Une nouvelle étude montre que la moitié du zinc composant la Terre aurait été apportée par des météorites en provenance de la zone externe du Système solaire. Un résultat qui suggère qu’une grande part de l’eau sur Terre pourrait avoir la même origine.

Il y a de nombreux facteurs qui ont permis à la vie de se développer sur Terre. Mais la présence d'éléments volatils est certainement l'un des plus essentiels. Les éléments volatils sont des éléments chimiques qui ont la capacité à passer de l'état solide ou liquide à l'état gazeux à des températures relativement basses. Les six éléments les plus courants entrant dans la composition des organismes vivants sont tous des éléments volatils, à l'image de l'eau.

Ces éléments sont présents sur Terre depuis sa formation. Or, il est communément admis que notre Planète s’est principalement formée à partir du matériel composant le disque protosolaire interne. De là, de nombreux chercheurs ont supposé que les éléments volatils entrant dans la composition de la Terre proviendraient d’impacts d’astéroïdes formés dans cette zone interne du Système solaire.

L’apport majeur des chondrites carbonées

Mais peut-être l'histoire n'est-elle pas si simple. Dans un précédent article (voir ci-dessous), nous vous présentions déjà les débats animant la communauté scientifique à propos de l'origine des éléments volatils. Une étude, en se basant sur la signature chimique du manteau terrestre et des chondrites, suggérait d'ailleurs que les éléments volatils capturés au moment de la formation de la Terre provenaient au minimum de deux sources différentes : la nébuleuse solaire primitive, mais également la partie externe du Système solaire, située au-delà de la ceinture d'astéroïdes.

Formation des planètes du Système solaire à partir de la nébuleuse solaire primitive. © Nasa, JPL, Caltech, T. Pyle
Formation des planètes du Système solaire à partir de la nébuleuse solaire primitive. © Nasa, JPL, Caltech, T. Pyle

Une nouvelle étude va cette fois plus loin, en suggérant que la proportion de l'apport externe serait bien plus importante qu'on ne le pensait.

Les scientifiques ont étudié la composition chimique de 18 météorites provenant de diverses origines. Onze auraient été formées à l'intérieur du Système solaire (météorites dites non carbonées), et sept proviendraient des zones externes du Système solaire (météorite dites carbonées). Les chercheurs se sont plus particulièrement intéressés à l'abondance des différents isotopes du zinc, un élément considéré comme moyennement volatil. Les compositions isotopiques des différentes météorites ont ensuite été comparées à des échantillons de roches terrestres. Et les résultats sont plutôt surprenants ! Ils suggèrent que si seuls 10 % de la masse terrestre provient de météorites carbonées, ce matériel en provenance des confins du Système solaire aurait apporté pas moins de la moitié du zinc composant aujourd'hui la Terre. Or, les météorites riches en zinc seraient également riches en d'autres éléments volatils et notamment en eau. Un résultat qui suggérerait que l’eau de la Terre proviendrait, en grande partie, de la région externe du Système solaire.

Sans cet apport externe, la Terre aurait été plus sèche

Les chondrites en provenance de l'extérieur du Système solaire auraient donc pu influencer notablement la composition de la Terre et jouer un rôle majeur dans le développement de la vie en apportant les ingrédients nécessaires. Les résultats, publiés dans Science, suggèrent que sans la contribution de ces chondrites carbonées, la Terre aurait été significativement plus pauvre en éléments volatils. La planète aurait certainement été plus sèche, voire inapte à soutenir le développement de la vie.

Notre Planète n'aurait peut-être pas été aussi bleue sans l'apport des météorites en provenance du Système solaire externe. © Nasa
Notre Planète n'aurait peut-être pas été aussi bleue sans l'apport des météorites en provenance du Système solaire externe. © Nasa

Dans ce contexte, les chercheurs souhaitent désormais étudier la composition de roches martiennes et lunaires, afin de les comparer à leurs résultats. L'objectif est de voir si Mars a bénéficié du même apport que la Terre et de savoir si la collision qui a donné naissance à la Lune a pu jouer un rôle dans l'apport d'éléments volatils, comme certaines hypothèses le suggèrent.


L’origine des composants terrestres révélée par la composition du manteau inférieur

D'où proviennent le carbone, l'azote, et l'eau qui ont rendu la Terre habitable ? Encore aujourd'hui, cette question reste intensément débattue. Pourtant, un élément chimique en particulier pourrait aider à résoudre cette énigme, ou du moins à avancer sur la voie de la connaissance. Il s'agit du krypton. Sa présence au sein du manteau terrestre profond nous éclaire sur la formation de notre Planète.

Article de Morgane Gillard publié le 17 décembre 2021

À quel moment, et à partir de quelle source, sont arrivés les éléments volatils comme le carbone, l’azote et l’eau ? Plusieurs modèles existent. Certaines études suggèrent que l'assimilation de ces éléments chimiques a eu lieu avant l'impact géant ayant donné naissance à la Lune, d'autres qu'ils seraient arrivés après. Trois sources principales sont également évoquées pour expliquer la composition en éléments volatils de la Terre : le Soleil, les chondrites (météorites riches en carbone provenant de l'extérieur du Système solaire) et les comètes.

Le disque proto-planétaire à l'origine, en partie, des planètes du Système solaire. © ESO, L. Calçada
Le disque proto-planétaire à l'origine, en partie, des planètes du Système solaire. © ESO, L. Calçada

Le krypton, un bon traceur chimique

Pour tenter de contraindre la question de l'origine des éléments volatils, une équipe de chercheurs de l'université de Californie s'est intéressée à la composition du manteau inférieur de la Terre. Les scientifiques ont plus particulièrement traqué la présence des différents isotopes du krypton, un élément chimique de la famille des gaz nobles. Étant inertes, les gaz nobles sont en effet de bons traceurs des sources des éléments volatils. Le krypton, en particulier, est très utile pour différencier les sources solaires des sources chondritiques grâce à leurs différences isotopiques assez claires.

Pour leur étude, les chercheurs sont allés échantillonner des roches volcaniques produites par des volcans de point chaud en Islande et dans les Galápagos. En effet, le magma alimentant ces volcans provient d'une zone très profonde dans le manteau terrestre, proche de la limite avec le noyau externe. La composition des roches magmatiques éruptées est donc représentative d'un manteau primitif, dont la composition chimique a peu évolué depuis la formation de la Terre, il y a 4,4 milliards d’années. Les magmas remontant de ces zones très profondes sont en particulier composés de certains gaz nobles. Lorsqu'ils arrivent en surface grâce aux processus éruptifs, les magmas vont alors emprisonner ces gaz sous forme de petites enclaves, qui vont former des petites bulles lors de la cristallisation des laves. Les chercheurs sont ainsi partis à la recherche d'un élément en particulier au sein de ces bulles : le krypton. Les mesures ont nécessité le développement d'une nouvelle technique d'analyse, basée sur la spectrométrie de masse. Les différents isotopes du krypton ont ainsi été quantifiés, en particulier les plus rares, comme le Kr78 et le Kr80.

La composition du manteau terrestre est très proche de celle des chondrites

Les résultats, publiés dans Nature, montrent que la signature chimique du manteau inférieur actuel est très proche de celle des chondrites, des météorites primitives riches en carbone, qui proviennent de l'extérieur du Système solaire. D'un autre côté, des études portant sur le néon, un autre gaz noble présent au sein du manteau inférieur de la Terre, montre qu'il proviendrait du Système solaire. Ces deux résultats suggèrent que les éléments volatils ayant été agrégés durant la formation de la Terre proviennent d'au minimum deux sources différentes : les corps rocheux en provenance de l'espace profond mais également le matériel composant la nébuleuse solaire primitive. Ces éléments auraient été intégrés très tôt à la composition de la Terre.

Exemple de chondrite. © Didier Descouens, Wikimedia Commons, CC by-sa 4.0
Exemple de chondrite. © Didier Descouens, Wikimedia Commons, CC by-sa 4.0

En effet, les isotopes du krypton suggèrent que les planétésimaux provenant de l'extérieur du Système solaire auraient bombardé la Terre des millions d'années avant la formation de la Lune. Mais, en même temps, notre Planète aurait également absorbé la poussière et les gaz de la nébuleuse solaire. Cette hypothèse n'est pas seulement valable pour la Terre, mais permettrait d'expliquer également la formation des autres planètes du Système solaire, voire celles orbitant autour d'autres étoiles.

Ces nouveaux résultats ont également des implications sur la façon dont s'est formée l'atmosphère de la Terre. Car les chercheurs ont découvert que le rapport entre les différents isotopes du krypton n'est pas le même pour l'atmosphère que pour le manteau inférieur. Cela suggère que certains gaz de l'atmosphère ont également été apportés à la Terre après l'impact géant ayant donné naissance à la Lune. Dans le cas inverse, les deux environnements, atmosphère et manteau, auraient la même composition isotopique.