Le graphène, matériau aux propriétés électroniques et physiques exceptionnelles, est à l’heure actuelle coûteux et difficile à produire avec une qualité élevée. Paolo Samorì, chercheur à l’Université de Strasbourg, nous détaille son étonnante trouvaille pour produire du graphène écologique et bon marché.


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    Le graphène, dans sa forme cristallineforme cristalline parfaite, est cent fois plus résistant que l'acier et très léger. Il est l'un des meilleurs conducteurs d'électricité et de chaleur existants. Mais sa fabrication demeure délicate et coûteuse. Avec son équipe, Paolo Samorì, chercheur à l'Université de Strasbourg, a inventé une méthode écologique et peu coûteuse pour produire du graphène de haute qualité à grande échelle.

    Inspirée de l’épilation à la cire, le procédé reprend le principe de la méthode au scotch, qui consiste à exfolier petit à petit des feuillets de graphènegraphène jusqu'à obtenir une couche d'un atome d'épaisseur. Un processus laborieux dont les chercheurs se sont affranchis grâce à leur étonnante découverte à base de sucresucre et de citron, les ingrédients principaux de leur cire persane « maison ». Paolo Samorì nous détaille son principe et ses applications.

    Paolo Samorì, chercheur à l'Institut de Science et d'Ingénierie Supramoléculaires (I.S.I.S.) à Université de Strasbourg, CNRS
    Paolo Samorì, chercheur à l'Institut de Science et d'Ingénierie Supramoléculaires (I.S.I.S.) à Université de Strasbourg, CNRS

    Quelles sont les méthodes actuelles pour produire du graphène et quelles sont leurs limites ?

    De nombreuses méthodes ont été testées pour produire ou isoler des feuillets de graphène de haute qualité. Celles dites « bottom-up », comme le dépôt chimique en phase vapeur (CVD) et la croissance épitaxiale, permettent d'obtenir du graphène avec peu de défauts mais elles sont limitées par une production à petite échelle et coûteuse. D'autres techniques dites « top-down », basées sur le clivageclivage mécanique du graphite par exfoliationexfoliation permettent de produire du graphène à plus grande échelle et à moindre coût mais de qualité moins élevée et avec des solvantssolvants organiques toxiques et chers, ce qui empêche leur industrialisation.

    Comment vous est venue l’idée d’utiliser de la cire pour produire du graphène ?

    Nous nous sommes inspirés d'une technique ancestrale d'épilation à la cire apparue en Perse près de deux millénaires avant J.-C. afin d'obtenir des feuillets de graphène à partir de graphite. La cire que nous avons utilisée est bon marché, non toxique et facile à éliminer (elle est soluble dans l'eau). Elle peut même être préparée à la maison à partir de sucre, de jus de citron et d'eau, un laboratoire de chimiechimie n'est pas nécessaire !

    Comment ça fonctionne concrètement ?

    Cela consiste à exfolier du graphite non pas à l'aide d'un ruban adhésif mais d'une cire. Nous avons utilisé un laminoirlaminoir composé de trois rouleaux tournant en sens inverse l'un de l'autre et à des vitessesvitesses différentes. Cette machine qui permet de mélanger, disperser ou homogénéiser des matériaux est, par exemple, utilisée dans l'industrie pour produire du dentifrice et des produits cosmétiques. Les rouleaux sont enduits d'une fine couche de cire afin de les rendre collants, ce qui permet d'exfolier le graphite en continu.

    La cire collante est déposée sur des rouleaux tournant en sens inverse l’un de l’autre. Ces derniers vont ensuite exfolier le graphite en continu pour obtenir une pâte visqueuse de graphène concentré remarquablement stable et de haute qualité. © Paolo Samorì, Université de Strasbourg et CNRS
    La cire collante est déposée sur des rouleaux tournant en sens inverse l’un de l’autre. Ces derniers vont ensuite exfolier le graphite en continu pour obtenir une pâte visqueuse de graphène concentré remarquablement stable et de haute qualité. © Paolo Samorì, Université de Strasbourg et CNRS

    Quels sont les avantages ?

    Cette méthode emploie des matièresmatières premières bon marché et ne nécessite pas d'étape de purification par centrifugation ou sédimentationsédimentation, cela assure un coût mais aussi un temps de production avantageux. Elle peut être facilement appliquée à grande échelle et automatisée. Grâce à sa viscositéviscosité élevée, la pâte de graphène obtenue combine concentration et stabilité élevées : elle se conserve plus d'un an grâce à sa texturetexture épaisse et empêche la formation de « flocons » de graphène que l'on observe en phase liquideliquide.

    Quelles sont les principales applications ?

    Tous les secteurs où des feuillets de graphène de haute qualité sont demandés, comme celui des nanotechnologiesnanotechnologies, ou pour le renforcement des composites ou encore le stockage d'énergieénergie (batteries et micro-supercondensateurs).

    Paolo Samorì et son équipe travaillent à présent à optimiser le procédé. La machine pourra par exemple être adaptée à chaque utilisation en ajustant certains paramètres comme la température ou la vitesse des rouleaux. L'étude a été publiée le 29 mars dans la revue Chemical Communications.