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Les chercheurs qui s'occupent de la cosmogonie du Système solaire, et plus généralement des autres soleils avec leurs cortèges de planètes, ne sont pas seulement confrontés à des problèmes de mécanique céleste, de mécanique des fluides et de transferts de rayonnement mais aussi à des problèmes de physique nucléaire et de cosmochimie.
La théorie de la formation des étoiles et les observations que l'on fait des jeunes étoiles entourées d'un disque protoplanétaire nous laissent penser que le Soleil à sa naissance était beaucoup plus colérique qu'aujourd'hui et que ses éruptions libéraient des flots de rayons cosmiquesrayons cosmiques, essentiellement des protonsprotons, beaucoup plus intenses et énergétiques que ceux émis par notre étoile de nos jours. Ces colères devaient irradier le disque protoplanétaire où les planètes étaient en train de naître, causant des réactions nucléairesréactions nucléaires parfois similaires à celles dites de spallation dans les rayons cosmiques. Ces réactions sont capables de fragmenter des noyaux lourds en noyaux plus légers.
C'est ce à quoi notre Système solaire aurait pu ressembler à sa naissance : une jeune étoile émettant des radiations sous forme de rayons X, ultraviolets et protons ainsi que des matériaux sous forme de jets de gaz et de poussières. L'image de Hubble montre l'objet Herbig-Haro 24 dans une région de formation d'étoiles dans la constellation d'Orion. © NASA, ESA, Hubble Heritage (STScI/AURA)/Hubble-Europe Collaboration; D. Padgett (NASA's GSFC), T. Megeath (U. Toledo), B. Reipurth (U. Hawaii)
Mais ces théories s'appliquent-elles vraiment au Soleil ? On peut tenter de le savoir en vérifiant l'une de leurs conséquences au niveau des météoritesmétéorites. Certaines sont très anciennes et nous sont parvenues en conservant presque intact leur composition chimique et leur structure, témoignant de ce qui se passait dans certaines parties du disque protoplanétaire il y a plus de 4,5 milliards d'années, des dizaines de millions d'années avant la fin de la formation de la Terre. Il s'agit de celles que l'on appelle des chondriteschondrites carbonées et deux des plus célèbres sont les météorites d'Allende et de Murchison trouvées respectivement au Mexique et en Australie à la fin des années 1960.
Les réactions nucléaires produites par les colères violentes du jeune Soleil devraient avoir laissé des traces dans les météorites les plus anciennes. On les avait cherchées, mais certaines des preuves trouvées pouvaient être critiquées. Il semble que l'on en a obtenu une plus solidesolide si l'on en croit un article publié dans Nature Astronomy par une équipe de cosmochimistes de l'université de Chicago, du célèbre Field Museum dans cette même ville et de l'Institut de géochimie et de pétrologie du non moins célèbre ETH de Zurich en Suisse.
Une coupe d'un fragment de la météorite de Murchison. © Randy L. Korotev
Des minéraux vestiges de l'aube du Système solaire
Les chercheurs se sont concentrés sur la météorite de Murchison qui contient comme celle d'Allende des inclusions riches en aluminiumaluminium et en calciumcalcium (baptisées CAI, pour Calcium Aluminum-rich Inclusions) dont on sait qu'elles sont plus anciennes que les météorites elles-mêmes. Ces inclusions se sont formées proches du Soleil, dans la région interne du disque protoplanétaire qui était encore chaud, porté à des températures de l'ordre de 2.000 °C.
Ce disque était en partie chaud parce qu'il provenait de l'effondrementeffondrement de la nébuleuse protosolaire, ce qui avait comprimé et donc chauffé la matièrematière. En se refroidissant, différents minérauxminéraux s'y sont condensés, des plus réfractairesréfractaires aux plus volatils au fur et à mesure que l'on était à grande distance du Soleil. La turbulenceturbulence du gazgaz dans le disque et d'autres phénomènes ont ensuite conduit certains de ces minéraux dans des régions plus froides où ils ont été incorporés à des astéroïdesastéroïdes en formation.
Dans les CAI de Murchison, un minéralminéral bleu bien particulier a été trouvé, connu sous le nom d'hibonite en hommage au prospecteur français Paul Hibon. L'hibonite se condense à haute température et elle a donc dû se former dans les parties internes et chaudes du disque protoplanétaire. Bien que présent sous la forme d'infimes fragments, il a été possible d'y mesurer des quantités très faibles bien qu'anormalement élevées d'isotopesisotopes de l'hydrogènehydrogène et du néonnéon, en l'occurrence de l'héliumhélium 3 et du néon 21. Ces isotopes sont le produit des collisions des rayons cosmiques solaires avec les noyaux de calcium et d'aluminium des CAI.
Une vue d'artiste du disque protoplanétaire autour du jeune Soleil dans lequel se condensaient il y a plus de 4,56 milliards d'années des cristaux bleus d'hibonite. © Field Museum, University of Chicago, NASA, ESA, and E. Feild (STScl)
Les quantités trouvées sont trop importantes pour provenir du rayonnement cosmique actuel du Soleil qui a frappé la météorite de Murchison lors de son voyage entre le moment où elle a été éjectée d'un astéroïde par une collision et son arrivée sur Terre au bout d'un séjour de 1,5 million d'années dans l'espace interplanétaire.
Il faut en conclure, selon les cosmochimistes, que l'hibonite s'est retrouvée à un moment où le rayonnement cosmique du Soleil était nettement plus intense qu'aujourd'hui mais à une grande distance du Soleil, où les températures étaient plus basses. En effet, dans le cas contraire, l'hélium et le néon se seraient volatilisés. Mais cela impliquerait donc bien de manière non ambiguë, que le Soleil faisait bien des éruptions incroyablement plus violentes que de nos jours pour que le flux de rayons cosmiques solaires ait été si important à grande distance.
MOJO: Modeling the Origin of JOvian planets, c'est-à-dire modélisation de l'origine des planètes jovienne, est un projet de recherche qui a donné lieu à une série de vidéos présentant la théorie de l'origine du Système solaire et en particulier des géantes gazeuses par deux spécialistes réputés, Alessandro Morbidelli et Sean Raymond. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Laurence Honnorat
Les colères du jeune Soleil sont enregistrées dans des météorites
Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 27/03/2017
Dans deux météorites, dont celle d'Allende, les abondances de certains isotopes sont inexplicables avec l'activité solaire actuelle. Conclusion : dans sa jeunesse, les colères de notre Soleil étaient beaucoup plus fortes qu'aujourd'hui. Des centaines de milliers de fois, estiment les auteurs de cette étude.
La célèbre météorite d'Allende est tombée près du village du même nom au Mexique, le 8 février 1969. C'est une chondrite carbonée de type CV3, considérée comme la pierre de RosetteRosette de la planétologie tant elle a fourni d'informations sur les premiers temps de la formation du Système solaire. Éparpillée sur plus de 150 kilomètres carrés, dans le district de Chihuahua au Mexique, en plusieurs centaines de fragments totalisant une massemasse de plus de 2 tonnes, elle a pu être étudiée à loisir par de nombreux cosmochimistes. On peut même en acheter des fragments à des prix raisonnables, de l'ordre d'une centaine d'euros.
L'analyse de ses inclusions riches en aluminium et en calcium (baptisées CAI, pour Calcium Aluminum-rich Inclusions) a révélé l'explosion d'une supernova très peu de temps avant la formation du Système solaire. Au début des années 1970, des chercheurs, notamment Robert Clayton et Jerry Wasserburg, y avaient en effet découvert des anomaliesanomalies isotopiques de certains éléments, l'oxygèneoxygène et, surtout, le magnésiummagnésium, précisément ses isotopes 26Mg et 24Mg. Ces anomalies ne s'expliquaient bien que si un Little Bang, une supernovasupernova, avait d'abord injecté dans la nébuleusenébuleuse protosolaire des éléments radioactifs à courte duréedurée de vie, dont l'aluminium 26 se désintégrant en 26Mg, puis provoqué l'effondrement de cette nébuleuse.
Une coupe d'un échantillon de la météorite d'Allende. © Matteo Chinellato, cc by sa 3.0, Wikipédia
Les chondrites portent des matériaux reliques
L'étude d'Allende, la plus grosse météorite carbonée connue à ce jour, se poursuit toujours, afin d'en tirer de nouvelles informations sur l'origine du Système solaire. De fait, tout récemment des chercheurs de l'Institut de Physique du Globe de Paris (IPGP), du Muséum national d'histoire naturelleMuséum national d'histoire naturelle et de l'université de Paris-Diderot ont publié un article dans Nature Astronomy où ils ont encore fait parler les CAI d'Allende ainsi que ceux d'une autre chondrite CV3, Northwest Africa 8616 (NWA 8616).
Rappelons que ces CAI sont des composés réfractaires, qui se condensent donc à hautes températures, comme celles qui règnaient près du jeune Soleil dans le disque protoplanétaire où sont nées les planètes. Leur âge est estimé à environ 4,567 milliards d'années et ces composés ont été inclus dans les chondreschondres. C'est avec ce matériaumatériau, le plus ancien du Système solaire, que se sont formés les planétésimaux puis les planètes, en donnant une grande variété de roches plus ou moins évoluées. Les CAI contiennent des abondances anormalement élevées en deux isotopes, le bérylliumbéryllium-10 et du vanadiumvanadium-50, en comparaison de celles trouvées dans d'autres météorites qui se sont formées plus loin du jeune Soleil.
Le bombardement des inclusions refractaires par des rayons cosmiques (noyaux d'hélium, notés α, et protons chargés positivement, notés +) en provenance du jeune Soleil qui ont causé la production de 50V et 10Be dans ces grains primordiaux. © Joel Dyon, IPGP
Les colères du jeune Soleil ont déclenché des réactions nucléaires
La découverte est là : ces abondances ne peuvent pas s'expliquer par la nucléosynthèsenucléosynthèse stellaire qui a enrichi d'atomesatomes lourds le nuagenuage dans lequel est né le Système solaire. Elles ne peuvent provenir que du Soleil lui-même, le flot de rayons cosmiques qu'il a produit ayant engendré des réactions nucléaires dans la matière autour de lui.
Or, selon les calculs des cosmochimistes, ce flux a dû être très puissant pour produire les quantités d'isotopes retrouvées dans ces météorites. Il a fallu que les éruptions du jeune Soleil soient des centaines de milliers de fois plus fortes qu'à l'heure actuelle.
C'est la première fois que l'on peut ainsi consulter directement les archives de la formation du Système solaire et en déduire des informations et des contraintes sur le comportement du Soleil peu après sa naissance.
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Ce qu’il faut
retenir
- La théorie de la formation des étoiles et des systèmes planétaires tout autant que l'observation des disques protoplanétaires autour des jeunes étoiles suggèrent que les éruptions solaires étaient considérablement plus fortes à l'aube de la formation du Système solaire.
- Le flux intense des rayons cosmiques, produit à ce moment là, a provoqué des réactions nucléaires qui ont laissé des traces sous la forme d'anomalies isotopiques dans des minéraux trouvés dans des météorites très anciennes comme Allende et Murchison, les célèbres chondrites carbonées.