En 1997, le Joint European Torus (JET), un tokamak installé au Royaume-Uni, avait livré les résultats permettant de penser qu'avec une machine analogue et plus grande, le Graal de la production d'énergie par fusion contrôlée pouvait être atteint, c'est à dire reproduire sur Terre les réactions de fusion à l'origine de l'énergie du Soleil. Le projet Iter en fut la conséquence et, aujourd'hui, on apprend que le JET a battu un nouveau record du monde en produisant 69 mégajoules d'énergie de fusion en utilisant seulement 0,2 milligramme de carburant. Cela confirme qu'utiliser un tokamak comme Iter est le bon chemin pour espérer disposer dans quelques décennies d'une source d'énergie très décarbonée et se passer des énergies fossiles.
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On sait qu'un mélange d'un seul kilogramme de deux isotopes de l'hydrogène, le deutérium et le tritium, chauffé suffisamment pour produire de la fusion thermonucléaire, c'est à dire à plus de 100 millions de degrés, fournit autant d'énergieénergie qu'environ quatre kilogrammes d'uraniumuranium 235 et autant qu'environ 10 000 tonnes de charboncharbon. On comprend donc fort bien l'enjeu de la maîtrise de ce genre de phénomène, qui revient à reproduire un mini-SoleilSoleil sur Terre. Il nous livrerait une énergie abondante et très fortement décarbonée car du gaz carboniquegaz carbonique n'est pas produit dans cette réaction ainsi que beaucoup moins de déchets radioactifsdéchets radioactifs que dans une centrale nucléairecentrale nucléaire classique basée sur la fissionfission.
Plusieurs nations se sont donc jointes pour construire un réacteur basé sur la fusion contrôléefusion contrôlée, le fameux projet Iter.
Mais la machine qui laissait penser il y a presque 30 ans que la maîtrise de la fusion n'était pas une utopie a encore de la ressource, comme elle vient de le montrer l'année dernière en battant un nouveau record de production d'énergie avec le mélange deutérium-tritium. Il s'agit du Joint European Torus (JET), un tokamak en fonctionnement à Culham, au Royaume-Uni, qui avait déjà battu ce record en utilisant la technique du confinement magnétique. Futura l'avait expliqué plus en détail dans le précédent article ci-dessous, à lire pour en savoir plus sur la fusion et le JET.
Le 3 octobre 2023, les chercheurs d'EUROfusion du Joint European Torus (JET) ont établi un nouveau record mondial pour la plus grande quantité d'énergie de fusion libérée en une seule « impulsion » : 69 mégajoules dans une impulsion de six secondes. En fusionnant seulement 0,2 milligramme de combustible de fusion mais sans aucune émission de gaz à effet de serre directement. © EUROfusion
0,21 milligramme de combustible de fusion pour une énergie libérée équivalente à 2 kilogrammes de charbon
Le site du Consortium EUROfusion, financé par l'Union européenne via le programme de recherche et de formation d'Euratom a fait un long communiqué sur le nouveau record qui a été obtenu à partir du lancement en septembre 2023 d'une nouvelle campagne d'expérience pour continuer de paver la voie à IterIter. Le communiqué explique ainsi que les chercheurs ont obtenu 69,26 mégajoules de chaleurchaleur libérée en six secondes à partir de seulement 0,21 milligramme de combustiblecombustible. C'est équivalent à l'énergie libérée par la combustioncombustion de 2 kilogrammes de charbon.
Le principe de fonctionnement des réacteurs Iter et Demo est celui de la fusion magnétique dans un tokamak et il est expliqué dans cette vidéo. Les expériences du JET ont permis de préciser ce principe. © CEA, DRF
Le JET bat ainsi ses précédents records du monde de 59 mégajoules en 2022 et 22,7 mégajoules en 1997. Surtout, comme l'explique le communiqué, mais ce n'est nullement surprenant : « le record du JET est 20 fois supérieur à la quantité d'énergie libérée lors d'une récente prise de vue au National Ignition Facility (NIF) des États-Unis au Lawrence Livermore National Laboratory en octobre 2023, qui a utilisé une approche différente de la fusion ».
Un film UKAEA réalisé par Village Films en collaboration avec EUROfusion pour célébrer les résultats historiques obtenus dans l'installation de renommée mondiale Joint European Torus (JET). Ce documentaire en coulisses suit l'équipe vers la fin de 2021 alors qu'elle surmonte des défis scientifiques et techniques pour atteindre un nouveau record mondial d'énergie de fusion. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © UKAEAofficial
Nouveau record d'énergie produite par fusion nucléaire pour le JET
Article de Laurent SaccoLaurent Sacco, publié le 12/02/2022
En 1997, le Joint European Torus (JET), un tokamak installé au Royaume-Uni, avait livré les résultats permettant de penser qu'avec une machine analogue et plus grande, le Graal de la production d'énergie par fusion contrôlée pouvait être atteint. Le projet ITER en fut la conséquence et aujourd'hui de nouveaux résultats avec le JET, avec un nouveau record du monde, confirment qu'il s'agit du bon chemin pour espérer maîtriser l'énergie du cœur du Soleil sur Terre.
La consommation d'électricité mondiale ne va faire qu'augmenter dans les trois décennies à venir. D'abord parce que la consommation d'énergie va aussi le faire en premier lieu pour assurer une vie décente à l'ensemble de la population mondiale - le monde consomme déjà plus de 15 TWanTWan (térawatt.an) et d'ici 2050, cette valeur devrait presque doubler -, et en second lieu parce qu'il est nécessaire de décarboner la production industrielle pour, en même temps, limiter le réchauffement climatiqueréchauffement climatique et faire en sorte qu'il ne dépasse les fameux 2 °C au-delà desquels la stabilité du climatclimat mondial n'est plus garantie.
Nul doute que cela ne sera possible qu'en combinant une importante montée en puissance du nucléaire pour accompagner celle des énergies renouvelablesénergies renouvelables et la capture du gaz carbonique pour le séquestrer géologiquement. C'est ce qu'expliquent par exemple depuis des années Jean-Marc Jancovici, les membres de Sauvons le climat (SLC) ou encore le climatologueclimatologue James Hansen et Michael Shellenberger aux États-Unis.
Il nous faudra également être plus frugal quant à notre consommation d'énergie individuelle pour partager le plus équitablement possible les ressources de la planète. Mais, même ainsi, il semble inévitable que nous ne puissions atteindre nos objectifs au cours de la seconde moitié du XXIe siècle sans disposer aussi de la fusion contrôlée. On sait que la noosphère l’a bien compris puisqu’elle a entrepris depuis des décennies de maîtriser la fusion contrôlée et qu’une des clés sur le chemin y menant est le succès du réacteur ITER.
La machine utilisera comme carburant de base du deutérium, pratiquement inépuisable dans les océans terrestres, mélangé à du tritium qui bien que très instable et radioactif peut être généré en quantité suffisante pour l'humanité de différentes manières.
JET, le père d'Iter
Pour comprendre pourquoi ce mélange et la fusion thermonucléaire qu'il permet fascinent il suffit de savoir qu'un seul de ses kilogrammes peut fournir autant d'énergie qu'environ quatre kilogrammes d'uranium 235 et autant qu'environ 10.000 tonnes de charbon.
Iter a été envisagé suite aux résultats obtenus à la fin du XXe siècle avec le Joint European Torus (JET), un tokamak installé au Royaume-Uni et qui a permis aux Européens de faire des percées dans le domaine de la fusion contrôlée par confinement magnétique.
Rappelons qu'il s'agit pour cela de s'approcher des conditions régnant au cœur du Soleil pour produire des réactions de fusion dans un plasma constitué de noyaux de deutérium et de tritium. Pour faire fusionner ces noyaux et produire bien plus d'énergie qu'il n'est nécessaire au total pour faire fonctionner un réacteur de fusion avec des pressionspressions et des densités de plasma inférieures à celles à l'intérieur du Soleil, il faut pour cela chauffer le mélange de ces isotopes de l'hydrogène à une température d'environ 150 millions de degrés. Aucun matériaumatériau ne peut résister bien longtemps à cet enfer et c'est pour cela que l'on doit confiner le plasma dans une sorte de bouteille magnétique en forme de tore, pour éviter qu'il ne fasse fondre les parois du réacteur de la même forme.
Le plasma permettant la fusion est victime de plusieurs instabilités dont certaines ressemblent à celles conduisant aux éruptions solaireséruptions solaires à la surface du Soleil, mais les expériences menées avec le JET ont fermement laissé penser qu'avec un réacteur similaire mais plus grand, dans les proportions d'ITER justement, les réactions seront contrôlables et libéreront les quantités d'énergies souhaitées.
ITER ne sera pas seulement plus grand que le JET, il disposera aussi de champs magnétiqueschamps magnétiques plus puissants et moins gourmands en électricité, puisque générés par des aimantsaimants supraconducteurssupraconducteurs. Les parois matérielles du JET ne sont également pas refroidies contrairement à ce qui sera le cas avec Iter. Toutes ces conditions limitent fortement le temps de fusion possible dans le JET.
À l'intérieur de ces murs, les scientifiques tentent depuis des décennies de créer une source d'énergie illimitée, la fusion nucléaire. Bienvenue à JET, la plus grande expérience de fusion nucléaire au monde. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © WIRED UK
Une confirmation de la stratégie d'Iter
Mais, la vénérable machine a encore des choses précieuses à nous apprendre sur la fusion contrôlée dans ITER et c'est pour cela qu'elle est toujours en activité et qu'elle a même été upgradée avec un remplacement des éléments en carbonecarbone de ses parois par du bérylliumbéryllium et du tungstènetungstène.
Les scientifiques d'EUROfusion, un consortium formé par les instituts de recherche sur la fusion des pays de l'Union européenne auquel participe le CEA, font justement savoir aujourd'hui que la dernière version du JET a surpassé en 2021 son précédent record établi en 1997 de production d'énergie par fusion qui était de 21,7 mégajoules. Le réacteur a ainsi libéré 59 mégajoules et pendant un temps particulièrement long pour le JET, puisque c'est celui que par constructionconstruction il peut atteindre au maximum comme duréedurée de fonctionnement à savoir cinq secondes.
Ce n'est pas un record ni de température pour un plasma dans un tokamak ni de durée de stabilité avec une telle machine et il n'a pas été libéré plus d'énergie par la fusion du deutérium et du tritium qu'il n'en a été nécessaire pour allumer et maintenir pendant ces cinq secondes la réaction et la stabilité du plasma.
Mais on peut commencer à comprendre pourquoi les chercheurs et ingénieurs d'EUROfusion sont enthousiastes avec la déclaration au sujet de ce nouveau succès du JET faite par Bernard Bigot, le directeur général d'Iter : « Une impulsion soutenue de fusion deutérium-tritium à ce niveau de puissance - presque à l'échelle industrielle - offre un soutien retentissant à tous ceux qui sont impliqués dans la quête mondiale fusion. Pour le projet Iter, les résultats du JET confirment puissamment notre confiance que nous sommes sur la bonne voie alors que nous progressons vers une démonstration de la pleine puissance de la fusion. ».
Cette vidéo montre une des expériences de fusion pour le Joint European Torus (JET) basée au Culham Science Center dans l'Oxfordshire. Lorsqu'il fonctionne, le JET peut atteindre des températures allant jusqu'à 150 millions de degrés, soit 10 fois plus chaud que le noyau du Soleil ! Cette expérience particulière montre à quoi ressemble une « impulsion » typique à l'intérieur du JET. L'expérience portant le nom de code JPN 91471 a été enregistrée en août 2016 et a testé le comportement du plasma de fusion à l'intérieur du JET dans des conditions de faible puissance. Nous testons les conditions de plasma en mode L (faible puissance) et en mode H (puissance élevée) pour mieux comprendre la science et la physique derrière l'énergie de fusion dans le réacteur ITER. © UKAEA
Cet enthousiasme est partagé par Tony Donné, le responsable du programme d'EUROfusion, qui a déclaré : « Ce succès est le résultat de longues années de travail des chercheurs de l'équipe EUROfusion à travers l'Europe. Le record, et plus important encore, les choses que nous avons apprises sur la fusion dans ces conditions et comment elles confirment pleinement nos prédictions montrent que nous sommes sur la bonne voie vers un monde futur d'énergie de fusion. Si nous pouvons maintenir la fusion pendant cinq secondes, on pourra le faire pendant cinq minutes puis cinq heures, au fur et à mesure que nous développerons la taille des futures machines. ».
En effet, les derniers résultats obtenus avec le JET illustrent le succès d'un programme destiné à tester les prédictions de simulations numériquessimulations numériques du comportement du plasma avec les réactions de fusion en rapport avec ce qui se passera dans ITER. Il s'agissait aussi, dans le même but, de tester des outils de diagnosticdiagnostic de la stabilité de ce plasma et permettant de contrôler cette stabilité dans ITER.
Au final, les expériences ont montré un bon accord entre les prédictions de la puissance de fusion et les observations pour les durées maximales accessibles au JET. CeriseCerise sur le gâteau, l'énergie dégagée de 59 mégajoules est tout de même le record du monde pour une expérience avec une vraie réaction de fusion.
Tony Donné, le responsable du programme d’EUROfusion. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © EUROfusion
Le tritium, le carbone et le tungstène
L'une des clés de la transformation du JET depuis 1997 qui lui a permis d'atteindre son record actuel a été, on l'a dit, le remplacement des éléments de la paroi du réacteur en carbone par du béryllium et du tungstène et ce pour les mêmes raisons que celles ayant conduit à faire de même pour le projet WEST (W Environment in Steady-State Tokamak) du CEA-IRFM, installé sur le centre CEA de Cadarache et dont Futura avait déjà parlé dans deux articles.
Rappelons que ce projet est associé à Tore Supra, un géant parmi les tokamaks à aimants supraconducteurs du monde. Le JET est bien lui aussi un géant parmi les plus grandes installations de recherche sur la fusion existantes capables de fusionner du deutérium et du tritium (ce qui n'a pas été accompli avec Tore Supra). Mais ses aimants n'exploitent pas le phénomène de la supraconduction et il y a donc de fortes pertes par effet Jouleeffet Joule, ce qui n'est pas bon pour atteindre un bilan total de production d'énergie bien supérieur à celui nécessaire pour lancer la réaction de fusion. Presque les mêmes conditions qu'à la surface du Soleil.
Comme la paroi matérielle du JET n'est pas refroidie en permanence par un circuit d'eau à haute pression, on ne peut pas non plus se permettre de faire des expériences trop longues alors que dans le cas des caractéristiques que Tore Supra partagent avec ITER, cela a permis à la machine d'atteindre le 4 décembre 2003 un record du monde de durée pour un plasma quasi stationnaire (sans fusion) : 6 minutes et 30 secondes.
Dans le cadre du projet WEST, la partie du réacteur - où des échanges de chaleur avec le plasma sont possibles - était initialement faite des matériaux composites en fibre de carbonefibre de carbone ou CFCCFC (bien connu dans le domaine de l'industrie spatiale). Mais WEST a consisté justement à la remplacer par du tungstène, de symbole chimique W justement.
La raison en est simple, le tritium nécessaire à la réalisation de la fusion doit être produit initialement en dehors des réacteurs et c'est assez coûteux. Or, malheureusement le carbone a tendance à se lier chimiquement avec le tritium. Le tungstène évite ce phénomène.
Si le deutérium est plutôt abondant sur Terre et assez facile à extraire de l'eau de mer, ce qui nous assure des ressources très importantes pour une très longue durée, le tritium est par contre très rare car il est radioactif et se désintègre avec une période de 12,3 années. On sait le produire artificiellement dans des centrales à eau lourde de type Candu (CANada Deuterium Uranium, en référence à l'utilisation de l'oxyde de deutériumoxyde de deutérium, soit eau lourde, et du combustible à l'uranium naturel), mais en faibles quantités.
Dans le cas d'Iter et des réacteurs de production industrielle d'électricité qui lui succéderont, si tout marche comme prévu, en tapissant leur intérieur avec du lithiumlithium, le flux de neutronsneutrons à 14 MeV produits par la réaction de fusion permettra la transformation de ce lithium en tritium et héliumhélium. Mais il faut pour cela démarrer la fusion et donc disposer d'un stock de tritium produit par une centrale de type Candu.