. » Environ 1,5 milliard d'hectares de terre seraient actuellement cultivés. D'après des estimations récentes, ce chiffre pourrait augmenter de 30 %, tout en tenant compte de l'emprise croissante des villes et des infrastructures industrielles et de communication sur les champs. « Mais le problème de la répartition de l'alimentation mondiale va rester entier si rien de plus n'est fait. Il ne suffit pas d'augmenter la production, il faut aussi la réorienter, par exemple en stimulant le développement agricole là où l'on en a besoin, dans les pays du Sud, tout en respectant l'environnement. »
Nous ne manquerons donc pas de nourriture en 2050, mais à une condition : le modèle économique en cours doit changer. « Il faut modifier nos valeurs et revenir aux fondamentaux. L'alimentation répond à des besoins biologiques, mais aussi culturels et sociaux. À partir de là, il faut reconstruire ». Le système agroalimentaire actuel fondé sur le profit et l'individualisme est bien sûr visé. Jean-Louis Rastoin propose ainsi de développer des modèles basés sur la proximité (filières courtes, usines de taille modeste, etc.) mettant en valeur les matières agricoles produites localement.
La France et l'Union européenne ont déjà partiellement franchi le pas grâce à la création de labels, comme l'AOP ou l'IGP. Mais les politiques doivent aller au-delà, accentuer leurs efforts et pourquoi pas mettre en place des programmes d'éducation alimentaire adaptés « de la maternelle à l'université du troisième âge ». Les publicités génériques, ne mettant pas de marque en avant, constitueraient également un bon outil de sensibilisation. Si tous ces efforts sont entrepris, notre alimentation future sera probablement plus saine et plus conviviale.
La science a un rôle à tenir… mais sans dérive
La recherche scientifique aura également son rôle à jouer, notamment pour développer des systèmes agricoles plus diversifiés et parvenant à faire cohabiter les cultures, les animaux et les milieux naturels. « Du point de vue de la recherche, on a tous les outils. Les investissements ne doivent cependant pas être faits sans prendre en compte les contraintes du développement durable (gaz à effet de serregaz à effet de serre, pollution, etc.). Il ne faut pas non plus transposer dans les pays du Sud les méthodes utilisées dans le passé en France (intensification agrochimique des cultures), même si elles nous ont fortement aidés. »
Les recherches de demain devront également éviter certaines dérives et surtout prendre en compte un paramètre souvent négligé : l'équité sociale. Les gisementsgisements d'emplois doivent être préservés. Près de 500 millions d'agriculteurs nourrissent la population mondiale. Or, si l'on généralisait le modèle agroindustriel actuel, seules 500.000 entreprises agricoles exploitant chacune 4.000 hectares de terre suffiraient pour alimenter 9 milliards d'humain. Mais que deviendraient alors les paysans du monde ?
Ce « détail » a été négligé par les personnes souhaitant développer des fermes verticales urbaines ou la production de viande in vitroin vitro. La bonne solution consisterait plutôt à créer de nouvelles variétés de plantes pouvant par exemple mieux supporter des périodes de sécheressesécheresse pour affronter le changement climatiquechangement climatique en marche ou de nouvelles techniques permettant de limiter la dégradation des sols. Le développement de riz capable de pousser sur des terrains trop salés en est un bon exemple. Il permettra aux agriculteurs japonais de réutiliser les 20.000 hectares de terres agricoles inondés lors du tsunamitsunami.
Notre avenir alimentaire peut donc être regardé avec espoir, mais à une condition : les agriculteurs, les industriels, les politiques et les consommateurs vont devoir faire de nombreux efforts de changement sur le long terme. Le mot de la fin revient à Jean-Louis Rastoin : « la terre ne manque pas, c'est plutôt la volonté politique de faire les choses de manière durable et responsable qui manque ».