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En 1936, Edwin HubbleEdwin Hubble a publié un célèbre ouvrage intitulé le Royaume des Nébuleuses (The Realm of the Nebulae). Il y présentait les résultats de ses travaux, obtenus pendant les années 1920, et qui lui avaient permis de révolutionner notre vision de l'univers. Hubble avait montré que plusieurs objets ressemblant à la Voie lactée, telle la galaxie d'Andromède, n'en faisaient pas partie et qu'un certain nombre des objets célestes que l'on avait appelés des nébuleuses étaient en fait des univers-îles semblables à notre Galaxie, comme Kant l'avait proposé presque deux siècles plus tôt. Dans cet ouvrage, Hubble exposait également une relation entre la distance des galaxies et leur décalage spectral (mais il est plus juste de dire qu'il s'agissait d'une découverte de Lemaître), fournissant du même coup un des piliers de la théorie du Big BangBig Bang.
Probablement moins connu du grand public est le fait que Hubble avait aussi construit une classification des galaxies, la séquence de Hubble, qui, selon lui, suggérait une évolution menant des galaxies dites elliptiques aux galaxies dites spirales, qu'elles soient barrées ou non. Bien que l'idée d'évolution soit correcte, l'hypothèse d'une naissance des spirales à partir des elliptiques est fausse.
Une formation hiérarchisée pour les structures galactiques
Les observations de collisions entre des galaxies spirales et l'étude des interactions entre galaxies conduisent plutôt à l'idée que les galaxies elliptiques, pauvres en gazgaz et en poussières, sont le résultat final de fusionsfusions de galaxies spiralesgalaxies spirales de grandes tailles ayant occasionné des flambées de formation d'étoilesétoiles, appauvrissant à chaque fois le contenu en gaz des galaxies. L'idée s'accorde bien avec le modèle cosmologique standardmodèle cosmologique standard basé sur l'existence de l'énergie noireénergie noire et de la matière noirematière noire, que l'on étudie avec des simulations numériquessimulations numériques (Deus, Gevolution) et en effectuant des campagnes d'observations (SDSS, Boss) pour comprendre la naissance des galaxies et des grandes structures qui les rassemblent.
Selon ce scénario dit hiérarchique, des petites fluctuations de densité de matière noire s'effondrent les premières après le Big Bang et plus rapidement que celles de matière baryonique, laquelle s'effondre ensuite sur ces premières concentrations. Cela conduit à la naissance d'un grand nombre de petites galaxies nainesgalaxies naines, ou de concentrations d'étoiles de la taille des amas globulairesamas globulaires, qui vont entrer en interaction en fusionnant pour donner avec le temps des galaxies de plus en plus grandes (elles peuvent aussi croître en partie en accrétant du gaz provenant de filaments de matière). Ces galaxies vont se rassembler parallèlement en amas puis progressivement en superamassuperamas dans des filaments de matière noire en train de s'effondrer en laissant de grands vides. La théorie prédit donc que l'on observe un plus grand nombre de galaxies et qu'elles sont plus petites au fur et à mesure que l'on regarde loin, et donc tôt, dans le passé de l'univers observable. Les grandes galaxies doivent donc être rares au début de l'histoire du cosmoscosmos observable.
Or, récemment, un communiqué de l'École internationale supérieure d'études avancées (en italien, Scuola Internazionale Superiore di Studi Avanzati, souvent abrégé en Sissa), une université italienne située à Trieste, semblait annoncer une sorte de révolution en cosmologiecosmologie. De nouvelles analyses des observations aboutissaient en effet à la conclusion que les galaxies elliptiques ne se formaient pas par fusion de galaxies spirales. Fallait-il vraiment s'attendre à un changement de paradigme, comme l'affirmait le communiqué du Sissa ?
L'astrophysicienne Françoise Combes dans son bureau à Meudon. © CC BT SA 3.0, Wikipédia
Le modèle cosmologique standard reste inchangé
Pour le savoir, nous avons interrogé l'une des grandes spécialistes de la formation et de l'évolution des galaxies, l'astrophysicienne Françoise CombesFrançoise Combes, membre de l'Académie des sciences et professeure au Collège de France. Elle avait déjà rédigé pour Futura-Science un dossier sur notre galaxie spirale, la Voie lactée.
La chercheuse nie l'idée d'un changement de paradigme et affirme qu'il y a un décalage entre le communiqué du Sissa et le contenu de l'article technique que l'on peut le trouver sur arXiv. Elle fait remarquer que la question d'un problème concernant la formation des galaxies elliptiques par fusion n'y est même pas abordée ! « Heureusement d'ailleurs, car l'article est tout à fait raisonnable, et ne dit pas cela, ce qui serait faux. Donc cela veut dire que celui qui a écrit le communiqué a fait dire au papier ce qu'il ne dit pas. » Et l'astrophysicienne d'ajouter :
« Les principaux résultats de ce papier sont surtout :
- Il se forme à grand décalage spectral beaucoup de galaxies massives. La formation d'étoiles est spectaculaire dans ces galaxies massives à grand z, alors qu'aujourd'hui les galaxies massives sont mortes et ne forment plus d'étoiles. La formation d'étoiles se fait aujourd'hui dans des galaxies plus petites, et même naines.
- Ce fait est connu depuis longtemps, il s'agit du downsizingdownsizing, encore appelé "processus antihiérarchique" car on a l'impression que l'on forme les grosses galaxies avant les petites. Mais ce n'est qu'une illusion. Le modèle hiérarchique marche très bien pour les halos de matière noire, on commence par les petits halos, et peu à peu par fusion, on forme les plus massifs, jusqu'aux amas de galaxiesamas de galaxies.
Il n'est dit à aucun moment que les galaxies elliptiques autour de nous ne sont pas formées par fusion (au contraire, elles le sont). Le papier retrace le taux de formation d'étoiles et montre qu'il a dû être très important à grand z dans les galaxies massives (ce que l'on sait depuis longtemps). Il travaille aussi sur l'extinctionextinction de la poussière, disant qu'il doit y en avoir encore plus de massives, mais qui sont tellement éteintes qu'on les prend pour des galaxies de faible brillance et de petite massemasse. Il calcule comment on pourra les observer en infrarougeinfrarouge et en millimétrique, des rayonnements qui traversent la poussière (Alma notamment).
Mais tout cela marche avec le scénario standard : on forme de grosses galaxies, très riches en gaz (donc spirales) au début de l'Univers. Lorsque ces galaxies ont consommé tout leur gaz, elles vont devenir passives. Ces grosses galaxies peuvent ensuite fusionner pour former des elliptiques, à tout moment dans l'univers. Cela peut être des fusions avec ou sans gaz, selon l'alimentation ultérieure en gaz par les filaments cosmiques. Mais, de toute façon il faut des fusions pour diminuer ou supprimer la rotation des galaxies (annuler le moment angulairemoment angulaire). Les premiers systèmes qui se forment sont très riches en gaz, dissipatif, qui forment un disque. Tout ceci est inchangé, je ne vois aucun changement de paradigme ici ».