En fouillant dans une grotte du sud de l’Australie, des archéologues ont découvert dans des sédiments de plus de 10 000 ans des traces de ce qui semble être le plus ancien rituel encore en pratique aujourd’hui. Il aurait été transmis de génération en génération au sein du peuple aborigène depuis la fin du dernier âge glaciaire !
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À la fin du XIXe siècle, un ethnographe nommé Alfred Howitt se passionne pour les pratiques rituelles du peuple aborigène GunaiKurnai vivant dans le sud-est de l'Australie. Il documente ainsi l'existence de « mulla-mullung », sortes de sorciers pratiquant la médecine et différents rituels d'ensorcellement. Ses récits relatent que les GunaiKurnai allaient rendre visite aux mulla-mullung dans des grottes isolées pour jeter un sort, ou au contraire guérir de l'envoûtement un individu.
Des cheveux, un vêtement ou un objet appartenant à la victime étaient attachés au bout d'un bâton enduit de graisse humaine ou animale. Ce bâton était planté dans le sol devant un petit feu de boisbois. Le sorcier se mettait alors à chanter son charmecharme jusqu'à ce que le bâton finisse par tomber. Le rituel était ainsi terminé. Alfred Howitt indique, dans son témoignage, que cette pratique existe encore au moment où il réalise ses observations et que la transmission de cette culture se fait de manière orale de génération en génération.
Il est cependant certainement loin de se rendre compte que ce rituel se perpétue ainsi depuis 12 000 ans.
La preuve de pratiques rituelles similaires datant du dernier âge glaciaire !
C'est en étudiant la grotte de Cloggs qu'une équipe de chercheurs a compris que ce rituel était certainement l'un des plus anciens au monde. Sur l'invitation de représentant du peuple aborigène GunaiKurnai, les archéologues ont pu en effet réaliser des fouilles dans cette grotte identifiée comme un lieu de pratique du mulla-mullung par les précédents ethnographes.
En 2020, les excavations dans le fond de la grotte vont ainsi laisser apparaître, en deux endroits, des traces de cendres accompagnées d'un long bâton. La concordance avec le récit du mulla-mullung est frappante et suggère que la pratique est bien plus ancienne qu'on ne le pensait jusqu'à présent. Mais les chercheurs ne sont pas au bout de leurs surprises. La datation des sédiments révèle que les deux foyers ont respectivement… 10 000 et 12 000 ans !
Deux traces d'anciens foyers accompagnés à chaque fois d'un bâton ont été retrouvées dans la grotte de Cloggs en Australie. Le site est connu pour avoir été un lieu rituel du peuple aborigène GunaiKurnai. Les deux foyers datent de 10 000 et 12 000 ans. © David et al. 2024, Nature human behaviour
Une transmission orale efficace sur 500 générations
Ces résultats, publiés dans la revue Nature human behaviour indiquent que ce rituel était donc déjà réalisé à la fin du dernier âge glaciaire dans cette région d'Australie, de manière très similaire à la façon dont il était pratiqué à la fin du XIXe siècle. L'analyse du bâton a en effet révélé qu'il avait bien été enduit de graisse. Ces objets retrouvés sur le site, vraisemblablement enfouis très rapidement après leur utilisation, sont d'ailleurs dans un état de conservation exceptionnel qui les place dans les plus vieux artefacts en bois connus à ce jour.
Cette étude montre l'incroyable efficacité de la transmission orale au sein des peuples aborigènes, qui peuvent ainsi perpétuer des rites ou un savoir sur plus de 500 générations ! Il faut noter que la culture aborigène possède de nombreuses histoires qui pourraient prendre leur source dans la survenue d’événements pouvant dater de plusieurs dizaines de milliers d'années. C'est le cas du mythe fondateur du peuple Gunditmara relatant vraisemblablement l'éruption du volcanvolcan Budj Bim il y a 37 000 ans, ou encore l'histoire du peuple Palawa qui vécut une terrible montée des eaux ayant mené à l'inondationinondation du pont terrestre qui reliait l'Australie à la Tasmanie il y a 12 000 ans.