Les caractéristiques des orbites des planètes, ainsi que leurs masses et tailles, sont des fossiles de la cosmogonie et de l'évolution des systèmes planétaires. Le phénomène universel dit de résonance orbitale se retrouve dans le monde des exoplanètes comme dans celui du Système solaire. Dans le cas de l'étoile TOI-178, il laisse les planétologues perplexes, et son cortège d'exoplanètes suggère une remise en cause partielle des modèles.


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    Il y a presque quatre siècles, juste après la découverte par Galilée de sa lunette astronomique, le père de la physique moderne révéla avec cet instrument l'existence de quatre points lumineux en mouvement autour de JupiterJupiter. Il réalisa quelques mois plus tard (mars 1610) qu'ils devaient être les équivalents de notre Lune pour la Terre. Ces mondes, couramment appelés des lunes galiléennes, avaient en fait été découverts indépendamment, au même moment, par l'astronomeastronome allemand Simon Marius. Il leur a donné leurs noms actuels, dérivés des amantes de Zeus, à la suggestion de Johannes KeplerJohannes Kepler. Il s'agit donc de IoIo, Europe, GanymèdeGanymède et CallistoCallisto dans l'ordre de la distance croissante à Jupiter.

    Les progrès dans les horloges mécaniques et la multiplication des astronomes dotés de lunettes et de télescopes de plus en plus puissants permirent de découvrir que les périodes orbitales des trois satellites intérieurs étaient liées par un surprenant synchronisme. La période T2 d'Europe semblait d'environ le double de celle, T1, d'Io ; celle, T3, de Ganymède était elle-même à peu près deux fois plus longue que celle d'Europe. Curieusement, la période orbitale de Callisto n'était pas un multiple simple de celle de Ganymède.

    Tout ceci est mentionné dans le fameux ouvrage du mathématicienmathématicien, astronome et physicienphysicien Pierre-Simon de LaplacePierre-Simon de Laplace (1749-1827) constituant une sorte de résumé des connaissances en astronomie et mécanique céleste au tout début du XIXe siècle :  Exposition du système du monde.

    Or, avant 1800, Laplace était parvenu à donner une explication à ce phénomène et les progrès de l'astronomie et de la mécanique céleste allaient démontrer qu'il n'était pas propre aux seuls mondes galiléens. On le connaît sous le nom de résonancerésonance orbitale et dans le cas des lunes de Jupiter sous le nom de résonance de Laplace. Sans surprise, du fait du caractère universel de l'attraction gravitationnelle dans le cosmoscosmos observable, pour autant que l'on puisse en juger, les résonances gravitationnelles dans le Système solaire sont aussi observées depuis des années dans d'autres systèmes planétaires, ceux des exoplanètesexoplanètes dans la Voie lactéeVoie lactée.


    Conférence de Jacques Laskar intitulée Dynamique des systèmes planétaires extrasolaires. Le chercheur y parle rapidement de la théorie des résonances orbitales et de la découverte de Laplace. © Académie des sciences

    Le phénomène universel des résonances orbitales

    Le phénomène de résonance résulte des forces de gravitationforces de gravitation qu'exercent les corps les uns sur les autres. Le bilan des forces et leurs variations dans l'espace et dans le temps peuvent conduire à des phénomènes similaires à celui que l'on constate lorsque l'on pousse à la bonne fréquencefréquence une personne sur une balançoire, ce qui la met en mouvement et permet aussi de la maintenir dans un mouvement presque constant. On peut montrer en mécanique céleste que ce phénomène de résonance orbitale se produit lorsque les rapports des périodes orbitales, ou de rotation, sont ceux de nombres entiers à une bonne approximation.

    Il n'y a pas de résonances orbitales réelles dans le cas des planètes principales du Système solaireSystème solaire (comme l'explique Jacques Laskar dans la vidéo ci-dessus) mais on en observe bel et bien avec certains satellites de ces planètes. C'est le cas de la Lune où le rapport entre sa période de révolutionpériode de révolution orbitale et sa rotation propre est précisément 1:1, ce qui se constate par le fait que la Lune est en rotation synchronesynchrone et nous présente donc toujours une même face.

    Aujourd'hui, une équipe internationale d'astronomes - ayant notamment utilisé le Very Large TelescopeVery Large Telescope de l'Observatoire européen austral (le VLT de l'ESOESO) pour observer l'une des étoilesétoiles qui a retenu l'attention dans le catalogue des Tess Objects of Interest (TOI), dressé à partir des observations du chasseur d'exoplanètes de la NasaNasa, le Transiting Exoplanet Survey SatelliteTransiting Exoplanet Survey Satellite - vient d'exprimer sa perplexité via un article que l'on peut trouver sur arXiv.

    TOI-178 est une étoile située à quelque 200 années-lumièreannées-lumière de la Terre dans la constellationconstellation du Sculpteur et on savait qu'elle possédait un cortège planétaire. Mais dans le communiqué de l'ESO qui accompagne l'article également publié dans la revue Astronomy & Astrophysics, son principal auteur, l'astronome Adrien Leleu de l'université de Genève et de l'université de Berne en Suisse, explique que « des observations plus poussées nous ont permis de comprendre que le système n'était pas constitué de deux planètes orbitant à distance semblable de leur étoile, mais de plusieurs planètes situées dans une configuration bien particulière » .


    Cette animation présente la configuration orbitale ainsi que les mouvements des planètes du système TOI-178. Il se compose de six planètes dont cinq d’entre elles – toutes à l’exception de celle située à très grande proximité de l’étoile – sont entraînées dans un véritable ballet orbital (représenté en orange). En d’autres termes, elles sont en résonance. Sur cette animation d’artiste, le ballet des planètes autour de l’étoile centrale est représenté par une harmonie musicale, créée en attribuant une note (dans la gamme pentatonique) à chacune des planètes contribuant à la chaîne de résonance. Cette note retentit lorsqu’une planète effectue une orbite complète ou une demi-orbite. Lorsque les planètes s’alignent à ces points précis de leur orbite, elles résonnent. © ESO, L. Calçada

    Les chercheurs ont en effet mis en évidence six exoplanètes dont cinq qui se révèlent en résonance orbitale. Si les lunes galiléennes sont, comme on l'a vu, dans une configuration de type 4:2:1, les cinq planètes extérieures du système TOI-178 sont dans une configuration 18:9:6:4:3, c'est-à-dire que la seconde planète extérieure boucle 18 orbitesorbites pendant que la troisième planète extérieure en réalise 9.

    On connaissait déjà de tels exemples mais ce cas est en fait particulier, et pas parce que ces cinq exoplanètes suivent une chaîne de résonance qui est l'une des plus longues découvertes à ce jour au sein d'un système planétaire.

    Les chercheurs ont étudié les exoplanètes de TOI-178 à la fois par la méthode des transitstransits, ce qui donne des diamètres, et par celle des vitessesvitesses radiales, ce qui donne des massesmasses, dans le premier cas notamment avec les données du satellite Cheops de l'ESAESA et dans le second cas avec le spectrographe Espresso (Echelle Spectrograph for Rocky Exoplanet- and Stable Spectroscopic Observations, soit en français « SpectrographeSpectrographe échelle pour l'observation de planètes rocheuses et des observations spectroscopiques stables ») installé sur le VLT (les instruments du NGTS et de Speculoos, opérant tous deux depuis l'Observatoire de Paranal de l'ESO au Chili, ont aussi été mis à contribution).

    Diamètres et masses permettent d'accéder aux densités et comme l'explique le communiqué de l'ESO nous savons que les tailles des exoplanètes TOI-178 sont comprises entre un et trois diamètres terrestres pour des masses allant de 1,5 à 30 masses terrestres. Nous savons donc que certaines d'entre elles sont rocheuses et sont des superterres alors que d’autres sont gazeuses et qu’elles constituent des mini-Neptunes.


    Grâce à une combinaison de télescopes dont le Very Large Telescope de l’Observatoire européen austral (le VLT de l’ESO), des astronomes ont découvert un système composé de six exoplanètes, cinq d’entre elles participant à un véritable ballet cosmique autour de leur étoile centrale. Cette vidéo résume la découverte et explique la raison pour laquelle cet étrange système questionne nos théories sur la formation planétaire. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © ESO

    Une pierre de Rosette de la cosmogonie

    Seulement voilà, comme l'explique l'un des coauteurs de l'étude, Nathan Hara de l'université de Genève en Suisse, ces corps célestes sont répartis suivant une suite de densités bizarrement aléatoires. « Il apparaît en effet qu'une planète aussi dense que la Terre se situe non loin d'une planète cotonneuse caractérisée par une densité inférieure de moitié à celle de NeptuneNeptune, suivie d'une planète de même densité que Neptune. Ce n'est pas ce à quoi nous sommes habitués. »

    Or, dans le cas du Système solaire, même si nous savons qu'il y a eu des migrations planétaires, les géantes gazeusesgéantes gazeuses se sont nécessairement formées d'après nos modèles cosmogoniques loin du SoleilSoleil et les planètes telluriquesplanètes telluriques proches, la séparationséparation entre systèmes interne et externe ayant perduré depuis des milliards d'années, pour autant qu'on le sache, et cela est bien le reflet des conditions de formation planétaire qui semblent les plus raisonnables et les plus nécessaires.

    De fait, comme le mentionne Adrien Leleu, « le contrastecontraste entre l'harmonie rythmique du ballet orbital et la dissonance des densités planétaires questionne notre compréhension de la formation et de l'évolution des systèmes planétaires ». Son collègue Yann Alibert de l'université de Berne, également coauteur de l'étude explique, lui, que « les orbites de ce système planétaire sont parfaitement ordonnées, ce qui suggère que ce système a lentement et doucement évolué depuis sa naissance ».

    Les cosmogonistes devront donc revoir quelque peu leur copie. Ce qui est sûr pour les astronomes c'est que leurs modèles de la naissance des exoplanètes tendent bien à produire des systèmes ayant des planètes principales dont on attend qu'elles soient souvent en résonance orbitale et que l'étude de ces systèmes doit être l'équivalent de la pierre de RosetteRosette de la genèse des systèmes planétaires. Dans l'article publié dans Astronomy & Astrophysics, les chercheurs concluent également en ce qui concerne TOI-178 que « la configuration orbitale particulière et la diversité de la densité moyenne parmi les planètes du système permettront l'étude des structures intérieures planétaires et de leur évolution atmosphérique, fournissant des indices importants sur la formation des superterressuperterres et des mini-Neptunes ».


    Mojo : Modeling the Origin of JOvian planets, c'est-à-dire modélisation de l'origine des planètes joviennes, est un projet de recherche qui a donné lieu à une série de vidéos présentant la théorie de l'origine du Système solaire et, en particulier, des géantes gazeuses par deux spécialistes réputés, Alessandro Morbidelli et Sean Raymond. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Laurence Honnorat

    Il est tout de même intéressant de savoir qu'en 2019, Sean Raymond, Alessandro Morbidelli et leurs collègues avaient publié un article, disponible en accès libre sur arXiv, où ils faisaient savoir que des simulations numériquessimulations numériques produisaient des superterres qui migraient ensuite pour former une série de planètes en résonance orbitale. Ces chaînes de planètes sont toutefois très instables tôt au début de l'histoire de la formation planétaire. Nous avons donc demandé à Sean Raymond ce qu'il fallait penser du système planétaire autour de TOI-178. Voici sa réponse :

    « Pour moi, ce système est "hors normes" mais il ne constitue pas pour autant une anomalieanomalie dérangeante. Sa structure multirésonante est vraiment intéressante, et c'est une bonne chose que nous ayons maintenant un deuxième exemple où l'on peut voir, comme dans le cas du Système autour de Trappist-1, cinq exoplanètes en résonance orbitale.

    En ce qui concerne les variations surprenantes de leurs densités en fonction de leurs rayons orbitaux, un peu comme dans le cas du système autour de Wasp-47 d'ailleurs, je trouve qu'on est devant un joli mystère à creuser. Je ne dirai pas que ça change toutes nos idées concernant la formation de ces systèmes, c'est plutôt un challenge pour mettre les bonnes pièces du puzzle ensemble. »