Une compagnie privée californienne, Tri Alpha Energy alias TAE Technologies, conseillée autrefois par le prix Nobel de physique Burton Richter hélas décédé depuis, vient d'annoncer qu'elle avait fait un nouveau progrès sur le chemin de la fusion contrôlée. La société est devenue capable de réaliser des réactions de fusion sans un des problèmes que l'on rencontrera avec Iter, la production d'un flux de neutrons délétère pour les parois d'un réacteur.
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En 2021, l'ancien directeur général de l'organisation IterIter (rappelons que la Chine, l'Union européenne, l'Inde, le Japon, la Corée, la Russie et les États-Unis se sont mis d'accord pour développer ce tokamak qui devrait permettre de valider le concept de production d'énergie à partir de réactions de fusion) le Français Bernard Bigot, hélas décédé l’année dernière, expliquait à l’occasion de la 28e Conférence de l'AIEA sur l'énergie de fusion (FEC 2020) que « la population mondiale devant atteindre 9 milliards d'habitants d'ici 2040, la demande mondiale d'électricité augmentera de 45 %. Comment répondre à cette demande, sans contribuer à la crise climatique, est une question cruciale. Des milliers d'entre nous travaillent dans le monde entier pour faire de la fusion une réalité ».
Même en imaginant un changement de nos habitudes de consommation, il ne sera pas possible d'avoir un niveau de vie acceptable pour tous sur la planète sans une augmentation de l'énergie disponible et pour le moment seules les énergies fossilesénergies fossiles peuvent répondre à ce défi, avec les conséquences qui deviennent de plus en plus claires sur l'environnement que l'on connaît. On peut raisonnablement penser aussi que nous n'éviterons pas une énorme catastrophe d'ici la fin de ce siècle sans mettre en œuvre une technologie d’émission négative de carbone massive, c’est-à-dire une technologie permettant de retirer énormément du CO2 de l’atmosphère pour retourner à un niveau au moins aussi bas que celui de la fin du XXe siècle.
Clairement, une source d'énergie très abondante, peu coûteuse et aussi décarbonée que possible, est nécessaire et on sait que les renouvelables seules ne le permettront pas à court ou moyen terme.
La fusion, la clé du futur de l'Humanité ?
La production massive d'énergie avec la fusion contrôlée d'ici les années 2030 pourrait nous sauver du début d'une catastrophe qui est susceptible de nous mener à une apocalypse, mais les experts s'accordent à dire que la voie explorée avec Iter ne passera au stade industriel après des expériences, avec son successeur Demo (DEMOnstration Power Plant), au mieux qu'au cours des années 2040 et plus probablement 2050.
Bien trop tard pour éviter un effondrementeffondrement de nos civilisations, effondrement qui générerait des tensions pouvant conduire à des conflits bien plus terribles que ceux vécus au XXe siècle.
On comprend donc aisément pourquoi des dizaines de start-up se sont lancées dans des voies alternatives à celle d’Iter, en espérant faire plus vite, plus petit et moins coûteux. Malheureusement, l'expérience prouve que plusieurs d'entre elles font ou ont fait des affirmations tonitruantes absolument pas réalistes en prévoyant des avancées à très courts termes qu'elles n'ont jamais obtenues.
À cet égard, lors d'une conférence donnée en 2021, à laquelle Futura avait assisté, Bernard Bigot n'avait toutefois pas hésité à dire que c'était une très bonne chose que l'on continue à explorer des possibilités nouvelles et qu'il serait le premier à se réjouir de leur succès, car ce qui compte c'est de dompter le plus rapidement possible la fusion. Mais il faudrait pour cela réaliser des percées révolutionnaires parce qu'en l'état, on ne voit pas comment faire sans violer les lois de la physique. Il faudrait donc pour le moins qu'une « astuce », vraiment restée cachée et reposant sur les lois connues, soit découverte. Le directeur d'Iter ne cachait pas son pessimisme à ce sujet, et même le buzz fait l’année dernière au sujet d’un progrès dans le domaine de la fusion inertielle ne donne aucune raison de remettre en cause l’avis de Bernard Bigot.
La fusion selon TAE Technologies. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © TAE Technologies
Une fusion sans neutrons et qui produit de l'hélium
Toujours est-il que Futura avait parlé, il y a quelques années dans le précédent article ci-dessous, de la société Tri Alpha Energy, rebaptisée depuis TAE Technologies. C'est l'une des entreprises privées les plus sérieuses, entrée dans la course à la fusion contrôlée, et elle espère bel et bien atteindre un début de production industrielle d'électricité d'ici les années 2030.
Fondée en 1998, la société a déjà levé plus de 1,2 milliard de dollars de financement privé auprès de certains des investisseurs les plus renommés au monde, notamment GoogleGoogle avec qui elle collabore depuis 2014 pour bénéficier de son expérience dans le deep learningdeep learning et les Big dataBig data.
TAE Technologies annonce aujourd'hui, via une publication dans Nature communications, qu'en collaboration avec le National Institute for Fusion Science (NIFS) du Japon, la compagnie avait réalisé une avancée notable dans la voie qu'elle développe, à savoir les toutes premières expériences réussies de fusion hydrogène-borebore dans un plasma confiné magnétiquement.
Quelques rappels pour comprendre pourquoi c'est important, bien que l'on n'en soit toujours pas à une révolution.
Pour fonctionner, Iter doit faire fusionner des noyaux de deutérium avec du tritiumtritium. Le deutérium se trouve en abondance dans l'eau de mer, mais le tritium étant radioactif et de courte duréedurée de vie, il n'existe pas à l'état naturel et on doit le produire avec des réacteurs nucléaires. Il existe toutefois une stratégie tirant parti du flux de neutronsneutrons produit par la réaction de fusion pour produire du tritium supplémentaire dans le réacteur Iter.
Toutefois, ce flux de neutrons est si énergétique qu'il dégradera rapidement les parois métalliques du tokamak. Des recherches sont en cours pour découvrir un matériaumatériau capable de résister à ce flux mais on ne peut être certain qu'elles aboutiront.
Mais avec la machine envisagée par TAE Technologies, la réaction de fusion imaginée consiste à bombarder avec des noyaux d'hydrogène des noyaux de bore. Le bore est un élément chimiqueélément chimique intervenant dans des préparations depuis des milliers d'années, il a été identifié chimiquement au début du XIXe siècle et on peut le trouver combiné dans l'eau sous forme d'acideacide borique et dans certains mineraisminerais, comme le borax qui se trouve généralement en massemasse compacte à l'emplacement d'anciens lacs asséchés.
Bref, le bore est un élément assez abondant, dont on estime que les ressources peuvent durer 100 000 ans, et peu coûteux à extraire. Mais le point clé est que sa réaction de fusion avec des protonsprotons est aneutronique, elle ne produit pas de neutron mais seulement pour chaque fusion trois noyaux d'héliumhélium.
On évite donc le problème rencontré avec Iter. Le seul petit hic, c'est que les réactions de fusion ne se font qu'à plusieurs milliards de degrés au lieu d'un peu plus de 100 millions de degrés avec Iter.
Quelles alternatives pour Iter ? Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Bloomberg Originals
Fusion nucléaire : un réacteur aneutronique comme alternative à Iter ?
Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 27/08/2015
Une compagnie privée californienne, Tri Alpha Energy, conseillée par le prix Nobel de physique Burton Richter, vient d'annoncer qu'elle progressait sur le chemin de la fusion contrôlée. La société n'est pas encore capable de réaliser des réactions de fusion, encore moins de produire plus d'énergie qu'elle n'en consomme, mais elle possède un avantage sur Iter... Baptisée C2, la machine créée permettrait en effet, en théorie, de faire naître une réaction de fusion sans générer des flux de neutrons très énergétiques posant problème pour le moment.
Le chemin vers la production commerciale d'électricité issue de la fusion contrôlée est très probablement encore long. Iter n'est qu'une étape vers ce but qui ne devrait être atteint qu'aux alentours de 2050, si tout va bien. Une date jugée trop lointaine pour bien des personnes... C'est pourquoi les annoncent se multiplient, notamment aux États-Unis, pour présenter des projets de recherches alternatives. Le but : réduire non seulement les délais d'obtention d'un réacteur à fusion contrôlée capable de fournir de l'électricité mais aussi diminuer la taille et le coût de fabrication de cette mythique machine. On peut citer l'exemple de Lockheed Martin et, plus récemment, des études sur un réacteur ARC réalisées par des membres du MIT (Massachusetts Institute of Technology). On ne peut être que sceptique devant ces alternatives, bien qu'il faille rester ouvert d'esprit.
Contrairement aux apparences, les recherches sur la fusion contrôlée progressent vite depuis 50 ans. Cependant, dompter le plasma nécessaire aux réactions de fusion s'est révélé plus difficile que prévu. Bien des configurations de champs magnétiqueschamps magnétiques et de courants ont été imaginées et testées afin de confiner dans une sorte de bouteille magnétique ce plasma, porté à des températures dépassant la dizaine de millions de degrés qui règne au centre du SoleilSoleil, là où brûle sagement le feufeu thermonucléaire. Cette étape est cruciale puisqu'il n'existe aucun unobtainium connu capable de supporter de telles températures, les chercheurs ne peuvent donc se passer de cette bouteille magnétique, comme celle que l'on trouve dans un tokamak. Malheureusement, le génie a toujours trouvé le moyen de s'échapper de sa bouteille... Il y a cependant de l'espoir avec la taille et les caractéristiques de celle qui devrait être réalisée avec Iter.
Toutefois, même en supposant le problème du confinement stable et fiable du plasma résolu, reste une autre problématique, celle des neutrons. Il existe en effet plusieurs réactions de fusion possibles. Celle dont le rendement est particulièrement bon et qui exige des températures relativement basses fait intervenir des noyaux de deutérium et de tritium, des isotopesisotopes de l'élément hydrogène (voir la première équationéquation de l'image ci-dessus). Le deutérium peut être extrait en grandes quantités de l'eau de mer mais le tritium est radioactif et particulièrement instable de sorte qu'il faudrait en fabriquer. Ce sont surtout les neutrons produits par la réaction de fusion qui sont problématiques. Très énergétiques, on ne sait pas encore réaliser un matériau qui pourra résister longtemps à leur production. Certains chercheurs, dont les prix Nobel de physique Pierre-Gilles de Gennes et Masatoshi Koshiba, n'ont d'ailleurs pas manqué d'exprimer leurs doutes à ce sujet tant la maîtrise de ces neutrons leur semblait irréalisable.
Une fusion aneutronique avec des accélérateurs de particules
Or, il existe une réaction de fusion qui, bien que demandant 30 fois plus d'énergie au départ et produisant seulement la moitié de l'énergie de fusion du deutérium et du tritium, n'a pas ce défaut. Il s'agit de la fusion aneutronique d'un proton (p) avec un noyau de bore (11B) qui produit trois particules alpha (voir la dernière équation de l'image ci-dessus), des particules chargées que l'on peut en principe contrôler avec des champs magnétiques ou électriques. La fusion aneutronique a l'avantage de ne libérer qu'une proportion minime d'énergie sous forme de neutrons. Le hic reste que si le deutérium et le tritium sont capables de fusionner de façon convenable dans Iter à une température de 110 millions de degrés environ, la fusion p - 11B nécessite d'atteindre 3 milliards de degrés...
Une vidéo expliquant les principes de base de la fusion avec FRC mis en pratique par les membres de Tri Alpha Energy. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle avec deux barres horizontales en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître, si ce n'est pas déjà le cas. En cliquant ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, vous devriez voir l'expression « Traduire les sous-titres ». Cliquez pour faire apparaître le menu du choix de la langue, choisissez « français », puis cliquez sur « OK ». © Science Magazine, YouTube
Depuis la fin des années 1990, un groupe de chercheurs s'est formé autour du physicienphysicien Norman Rostoker fondant en Californie la société privée Tri Alpha Energy. Comme son nom l'indique, ils se proposent de fabriquer un réacteur à fusion aneutronique exploitant précisément la réaction p -11B. Ils veulent aussi obtenir un réacteur qui soit plus petit et moins coûteux qu'Iter et, selon eux, le projet est possible. L'équipe veut pour cela revisiter un concept qui a reçu le nom de field-reversed configuration (FRC). Étudiée depuis les années 1960, cette alternative aux tokamaks permet de confiner de façon stable avec des champs magnétiques.
Un temps de confinement stable du plasma multiplié par 10
Rostoker, décédé récemment, a eu l'idée d'utiliser des faisceaux de particules pour renforcer la stabilité du plasma et il semble que son équipe ait fini par marquer des points. Ses membres viennent en effet d'annoncer qu'il avait obtenu un plasma stable pendant 5 millisecondes alors que les précédentes tentatives depuis les années 1960 n'avaient abouti, au mieux, qu'à une stabilité durant 0,3 milliseconde. La température atteinte lors des expériences avec une machine baptisé C2 est de seulement 10 millions de degrés mais les physiciens de Tri Alpha Energy pensent qu'ils vont pouvoir atteindre des températures plus élevées tout en restant dans un régime de fonctionnement stable.
La prudence reste de mise car, sur la route menant à la fusion contrôlée, de nombreux succès ultérieurs, extrapolés à partir des performances des machines en cours d'étude, n'étaient en réalité que des chimèreschimères. Toujours est-il que les performances de Tri Alpha Energy sont suffisamment impressionnantes pour que le prix Nobel de physique Burton Richter ait accepté de faire publiquement partie des conseillers du projet. Ce n'est guère étonnant car le fonctionnement de C2 fait intervenir, de multiples manières, des techniques utilisées pour accélérer des particules en physique des hautes énergies et Richter est un expert dans le domaine de la physique des accélérateurs, comme on peut s'en rendre compte en lisant son autobiographie sur le site de la fondation Nobel.
Alors, le chemin vers la fusion contrôlée sera-t-il moins ardu que prévu ? Espérons que oui mais pour le moment, cela reste encore à démontrer.