Entre les décollages ratés, la gestion de la mort à bord de la Station spatiale internationale et l’inadaptabilité du corps humain dans l’espace, l’exploration spatiale est aussi un spectacle funeste, éthiquement discutable. Enquête sur les anciens et futurs morts de l’espace.
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D'après le documentaire Les cobayes du cosmos, un séjour dans l'espace est toujours lourd de conséquences. Les astronautes sont soumis à des conditions extrêmement difficiles, qui fragilisent leur corps mais aussi leur esprit. Alors, avant de côtoyer la mort dans cette enquête, voici une petite mise en bouche de ce qui vous attend dans l'espace, à bord de la Station spatiale internationale.
Arrivé dans la Station spatiale internationale (ISS), il vous faudra endurer quelques jours de migraine, le temps de vous habituer à l'absence de pesanteur. Comparable au mal de mer, ce mal de l'espace touche les trois quarts des astronautes, selon le docteur Raffi Kuyumjian, suppléant du médecin de vol personnel de Thomas Pesquet.
Ensuite, vos muscles fondront. Attendez-vous à perdre 20 à 30 % de votre masse musculaire. Sachant que les deux heures de sport imposées aux astronautes à bord de l'ISS permettent à peine de compenser cette perte, le retour sur Terre sera difficile. Il faudra peut-être littéralement réapprendre à marcher, tant le vertige vous clouera au sol. Comme en témoigne la séance de rééducation de l'astronaute américain Andrew Feustel (voir vidéo ci-dessous).
À cela, s'ajoutent les rayons cosmiques qui bombarderont votre corps, une étrange baisse de la vue, la possibilité d'être percuté par un débris spatial, mais aussi le risque de mourir avant même d'avoir atteint la station. Concernant les voyages habités de longue durée, vers la Lune par exemple, la liste s'allonge. Enfin, si vous envisagez de vous installer sur Mars pour y fonder une famille, n'y pensez même pas. Les conséquences seraient terrifiantes. À moins que...
Crash-test : quand les cobayes de l’espace ne survivent pas
Le 27 mai 2020, lors du lancement historique de la capsule habitée de SpaceXSpaceX « Crew DragonCrew Dragon », la NasaNasa avait estimé la probabilité d'y rester. Une chance sur 276. Certes, c'est très peu, mais cet exploit est dû aux progrès technologiques accomplis depuis plus de 60 ans. Avant d'atteindre ces statistiques, l'exploration spatiale a été marquée par de nombreuses tragédies, en commençant par les animaux.
La chienne russe Laïka, premier être vivant à avoir été en orbiteorbite autour de la terre, est morte au bout de quelques heures à cause de la chaleurchaleur et de déshydratationdéshydratation. Six singes américains ont aussi trouvé la mort. Pour eux, le voyage était sans retour.
Concernant les humains, 23 astronautes ont été tués pendant l'entraînement ou lors de vols spatiaux. Brûlés vifs dans l'embrasement de leur fuséefusée, exposés au vide de l'espace, ou victimes d'un parachuteparachute dysfonctionnel, les causes sont multiples. Mais les accidentsaccidents les plus dévastateurs ont lieu sur le pas de lancement et touchent principalement les équipes au sol. Étonnamment, les zones civiles proches sont aussi impactées. En 1996, une fusée chinoise de la Longue Marche s'est écrasée dans un village détruisant 80 maisons et tuant une cinquantaine de personnes.
Le cercueil de l’espace
Le 6 juin 2017, lors d'une conférence de presse, un enfant demanda à Thomas PesquetThomas Pesquet « Si quelqu'un meurt, que faites-vous du corps ? ». Cette question désarçonna le spationautespationaute français. Il n'avait pas su répondre. Faut-il l'abandonner durant une sortie extravéhiculaire et le laisser flotter dans l'espace ? Ou bien, stocker son cadavre pour qu'il puisse être ultérieurement inhumé sur Terre ? En se renseignant, il découvrit qu'il existait des procédures et équipements pour cela. Pour autant, les informations officielles sur ce funeste sujet sont difficilement accessibles, la Nasa préférant mettre l'accent sur la sécurité.
Heureusement, à ce jour, ce drame n'est pas encore arrivé sur la Station spatiale internationale, mais l'agence spatiale américaine l'anticipe malgré tout. En 2005, elle demanda un guide à la société suédoise « Promessa » - spécialisée dans la fabrication de cercueils funéraires écologiques - pour fabriquer un prototype de cercueil spatial. Inventé par la biologiste Susanne Wiigh-Mäsak, le concept du « Body Back » est le suivant : le corps du défunt est placé dans un sac hermétique puis exposé aux températures glaciales de l'espace, pendant une heure, afin d'être congelé. Il est ensuite réduit en poudre grâce à un système de vibrationvibration haute fréquencefréquence. Ne pesant plus qu'une vingtaine de kilos, les restes peuvent plus facilement revenir sur Terre.
La première mission habitée vers Mars pourrait être fatale
Mars : prochain berceau de la conquête spatiale ou théâtre de l'horreur ? En tout cas, le milliardaire Elon Musk se voit déjà atteindre la Planète rouge d'ici 2024. Techniquement, même s'il reste de nombreux défis technologiques, les voyages dans l'espace lointain ne sont pas impossibles. Par contre, biologiquement, ils seront peut-être insurmontables pour l'espèceespèce humaine. Il reste lucide : « des personnes vont probablement mourir », déclare-t-il dans un entretien avec l'entrepreneur Peter Diamandis.
En 2014, l'entreprise néerlandaise « Mars One » l'avait déjà anticipé. Cette dernière avait l'ambition d'envoyer des volontaires sur Mars. Un aller simple afin d'y fonder une colonie en 2032. Elle avait fait parler d'elle, notamment en proposant de financer les coûts de cette mission grâce à la réalisation d'une téléréalité, autour du projet. Résultat : les scientifiques de cette firme avaient prévu que les volontaires potentiels commenceraient à mourir au bout de 68 jours - chiffre encore discutable à ce jour, car l'étude comporte des points d'amélioration.
Pendant leur agonie, ces volontaires, alors exposés inévitablement aux rayonnements cosmiques, subiraient, entre autres, des troubles cognitifs lourds, selon un rapport publié dans la revue Nature. Cela risque notamment de compromettre la prise de décision pendant les opérations normales et d'urgence, lors de la mission. L'étude précise que chez les modèles de rongeursrongeurs, le rayonnement cosmique a perturbé l'intégritéintégrité synaptique et augmenté la neuro-inflammationinflammation. Elle ajoute que ce phénomène a persisté pendant plus de six mois après l'exposition. Autrement dit, avant d'arriver à destination, les voyageurs devront supporter le développement de fortes lésions cérébrales irréversibles. Une menace réelle pour l'intégrité des circuits neuronaux du cerveaucerveau.
L’impossible colonisation de Mars
« Nous devons avoir une grande base occupée en permanence sur la Lune, puis construire une ville sur Mars et devenir une civilisation spatiale. Nous ne voulons pas faire partie de ces espèces planétaires uniques, nous voulons être une espèce multi-planétaire. » Voici, ni plus ni moins le rêve d'Elon MuskElon Musk. Séduisante ou terrifiante, sa conviction est sans équivoque : si l'espèce humaine veut survivre et éviter son extinctionextinction programmée, elle doit conquérir d'autres planètes. Mais, avec autant de limites biologiques humaines - citées précédemment de manière non exhaustive - la colonisation envisagée par le milliardaire semble impossible.
Le biologiste Scott Solomon pointe, tout particulièrement, le problème de la reproduction, dans une conférence TedX. En effet, coloniser une planète sous-entend qu'il faut se reproduire. Or, d'après les expériences menées sur des souris enceintes exposées à une microgravitémicrogravité, les femmes pourraient avoir de nombreuses complications pendant leur grossessegrossesse. Pour cause, une perte importante de masse osseuse affaiblissant alors leur os. Finalement, « elles ne pourraient tout simplement pas survivre à une grossesse », prévoit le biologiste. Ajoutez à cela, les radiations de rayons Xrayons X, ultravioletsultraviolets ou cosmiques, et leur ADNADN serait aussi endommagé, causant alors des mutations, et le développement de cancerscancers.
Devenir « Homo spatius » ?
Selon la thèse du célèbre livre « HomoHomo Deus : Une brève histoire de l'avenir », écrit par Yuval Noah Harari, Homo sapiensHomo sapiens surmontera ses limites, grâce aux technologies NBIC (nanotechnologiesnanotechnologies, biotechnologiesbiotechnologies, informatique et sciences cognitivessciences cognitives). Il se transformera en « Homo deus » : un homme-dieu aux capacités supérieures à celles des êtres humains actuels, qui aura la possibilité de coloniser d'autres systèmes planétaires. Il deviendra alors, par la même occasion : « Homo spatius », une espèce multiplanétaire.
Cette tendance transhumaniste est partagée par de nombreux entrepreneurs de la Silicon ValleySilicon Valley comme Elon Musk. Leur objectif : prospérer en tant qu'espèce - enfin, ce qu'il en restera - et accessoirement vaincre la mort. L'urgence climatique a malheureusement pointé son neznez et met à mal ce projet. Mais l'humanité est-elle prête ? Pour certains scientifiques ce projet est un mythe. Danièle Tritsch et Jean Mariani, dans leur livre « Ça va pas la tête » le dénoncent. Les promesses du transhumanismetranshumanisme ne sont pas encore exauçables et pour longtemps...
En attendant, il y aura encore des morts, et pas que dans l'espace.