Pour ce nouveau chapitre du Cabinet de curiosités, nous explorons le mystère des pierres de soleil, que les Vikings auraient utilisées pour se repérer en mer. Déployez la voile, souquez les artémuses, et partons ensemble pour un nouveau voyage !
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Lorsque l'on pense aux premiers Européens ayant posé le pied sur le continent américain, les noms de Christophe Colomb ou d'Amerigo Vespucci viennent habituellement à l'esprit. Mais, en 1960, l'archéologue Anne Ingstad et son mari explorateur Helge réalisent une découverte exceptionnelle à l'AnseAnse aux Meadows, un bras de verdure bordé d'océan sur la côte du Newfoundland. Sur place, des monticules de terre, des fragments de boisbois et des rivets de métal écrivent une histoire bien différente de celle que l'on enseigne dans les livres. Ces vestiges sont les témoins d'une colonie viking établie au Canada il y a plus de 1.000 ans, un demi-millénaire avant l'arrivée des conquistadors.
Les Vikings, peuple de navigateurs
Si l'on se souvient surtout de l'Empire romain, des colonies britanniques ou des invasions d'Attila le Hun, il ne faut pas pour autant oublier que les VikingsVikings étaient eux-mêmes de grands conquérants. Loin de se cantonner à la seule Scandinavie, ils envahissent - et parfois colonisent - non seulement l'Amérique du Nord, mais aussi la France, l'Espagne, l'Italie, le Groenland, la Russie, le pourtour de la mer Noiremer Noire ou encore le nord de l'Afrique. Enfant, je découvrais avec surprise que parmi les plus anciens vestiges mis au jour à Melun - préfecture de la Seine-et-Marne, au sud de Paris - se trouvaient les artefacts d'envahisseurs Vikings venus piller la ville au IXe siècle. Leur empreinte rayonne bien au-delà de la terre qui les a vu naître et leur influence sur la culture européenne est indéniable.
Parmi tous les modes de transport disponibles à l'époque, un en particulier a la faveur de cette fière et redoutable civilisation. Qu'il serve au voyage, au commerce ou à la conquête, le navire est au centre de la culture scandinave depuis des millénaires. Il y bénéficie d'un statut sacré, jouant un rôle important dans les cérémonies religieuses et les rites funéraires depuis au moins l'âge de fer nordique (au VIe siècle avant notre ère). Les Vikings sont donc un peuple de l'eau, capable de voyager sur d'immenses distances grâce à d'excellents talents de navigation, mais également grâce à une avancée technologique pour le moins étonnante : la découverte de la pierre de soleil.
La pierre de soleil : légende ou réalité ?
La pierre de soleil (sólarsteinn)) fait son apparition dans les manuscrits médiévaux à partir du XIIIe siècle. On y parle d'un minéralminéral fort utile, capable de révéler la position de l'astre solaire à travers les plus épais nuagesnuages, une aubaine pour le marin contraint de traverser des milliers de kilomètres à travers le cercle polairecercle polaire. Si les sources les plus anciennes peuvent amener les historienshistoriens à penser que l'objet relève principalement de l'allégorie, l'existence de la pierre est néanmoins bel et bien attestée par les inventaires des églises allemandes et islandaises aux XVIe et XVe siècles ; mais ni sa composition ni son apparence n'y sont clairement détaillées. Perdu au fil de l'Histoire, l'objet est resté un mystère des siècles durant pour les physiciensphysiciens, les historiens et les archéologues.
La lumière derrière le mystère
C'est en 1967 que l'archéologue danois Thorkild Ramskou propose une nouvelle piste. Plus qu'une simple pierre transparente, le sólarsteinn serait un minéral polarisant : de la cordiérite ou du spathspath d'Islande, toutes deux dotées de propriétés optiques bien particulières. La cordiérite est pléochroïque : en fonction de l'angle auquel la lumière la traverse, elle apparaîtra d'une couleurcouleur ou d'une autre (bleue, verte, jaune, rouge / rose, pourpre / violet ou brun / orange). Quant au spath, il est pour sa part biréfringent : l'indice de réfractionindice de réfraction ne dépend pas seulement du matériaumatériau mais également de la direction de polarisation de l'onde lumineuse. Il est donc ainsi possible, en orientant l'un ou l'autre de ces minérauxminéraux vers le ciel, de déterminer l'angle d'incidenceincidence du soleil pour en trouver la position.
En 2011, une étude réalisée par le physicien français Guy Ropars et son équipe examine en détail les qualités du spath d'Islande et conclut avec enthousiasme : « En effet, lorsqu'il est simplement tourné, un tel cristal biréfringent peut dépolariser complètement, au point dit d'isotropieisotropie, tout état partiellement polarisé de la lumière, ce qui nous permet de deviner la direction du Soleil. [...] Une précision de quelques degrés peut être atteinte même dans des conditions crépusculaires sombres. La découverte récente et passionnante d'un tel spath d'Islande dans le navire élisabéthain d'Aurigny qui a coulé deux siècles avant l'introduction de la polarisation de la lumière en optique pourrait conforter l'utilisation du cristal de calcitecalcite à des fins de navigation. »
Le mystère est-il donc résolu pour de bon ? Pas encore. Parce que la science est une affaire rigoureuse, les archéologues réservent leur jugement jusqu'à la découverte d'une épave ou d'une ancienne colonie contenant les fameux cristaux afin de confirmer leur nature et leur usage. Mais il ne faisait nul doute que, pour sa simple capacité à fasciner ainsi les scientifiques, une pierre qui aurait aidé les Vikings à se diriger dans leurs périples nautiques méritait de figurer dans notre Cabinet de curiosités.
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